Des journalistes du Monde et un sociologue attaquent Jean Bricmont dans un livre : il répond


Un flot continu d'attaques mensongères et d'approximations... pour changer !

Jean Bricmont, physicien et auteur du livre Les censeurs contre la République (disponible aux Éditions Jeanne), répond à Stéphane Foucart et Stéphane Horel (tous deux journaliste au Monde et titulaires en 2018 du prix européen du journalisme d’enquête pour leur série sur les Monsanto Papers) ainsi qu’à Sylvain Laurens (Sociologue, maître de conférences à l’EHESS) qui lui ont consacré un chapitre de leur dernier livre : Les gardiens de la raison Enquête sur la désinformation scientifique, (Paris, La Découverte, Septembre 2020).


En lisant l’introduction et la conclusion du livre, je me suis demandé ce qui pouvait justifier le fait de consacrer presque tout un chapitre de cet ouvrage à ma modeste personne. En effet, je n’ai absolument aucune sympathie pour les libertariens, aucun lien avec de quelconques lobbyistes (qui sont en principe la cible principale du livre) et j’ai toujours été extrêmement critique (au moins en interview, par exemple ici et sur facebook) à l’égard des « minimisateurs » de la crise du Covid (que les auteurs attaquent dans leurs conclusions) [1].

Je vais passer en revue les exagérations, déformations, affirmations sans preuves, et faussetés dans leur Chapitre 8 intitulé « Burn-out chez les héros de la raison » [2].

Mon but ici n’est pas uniquement de me défendre face à leurs attaques, mais aussi de faire un exercice pédagogique sur la situation catastrophique des médias français ainsi que d’un bon nombre d’intellectuels français.

p. 224 : À propos du canular de Sokal : « Considérant le canular comme le révélateur d’un processus plus général, la paire de scientifiques accuse nombre de philosophes et de sociologues postmodernes d’avoir abandonné leur objectivité au profit d’une approche purement esthétique des faits sociaux. Une approche regrettable à laquelle, selon eux, les campus de sciences sociales et d’études littéraires seraient convertis. »

Nous n’avons jamais utilisé l’expression « approche purement esthétique des faits sociaux » (j’ignore même ce que cela veut dire). Nous n’avons pas non plus dit que les campus de sciences sociales et d’études littéraires seraient « convertis à cette approche », même si tout le monde peut constater l’influence du postmodernisme sur ces campus.

p. 224 : « Aujourd’hui, le duo ne compte plus beaucoup de fans chez les défenseurs du progrès social. Les deux penseurs iconiques qui se battaient « pour la raison » trouvent désormais l’essentiel de leur public du côté des ultra‐ libéraux américains et de l’extrême droite. »

Preuves de ces assertions ? Ou même indications ?

p. 226 : Après avoir discuté du mythe chez les Indiens Lakota selon lequel ceux-ci descendraient de bisons, ils écrivent : « Pour les rationalistes en effet, il n’y aurait qu’une seule vérité. Et si l’on se met d’accord sur ce qu’est un argument rationnel, on s’entendra rapidement, au‐dessus des cultures, pour dire que les bisons – des animaux fort aimables au demeurant – n’ont que peu de gènes en commun avec les ancêtres des Indiens Lakota. »

Beh, oui…  On commence par concéder une évidence comme… évidente.

Mais quelques lignes plus loin, on lit : « la vérité du rationaliste « dur », assenée à coups de carbone 14, se heurte à un fait : elle aussi est le produit de son groupe de scientifiques – qui utilise le carbone 14 comme élément de preuve ultime. En d’autres termes, même s’il prétend défendre une vérité scientifique, l’argument du rationaliste sera reconnu comme tel seulement s’il fait partie d’un groupe de pairs qui reconnaissent cet argument comme recevable. À cela s’ajoute donc une autre limite : le consensus scientifique du moment est aussi celui des savants d’une époque. Ce qui est scientifiquement considéré comme vrai peut donc changer : c’est le produit de l’histoire de la science, de ses outils, de ses méthodes. »

Ici, les auteurs énoncent une autre évidence. Mais que signifie-t-elle ? Devrait-on avoir des doutes sur le fait que les Indiens Lakota ne descendent pas des bisons ? Il n’y a évidemment pas que le carbone 14 comme argument contre cette idée. Le simple bon sens, combiné à une connaissance élémentaire de l’évolution suffit à la faire apparaître comme absurde.

On trouve ici le glissement habituel (que Sokal et moi critiquons sans arrêt) entre la vérité (unique selon les rationalistes quand les questions sont bien posées) et ce qui est « considéré comme vrai » et qui peut évidemment changer. Mais l’exemple choisi montre aussi que certaines idées « considérées comme vraies » ne changent pas : non, on n’acceptera jamais l’idée selon laquelle les Indiens Lakota descendent des bisons.

Bref, on commence par admettre une évidence puis on la « nuance » au moyen d’une autre évidence, sans expliquer en quoi cela rendrait la première évidence moins évidente. C’est pour le moins confus.

p. 227 : « Alan Sokal et Jean Bricmont sont des physiciens ; ils traitent les problématiques liées aux sociétés humaines comme ils traiteraient de questions d’astronomie. Pour eux, les différences entre sexes procèdent de différences biologiques et matérielles indiscutables : être une femme répondait à des définitions biologiques avant même que la société ne se saisisse d’elle et la nomme à la naissance. Les différences entre les femmes et les hommes sont inscrites dans la matérialité du corps, elles ne sont pas « que » sociales : la femme peut enfanter, l’homme non. Tout ceci ne serait qu’une affaire de chromosomes et donc, d’abord, de lois du vivant sur lesquelles « s’appuieraient » en second lieu des relations en société. De leur point de vue, les théories se fondant sur l’enracinement social des rapports hommes/ femmes relèvent donc du relativisme – qu’ils dédaignent. »

D’abord, je ne sais pas où nous avons traité  des « problématiques liées aux sociétés humaines comme de questions d’astronomie ». Pour ce qui est des différences hommes-femmes, il y a une grande différence entre dire « la femme peut enfanter, l’homme non » (beh, oui…) et dire « les théories se fondant sur l’enracinement social des rapports hommes/ femmes relèvent donc du relativisme »: d’abord nous n’avons jamais dit cela, et cette idée (l’enracinement social des rapports hommes/ femmes) est vraie ou partiellement vraie ou fausse, mais en soi n’est pas du relativisme. Par ailleurs, nous sommes physiciens, et nous ne nous prononçons pas sur ce genre de questions, si ce n’est pour dire que le débat doit être ouvert.

p 227 : « Ainsi, pour les physiciens que sont Sokal et Bricmont, les philosophes Michel Foucault, Jacques Derrida ou Gilles Deleuze s’opposent à la modernité car ils mettent en cause l’idée qu’il y aurait des vérités scientifiques établies : ils se disent ou plutôt sont souvent décrits comme « postmodernes ». »

Nous n’avons pas parlé de Foucault et pratiquement pas de Derrida (la référence à Derrida dans leur livre est une critique par Derrida d’Impostures intellectuelles).

p. 229 : « Jean Bricmont fait bien plus qu’accompagner l’Afis dans son détachement progressif de l’Union rationaliste, déjà impulsé par Jean‐Paul Krivine et Michel Naud. Il affûte le tranchant de la ligne politique de l’association, alors en pleine évolution : l’Afis entend prendre position sur les questions des OGM et de l’application industrielle des technologies de façon plus marquée que ne l’a fait jusqu’à présent l’Union rationaliste. »

Preuves? Indices? Seule référence, un livre de Sylvain Laurens, un des auteurs de ce livre.

p. 230 : « Jean Bricmont mélange la critique du postmodernisme et, déjà, celle des écologistes mobilisant l’expertise liée au réchauffement climatique ». Puis, ils me citent: « Finalement plutôt que de critiquer une modeste association de bénévoles [comme l’Afis], ayant un plantureux budget de 20 000 euros, on pourrait se poser un certain nombre de questions impies concernant la culture intellectuelle de notre temps. Qu’ont fait, par exemple, des philosophes aussi différents que Louis Althusser, Paul Ricœur ou Bernard‐Henri Lévy pour encourager l’esprit critique face à la psychanalyse ? Rien, évidemment, au contraire, eux et bien d’autres philosophes ont, pour des raisons essentiellement religieuses ou politiques, donné des lettres de noblesse à cette discipline, ce qui permet d’éviter de poser la question cruciale de sa validité empirique. Ou encore, lors des débats sur le nucléaire, les associations “citoyennes” qui s’y opposent acceptent‐elles des débats contradictoires et honnêtes avec des scientifiques qui ne sont pas d’accord avec elles ? Et si les “experts” sont ipso facto suspects, pourquoi faudrait‐il alors les croire lorsqu’ils mettent en garde contre les risques de réchauffement global ? Est‐ce que dans les départements de sciences humaines on aborde de façon attentive et impartiale les approches biologiques du comportement humain (neurosciences, génétique, sciences cognitives, psychologie évolutive) ? »

Je ne vois pas en quoi c’est une critique « des écologistes mobilisant l’expertise liée au réchauffement climatique ». Je fais simplement remarquer que si l’on accepte l’expertise dans un cas (le réchauffement climatique) pourquoi ne pas l’accepter dans d’autres (les OGM, la 5G ou le nucléaire)? Or les écologistes invoquent en général l’expertise quand cela les arrange. Et pour ce qui est de la psychanalyse, quand j’ai écrit cela (avant le livre d’Onfray), il me semblait qu’il était plus que temps  qu’une critique rationnelle de cette pseudoscience soit audible en France.

p. 231 : « Mais surtout, il adopte une position maximaliste de défense de la liberté d’expression, qui semble proche de celle de Noam Chomsky au premier abord. Depuis les années 1980, le linguiste américain, déjà icône de la gauche radicale, plaide pour une application littérale de la liberté d’expression (freedom of speech). Dans la tradition du débat et du libéralisme à l’américaine, le free speech offre à tout un chacun le droit total et absolu d’exprimer ses idées. Et c’est du débat contradictoire, pilier d’un espace démocratique sain, qu’émergera la vérité. »

Sauf que cette position « maximaliste » n’est rien d’autre que celle exprimée par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »), ainsi que par  la plupart des constitutions des états démocratique et qu’elle fondait la loi française de 1881 sur la presse (avant les lois Pleven de 1972 et Gayssot de 1990).

p. 231 note a : « Bernard Lahire avait produit pour l’Afis une longue critique de la pseudo‐ thèse de sociologie soutenue par l’astrologue Élisabeth Teissier en 2001 sous la direction de Michel Maffesoli. »

Là-dessus nous sommes d’accord, voir : L’astrologie, la gauche et la science, Jean Bricmont & Diana Johnstone, Le Monde Diplomatique, août 2001

p. 231-232 : « Noam Chomsky réduit la recette, pourtant subtile, d’un débat public éclairé permettant de déboucher sur la vérité à un seul ingrédient : la liberté de dire, aussi, des choses fausses. »

Beh, oui… Si on n’a pas la liberté de dire des chose fausses, comment arriver à savoir ce qui est vrai ?

p. 232 : « Cette ligne rencontre rapidement ses limites : prioriser la liberté de dire des choses fausses sur tout le reste revient à soutenir l’expression de toute prise de parole, y compris misogyne, homophobe, antisémite ou négationniste. Et même lorsque cette prise de parole est le produit de stratégies politiques délibérément blessantes ou visant à obscurcir un débat. »

Comme je l’explique dans Les censeurs contre la  République édition actualisée et augmentée de La République des censeurs paru en 2014, et précédée d’une préface importante d’Étienne Chouard), ce genre d’assertions pose deux problèmes : qui décide ce que sont les prises de parole « misogynes, homophobes, antisémites ou négationnistes » ?  Je donne dans mon livre de nombreux exemples de personne poursuivies sur ces bases et qui n’ont rien dit de réellement répréhensible. De plus, quand on parle de « stratégies politiques délibérément blessantes ou visant à obscurcir un débat », on ajoute au délit d’opinion le délit d’intention.

p. 232 : De Sokal à Soral

Ça rime, mais quand on voit les attaques de Soral contre moi, ici ou , ça sonne faux.

p. 232 : « En 2010, au nom de cette liberté d’expression, Jean Bricmont s’investit dans une pétition demandant l’abrogation de la loi Gayssot, qui punit la contestation des crimes contre l’humanité perpétrés pendant la Seconde Guerre mondiale. Et prend la défense du négationniste Vincent Reynouard, condamné à de la prison ferme pour avoir distribué à plusieurs reprises des brochures niant l’Holocauste. »

Pour y répondre, je recopie ce que j’ai écrit dans Les censeurs contre la  République :

« Jean-Yves Camus, dans Charlie Hebdo, tout en admettant que de nombreux historiens sont contre les lois mémorielles, souligne, qu’en signant cette pétition, « on peut retrouver son nom à côté de n’importe qui », c’est-à-dire de l’extrême droite, puisque la « dépénalisation du négationnisme est d’abord la volonté des négationnistes.

Cette réaction illustre un problème que souligne Noam Chomsky : il n’y a pas, en France, de tradition de défense de la liberté d’expression par principe (et d’ailleurs, s’il y en avait une, la loi Gayssot qui permet de condamner Vincent Reynouard n’existerait pas). À gauche, on défend la liberté d’expression de son camp, et à droite de même. C’est ce qu’on pourrait appeler le « principe Hitler-Staline » : défendre la liberté d’expression pour les gens qui pensent comme moi.

Que toute défense de la liberté d’expression soit automatiquement suspecte de sympathie pour les thèses de la personne poursuivie est l’un des effets particulièrement pervers de cette situation. On crée ainsi un climat de terrorisme intellectuel qui, non seulement légitime le fait de mettre des gens en prison pour pur délit d’opinion, mais qui empêche toute discussion à ce sujet et garantit que pratiquement seule l’extrême droite protestera face à ce genre de situation. Jean-Yves Camus conseille aux signataires de suivre l’exemple de Mgr Gaillot qui, après avoir signé, a demandé de retirer sa signature, probablement à la suite de ce genre de pression.

Lorsque j’ai signé la pétition, j’étais convaincu de deux choses : que la pétition n’aurait aucun effet, persuadé que les autorités françaises n’allaient pas se soucier de l’avis de deux mille personnes, surtout si nombre d’entre elles sont « d’extrême droite » ; et, de plus, que cette signature serait utilisée pour me discréditer et « démontrer » mes supposés « liens » avec l’extrême droite, ce qui s’est effectivement produit. Cela dit, étant donné la totale opposition, à la fois politique et philosophique, entre mes vues et celles de Vincent Reynouard, je n’ai pas pu me résoudre à adhérer au « principe Hitler-Staline », que Charlie-Hebdo, ainsi qu’une grande partie de la gauche française, radicale ou non, semble tant aimer. »

p. 232 : « En août 2012, un article de Charlie Hebdo intitulé . Les soutiens bruns de Damas . lui reproche de s’être rendu au Moyen‑Orient aux côtés de figures antisémites et du crypto‑journaliste Michel Collon. »

C’est tout simplement faux : je n’ai été au Moyen‑Orient qu’en 2002 à une conférence scientifique à Beyrouth et en plus à l’université américaine. Par ailleurs, ils ne recopient même pas correctement l’article de  Charlie Hebdo qui ne m’accuse pas de cela.

p. 232 : « Son discours oppose systématiquement les principes de droits de l’Homme et l’ensemble des lois en vigueur (soit le droit positif) d’un côté et, de l’autre, l’« idéologie des droits de l’Homme » qui nierait l’existence des souverainetés nationales. »

Beh, oui… Si l’on estime que des guerres sont justifiées au nom du droit d’ingérence humanitaire, alors cela va à l’encontre des principes du droit international et de la Charte de l’ONU, fondés sur l’égale souveraineté des nations et le principe de non ingérence d’un État dans les affaires intérieures des autres.

p. 232 : « Invariablement, son propos occulte le fait que les mesures visant à encadrer l’expression de propos antisémites ou racistes tirent leur légitimité de logiques démocratiques : elles ont été votées et discutées dans les parlements. »

Si on ne pouvait pas critiquer des lois « votées et discutées dans les parlements », on ne pourrait jamais en changer.

p. 233 : « Opposant « liberté d’expression » et « gauche morale », Jean Bricmont s’en prend de manière frontale aux partis de gauche. En 2013, il intervient à l’université d’automne de l’Union populaire républicaine (UPR), le parti politique souverainiste de François Asselineau, lors d’une table‐ronde intitulée « Impérialisme humanitaire : droits de l’Homme, droit d’ingérence, droit du peuple ». »

Ici, ce n’est pas une question de liberté d’expression mais de défense du principe de la souveraineté nationale. Je ne suis pas le seul à la défendre. De Gaulle était « souverainiste » , la résistance aussi, Mendès France l’était, le PCF aussi quand il représentait quelque chose; les 55% de Français qui en 2005 ont voté par référendum contre le traité constitutionnel européen sont en majorité souverainistes.

Je ne crois pas qu’en l’absence de peuple européen (qui n’est même pas en construction) on puisse créer un État européen démocratique (ce sur quoi j’insiste). Il n’y a qu’à voir comment un État binational comme la Belgique se délite sans arrêt pour se convaincre de l’impossibilité de créer un véritable État européen, regroupant Finlandais et Espagnols, Polonais et Italiens etc. La seule chose possible, et qui est  le véritable « projet européen », c’est une construction supra-nationale bureaucratique. Je ne vois pas en quoi c’est une attaque contre la gauche que de s’y opposer.

p. 233 : « Devant un parterre de militants issus de la droite et proches de l’ancien bras droit de Charles Pasqua, il critique la condamnation de l’ancien humoriste Dieudonné pour sa chanson antisémite « Shoananas ». »

Je connais bien les militants de l’UPR ainsi que François Asselineau et ce n’est pas vrai qu’ils sont en général de droite, sauf à considérer que le principe de la souveraineté national l’est, ce qui met pas mal de monde à droite, y compris la révolution française, de Gaulle et le PCF ancienne manière. Pour ce qui est de la chanson « Shoananas », il faut savoir que c’était une réplique à la chanson « chaud cacao » d’Annie Cordy (https://www.youtube.com/watch?v=xIBu6Bf0A58), qui véhiculait pas mal de clichés sur les Africains. Bien sûr  Annie Cordy n’avait aucune mauvaise intention en faisant ce clip, mais pour des gens comme Dieudonné et d’autres  afro-descendants, c’est bien cela le problème: qu’on puisse avec une parfaite bonne foi véhiculer ces clichés et que cela ne choque personne. Dieudonné a voulu, en choquant d’une autre façon, souligner l’incongruité de la situation.

p. 233 : « Jean Bricmont ne se reconnaît plus dans une « vieille gauche » à laquelle il aurait appartenu et qui serait hostile à la liberté d’expression et à la souveraineté nationale. »

Non, c’est dans la nouvelle gauche, issue des années 60, que je ne me reconnais plus.

p. 233 : Ils citent un exposé oral où je commence par dire, pour caractériser la position d’une certaine gauche radicale : « vous êtes raciste [à leurs yeux] quand vous faites une distinction entre nationaux et étrangers” et j’ajoute, toujours à propos de cette gauche :  « vous êtes obligés de dire que cette distinction est illégitime. Mais si cette distinction est illégitime, alors – c’est comme avec le droit international et les dictateurs qui massacrent leur peuple – vous faites sauter la souveraineté nationale des pays européens maintenant. »

Beh oui… La souveraineté nationale présuppose une distinction entre nationaux et étrangers. Or beaucoup de militants « antiracistes », en particulier les antifas, les no-border etc. considèrent cette distinction comme raciste et illégitime.

p. 234 : « Pour Jean Bricmont, le combat contre le racisme aussi bien que la défense des droits LGBTQ+ constituent des idéologies dominantes ou une censure d’État. »

Je n’ai jamais dit qu’on ne pouvait pas combattre le racisme avec des arguments ni critiqué la défense des droits LGBTQ+. Je suis opposé aux poursuites juridiques pour délit d’opinion, c’est tout.

p. 234 : « En 2014, il publie aux éditions de L’Herne un livre qui fait suite aux interdictions des spectacles de Dieudonné, La République des censeurs. Il y revient sur le cas du négationniste Robert Faurisson. Plusieurs historiens étrangers en poste dans des universités prestigieuses, assure‐t‐il, auraient avancé des thèses comparables à celles de Faurisson sans pourtant jamais avoir été inquiétés par la justice. »

Je donne beaucoup d’exemples ce que disent des historiens insoupçonnables de sympathies nazies. En voici un, extrait de Les censeurs contre la  République:

« Arno Mayer, historien, professeur à Princeton et très marqué à gauche, est l’auteur de La « Solution finale » dans l’histoire, publiée en 1990 chez un éditeur non suspect de sympathies nazies (La Découverte)[3]. Néanmoins on peut y lire, entre autres, que les sources sur les chambres à gaz sont « rares et peu sûres […]. On n’a jusqu’à présent, découvert aucun ordre écrit prescrivant nommément les gazages […]. Nos connaissances se fondent, pour l’essentiel, sur les dépositions des fonctionnaires nazis et de leurs exécutants lors des procès de l’après-guerre et sur les souvenirs des survivants et des témoins. Ces sources doivent faire l’objet d’une critique attentive, parce que leur valeur peut dépendre de facteurs subjectifs très complexes […]. Dans leur état actuel, les sources comportent incontestablement un grand nombre de contradictions, d’obscurités et d’erreurs. […] de 1942 à 1945, à Auschwitz en tout cas, les causes dites « naturelles » tuèrent plus de juifs que les causes « non naturelles ». [..] Combien [de déportés] furent condamnés à mourir de mort « naturelle » et combien furent assassinés ? Et quel fut le pourcentage de juifs parmi ceux que l’on massacra de sang-froid – parmi ceux qui passèrent dans les chambres à gaz ? Il n’existe à l’heure actuelle aucune réponse à ces interrogations. »

J’ajoute, pour éviter toute « ambiguité » :

« Arno Mayer ajoute que ces « lacunes » « ne constituent en aucune manière un argument suffisant pour mettre en doute le fait même que les chambres à gaz furent utilisées à Auschwitz pour exterminer les Juifs», mais il s’exprime néanmoins d’une façon qui peut prêter à confusion. Si un physicien ou un biologiste dit que les sources concernant le Big Bang, l’évolution, ou l’impact de l’homme sur le climat sont « rares et peu sûres », on sera naturellement porté à penser que ce scientifique a des doutes sur la théorie en question. Bien sûr, ce n’est pas le cas ici, mais la façon dont Mayer s’exprime est maladroite. »

Mais je ne dis pas que ces propos sont comparables à ceux de Faurisson, puisqu’ils ne le sont pas. Mais je dis qu’ils vont bien au-delà ce qu’ont pu dire de gens comme Bruno Gollnisch, qui a essentiellement dit que les historiens doivent être libres et qui a, pour cela, été suspendu d’enseignement pendant cinq ans par son université et poursuivi devant les tribunaux (mais blanchi par la Cour de cassation) ou Etienne Chouard qui est actuellement poursuivi pour avoir dit qu’il n’avait pas étudié la question (des chambres à gaz).

Et bien sûr, ils vont bien plus loin que ceux de gens qui ont été traînés dans la boue et diabolisés, comme Chomsky ou l’abbé Pierre, et qui se sont limités à défendre la liberté d’expression.

p. 234: « Selon lui, une logique « a été instaurée lors de l’affaire Faurisson», et offre la possibilité à « des groupes mémoriels auparavant marginalisés comme les descendants d’esclaves d’utiliser à leurs propres fins, même si c’est à tort, la logique de la censure et de la vérité d’État. »

Beh oui…. C’est exactement ce dont les médias dominants se plaignent aujourd’hui face aux revendications « indigénistes » ou des « afro-descendants », dont je donne plusieurs exemples dans Les censeurs contre la  République.

p. 234 : Ils me citent : « Imaginons qu’on oublie tout de l’Occupation et des persécutions antisémites. Pourquoi cela provoquerait‐il une nouvelle invasion de la France (et par qui ?) et une nouvelle collaboration ? Certains s’inquiètent de ce que, selon des sondages, une bonne partie de la jeunesse française ignore ce qu’était la “rafle du Vél d’Hiv’”. Soit. Mais qui va arrêter aujourd’hui des milliers de Juifs pour les déporter (et où) ? Si l’on oubliait tout de la guerre d’Algérie, qui penserait une seconde à aller recoloniser ce pays ? Si on oubliait tout du Goulag, cela ferait‐il apparaître un nouveau Staline ou un nouveau Thorez ? Qui sait exactement ce qu’était la Saint‐ Barthélemy ? Mais qui veut persécuter les protestants ? Il suffit de se poser ce genre de questions pour se rendre compte de l’absurdité du dogme. » (Les censeurs contre la République, p. 221-222)

Beh oui… Ils me citent comme si ce que je disais était évidemment absurde. Le dogme dont je parle un peu plus haut dans le livre, qui est « supposé justifier l’incessant « devoir de mémoire » est « que ceux qui ignorent leur histoire sont condamnés à la répéter ». » C’est simplement faux et les exemples que je donne ici le prouvent. Je cite aussi à la fin du livre l’édit de Nantes par lequel Henri IV interdisait à ses sujets d’entretenir les haines du passé et se reprochant mutuellement les crimes commis pendant les guerres de religion. C’est une attitude bien plus sage, à mon avis, pour favoriser le « vivre ensemble » que l’actuel « devoir de mémoire ».

p. 235 : Ils me citent : « Rien n’est plus irritant que de voir des gens comme Ruffin, le PCF et d’autres groupes “radicaux” qui disent voter Macron le 7 pour bloquer le fascisme et vouloir s’opposer à lui dès le lendemain […]. Marine est gaulliste, pas fasciste, le seul enjeu de l’élection c’est l’écart entre elle et Macron. Vouloir maximiser cet écart en votant Macron revient à lui donner un maximum de légitimité et à rendre le plus difficile possible les luttes futures. » Et, un autre jour : « Ne venez pas nous parler de barrage au fascisme ! Le fascisme n’est pas candidat à cette élection. »

Beh oui… Pour moi le fascisme suppose la dictature d’un parti unique avec un chef à sa tête (Mussolini ou Hitler). C’est vrai que j’utilise ce mot dans un sens historique et pas métaphorique (sinon on peut appeler fascistes tous ceux qu’on n’aime pas). Mais dans ce sens là, ni le FN-RN, ni l’AfD, ni la Ligue italienne, ni Trump, ni le parti d’Orban ne sont fascistes. On peut avoir des satisfactions temporaires et narcissique en les traitant de « fascistes » mais je maintiens que c’est une erreur politique de mélanger ainsi les notions (outre que c’est aussi une « banalisation du fascisme »).

Et oui, comme Macron allait évidemment être élu, je trouvais idiot de vouloir maximiser son score tout en prétendant le combattre par la suite. On peut toujours s’abstenir.

p. 236 : « C’est comme ça que je vois l’héritage du postmodernisme », explique Jean Bricmont durant l’entretien[4]. « C’est‐à‐dire que l’humanité est divisée en catégories, en groupes de gens : les hommes, les femmes, les homosexuels et hétérosexuels, les blancs, les noirs, enfin peu importe. Et chacune de ces catégories a sa vision du monde qui lui est propre et qui est intrinsèque à son identité. Et ces visions du monde sont d’une certaine façon incommunicables car il n’y a pas de terrain commun. Il n’y a pas de raison commune. Et alors ça, évidemment, ça mène à… C’est catastrophique parce que ça empêche toute réelle communication entre des êtres humains. »

Beh oui… Cette critique du postmodernisme est citée sans commentaire comme si elle était absurde, alors qu’elle n’est même pas originale.

p. 236 : « Entre 2016 et 2017, une série de prises de position creusent encore un peu plus le fossé qui le sépare des mouvements de gauche. »

Tout dépend de ce qu’on appelle « gauche ». Si on inclut dans la « gauche » la défense de la paix, de la souveraineté nationale et de la liberté d’expression (notions qui ne choqueraient presque personne dans la gauche latino-américaine par exemple) alors oui ma « gauche » est antagonique à celle de Libé et du Monde.

p. 237 : « En octobre 2013, il envoie au Monde une tribune intitulée « Faut‐il débattre avec les climatosceptiques ? ». »

Je ne me souviens pas d’avoir envoyé  au Monde une telle tribune et, vu l’opinion que j’ai de ce journal, il est très peu probable que je l’aie fait. Il existe néanmoins une tribune avec ce titre dans Le Monde, mais écrite par d’autres que moi et argumentant contre l’idée de débattre avec les climatosceptiques.

p. 237 : Il citent cette tribune envoyée, selon eux, au Monde: « On nous explique aussi que les sceptiques sont payés par les industries fossiles. D’une part, je sais, d’expérience, que c’est faux, et les perplexes sont trop nombreux pour être payés par qui que ce soit. D’autre part, il ne faut pas oublier les moyens consentis au Giec par les États ; on ne peut pas nier non plus l’existence et la puissance des lobbies écologistes. Ceux qui font leur coming out comme sceptiques sont souvent traînés dans la boue par les orthodoxes et ceci explique pourquoi il y a en fait pas mal de sceptiques “dans le placard” ».

Beh oui… Ayant discuté depuis des dizaines d’années à la fois avec des membres ou partisans du Giec et des  « climatosceptiques », je maintiens ce que je dis là. Et comme pour tout le reste, je maintiens que l’absence de débat ou plus exactement le refus du débat par une des parties renforce le scepticisme au lieu de le combattre.

Et cela est vrai même pour le négationnisme; à ce propos je cite dans Les censeurs contre la  République  un intellectuel catholique italien, Franco Cardini :

« Attention : ne sous-estimez pas ce que je vais dénoncer : c’est le fruit de l’expérience d’un vieux monsieur peut-être pas trop intelligent (mais assez cultivé et expérimenté), qui ne cesse de voyager, qui écoute ce que disent les gens dans le train ou dans les bars ; quelqu’un qui par sa profession participe constamment à des congrès et à des débats ; qui parle avec des jeunes de toutes les régions de l’Italie et du monde et qui est en contact, comme catholique, avec beaucoup de ses coreligionnaires ; […] Eh bien, gardez-vous bien, parce que ceci est vrai : vous pouvez l’appeler comme vous voulez, désormais le « révisionnisme-négationnisme » est en train d’ouvrir une brèche en catimini ; le nombre de personnes qui, sans oser l’admettre, sont impressionnées et troublées par certains arguments ne cesse de  croître. Le nombre de ceux qui en public affirment une chose et en privé soutiennent exactement le contraire est en train de croître aussi. Et vous savez pourquoi ? À cause du fait qu’on persécute ceux qui défendent ces idées et on les condamne sans leur donner le droit de parler et sans riposter. Mais de cette manière se crée dans l’opinion publique le sentiment croissant que, si on en a peur, c’est que ces gens-là disent des vérités ; et c’est cela qui peut constituer les prémisses d’une nouvelle vague de préjugés antisémites, même s’il est difficile d’imaginer sous quelles formes elle pourrait se manifester. »

Il suffit d’aller sur les réseaux sociaux pour vérifier ce qu’il dit. Et le climatoscepticisme est extrêmement répandu aux EU. On ne va pas le combattre éternellement par le silence et l’intimidation.

Sur l’importance du débat sur toutes ces questions, mon point de vue est le même que celui de John Stuart Mill : « ce qu’il y a de particulièrement néfaste à imposer silence à l’expression d’une opinion, c’est que cela revient à voler l’humanité : tant la postérité que la génération présente, les détracteurs de cette opinion davantage encore que ses détenteurs. Si l’opinion est juste, on les prive de l’occasion d’échanger l’erreur pour la vérité ; si elle est fausse, ils perdent un bénéfice presque aussi considérable : une perception plus claire et une impression plus vive de la vérité que produit sa confrontation avec l’erreur. »[5]

Quand je cite cette phrase, j’insiste toujours sur la fin : la « perception plus claire et l’impression plus vive de la vérité que produit sa confrontation avec l’erreur. »

p. 237 : Ils parlent de moi comme de « celui qui peste à longueur de déclarations publiques contre les mouvements féministe et LGBTQ +. »

Je voudrais bien savoir où j’ai « pesté » contre ces mouvements. J’ai toujours été favorable à l’avortement libre et gratuit, au mariage pour tous etc. Mais il y a une différence entre cette attitude et considérer que ceux qui ne la partagent pas doivent être censurés, diabolisés etc. Il y a aussi une différence entre cette attitude et refuser de débattre sereinement des différences biologiques entre hommes et femmes.  Les droits de femmes ne sont en réalité pas affectés, si l’on raisonne correctement (en séparant faits et valeurs), par l’étude de ces différences.

p. 238 : « Face aux sorties de route répétées de l’une de ses grandes figures intellectuelles, le monde rationaliste est tiraillé. Traversé d’ambivalences et d’hésitations, le milieu sceptique et zététique se demande s’il faut tirer un trait sur l’héritage de l’affaire Sokal. Le 1er avril 2015, Jean Bricmont est invité à donner une conférence par l’association zététique Cortecs à l’université de Grenoble. Des groupes antifascistes tentent, en vain, de faire annuler la présentation, intitulée « Science et liberté d’expression : de Voltaire à Chomsky». Lors de la séance de questions, de nombreux militants zététiques contredisent le physicien sur sa vision toute particulière de la liberté d’expression et son soutien apporté à des négationnistes. »

D’abord, on voit mal en quoi mes « sorties de route » (j’adore cette expression qui me rappelle la parole de Jésus : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie »; pour les auteurs du livre, il semble qu’il y a une route unique à suivre) ont à voir avec l’affaire Sokal (bien sûr Sokal partage mon opinion sur la liberté d’expression, mais uniquement parce qu’elle est banale).

Pour ce qui est de la séance de questions elle est visible en ligne ici.

Chacun peut juger par lui-même de la nature des objections et de la sérénité du débat.

Mais plus profondément, je trouve qu’il y a quelque chose d’extraordinaire pour des journalistes d’approuver des groupes antifascistes qui ont tenté, « en vain, de faire annuler la présentation, intitulée « Science et liberté d’expression  : de Voltaire à Chomsky ». »

D’abord, ma conception de la liberté d’expression n’a rien d’original ou de particulier : c’est plutôt le fait d’accepter qu’on mette des gens en prison pour délit d’opinion qui est une conception « particulière » de cette liberté.

Mais surtout, qu’est-ce que cela à voir l’antifascisme? Comme je l’écrivais dans  Les censeurs contre la  République : « s’il suffit de défendre la liberté d’expression pour être classé à l’extrême droite, alors Voltaire, Robespierre [6], Mill, Marx, Bakounine, Rosa Luxembourg, Russell et Chomsky doivent être considérés comme d’extrême droite. »

Pour moi, rien n’illustre plus l’inversion des valeurs opérée par la « nouvelle gauche » que le fait de considérer comme antifasciste la lutte contre la liberté d’expression.

p. 239 : « Jamais, non plus, Jean Bricmont ne prend en compte le fait que des personnes puissent chercher à se politiser ou à se construire rationnellement contre des expériences de discrimination dont elles s’estiment victimes. »

Invention pure et simple. J’ai toujours trouvé que les gens discriminés avaient raison de se révolter !

p. 239-240 : « En septembre 2017, Jean Bricmont en vient à défendre Stéphane Mercier, un professeur « catho tradi » – comme il le décrit lui‐même. L’enseignant assimile le droit à l’avortement à un « retour de la barbarie», et plusieurs étudiants et étudiantes de l’Université catholique de Louvain, en Belgique, ont protesté. À une certaine époque, un rationaliste se serait réjoui de voir les idées de progrès atteindre l’intérieur même d’un bastion catholique. Mais ce n’est pas le cas de Jean Bricmont. Il soutient l’enseignant, dont le contrat n’a pas été reconduit. « Des étudiants ou étudiantes se sont plaints aux mouvements féministes, qui ont alerté les médias », regrette‐t‐il dans le même entretien sur YouTube. « Et l’université s’est couchée devant les médias et les féministes. […] Les étudiantes ne peuvent pas entendre un argument contre l’avortement. Je ne suis pas d’accord. Même si elles ont avorté, même si c’est pénible, etc. Je ne suis pas d’accord car l’avortement est quand même une question. On n’a pas le droit d’avorter à huit mois et demi. Et si on a le droit d’avorter jusqu’à trois mois, maintenant il doit y avoir un argument de pourquoi c’est trois mois et pas huit mois et demi. Donc on doit au moins réfléchir à l’argument. Ce n’est pas un droit qu’on utilise tout le temps. Ce n’est pas “mon corps m’appartient”. »

Beh oui… Autant j’ai toujours défendu l’avortement libre et gratuit et manifesté en sa faveur à une époque (dans les années 70) où le faire en travaillant dans une université catholique n’était pas si simple, autant je pense qu’on ne doit pas punir un professeur de philosophie qui défend une opinion opposée à l’avortement, par une sorte de cléricalisme inversé.

Je note au passage que mon université n’est plus un « bastion catholique » depuis longtemps, sinon  Stéphane Mercier n’aurait pas été remercié ainsi.

Ce qui est plus fondamental, c’est que l’université a cédé à des pressions extérieures venant de la « société civile ». Pendant des siècles les universités se sont battues pour être indépendantes des Églises et des États. Mais aujourd’hui elle cèdent à des organisations qui ont certes des relais médiatiques, mais qui n’ont aucune légitimité démocratique, et c’est bien cela le problème.

Je donne un autre exemple du succès de ce genre de pressions dans Les censeurs contre la  République : un professeur de philosophie, M. Philippe Soual, a été empêché de donner un cours sur Hegel à l’université Toulouse 2 Jean Jaurès comme intervenant extérieur dans le cadre de la préparation à l’agrégation sous la pression d’associations LGBTQ+ parce ce professeur est par ailleurs membre de la « manif pour tous ».

Et, non, je ne pense pas que faire pression pour interdire ce genre de cours fasse partie de la défense des droits des LGBTQ+.

Je ne sais d’ailleurs pas si les auteurs du livre se rendent compte de ce à quoi mène le fait pour les universités de céder à ce genre de pressions. Il n’y a qu’à voir les ravages de la « cancel culture » aux États-Unis. Il faut aussi  voir ce qui se passe en France,  où ces annulations de conférences attaquent aussi des personnalités « respectables » comme lorsque la philosophe Sylviane Agacinski, femme de Lionel Jospin, est empêchée de parler à l’université de Bordeaux Montaigne  à cause de ses positions anti-PMA et anti-GPA.  Ou lorsque des étudiants empêchent François Hollande de parler à l’université de Lille. Peut-on au moins se demander où tout cela va s’arrêter ?

p. 240 : « À rebours de cette histoire, la position de Jean Bricmont revient à faire des positions féministes et de la défense de la contraception des éléments d’un discours officiel, porté uniquement par l’État – et non des droits acquis récemment, qui dépendent toujours de rapports de force sociaux et politiques. »

La défense de la contraception maintenant? Où ai-je jamais objecté à la contraception? Et qui le fait en France aujourd’hui? On est dans le pur fantasme.

p. 241 : « Jamais, non plus, Jean Bricmont n’a prononcé un mot sur la finalité des groupes d’extrême droite : suspendre les libertés publiques qui rendent la liberté d’expression possible. À leur arrivée au pouvoir, la suppression des départements de philosophie est pourtant l’une des premières mesures prises, dans la Hongrie de Viktor Orban et ailleurs. »

Je ne suis pas spécialiste de la Hongrie (et encore moins du « ailleurs » non spécifié) mais je ne connais aucun « régime » qui a supprimé tous les  départements de philosophie et je doute fort que ce soit le cas en Hongrie aujourd’hui [7]. Peut-être confondent-ils avec les études de genre? Mais c’est alors un tout autre débat: la philosophie existe depuis la Grèce antique et est étudiée dans le monde entier, les études de genre depuis bien moins longtemps et elles sont bien moins universelles.

Par ailleurs, j’ai énormément d’amis (plus que la plupart des physiciens) dans des départements de philosophie et j’ai fait quantités de séminaires dans ces départements, mais évidemment  plutôt dans ceux de tendance analytique que continentale (c’est d’ailleurs assez irritant d’entendre souvent parler en France de LA philosophie, désignant par là la philosophie continentale, et faisant comme si l’autre école de philosophie, l’analytique, bien plus importante à l’échelle mondiale, n’existait pas).

Mais si c’est si mal de « suspendre les libertés publiques qui rendent la liberté d’expression possible » alors pourquoi applaudir quand on cherche à annuler des conférences dans des universités?

p. 241 : « En mai 2019, le syndicat étudiant Solidaires et des militants de gauche protestent contre l’invitation de Jean Bricmont à l’université de Nice pour une conférence de physique. L’université finit par annuler la rencontre. Si on l’empêche de parler, c’est bien la preuve qu’il a raison : voilà le raisonnement que tient Jean Bricmont – dont le positionnement se renforce en fonction des réceptions de son discours. Conforté dans son idée d’une impossibilité de « discuter » à l’université, le physicien s’empresse de se plaindre de l’incident dans Russia Today . »

D’abord, l’annulation fait suite à une « alerte » lancée par un certain David Nakache, qui n’a aucun lien avec l’université. Et le syndicat étudiant Solidaires n’a pas simplement protesté contre mon invitation mais a menacé de « mettre le zbeul » si le séminaire devait avoir lieu (en réalité, il a eu lieu, mais de façon plus ou moins clandestine).

Où ai-je dit que si l’on m’empêche de parler, c’est bien la preuve que j’ai raison ? Nulle part et ce n’est pas ce que je pense.

Mais je continue à trouver extraordinaire qu’on approuve le fait d’annuler un séminaire de physique à cause des opinions politiques de l’orateur. J’ai du mal à imaginer un « régime » actuel, en dehors de France, qui ferait cela; certainement pas les régimes « autoritaires » de Hongrie, Pologne, Russie etc. Dans le passé j’ai parlé de sciences en URSS (avant Gorbachev), en Russie, au Maroc sous Hassan II; jamais je n’aurais pu imaginer que ces « régimes » m’empêchent de parler de physique à cause de mes opinions politiques (qui n’étaient pas les leurs).

Ils ajoutent : « Conforté dans son idée d’une impossibilité de « discuter » à l’université, le physicien s’empresse de se plaindre de l’incident dans Russia Today. » [8].

Est-ce que supprimer un séminaire de physique à cause des opinions politiques de l’orateur n’est pas une preuve de, disons, l’extrême difficulté de « discuter » à l’université? Et, à tout le moins, une forme très forte d’intimidation à l’égard de tout universitaire ayant des vues hétérodoxes?

Dans Les censeurs contre la République, je note à propos de cette annulation : « ce qui est peut-être encore plus extraordinaire que l’annulation de ce séminaire, c’est qu’une lettre ouverte adressée au président de l’université de Nice et protestant contre cette annulation a été rédigée par mon ami et coauteur le physicien Alan Sokal et a été signée par une dizaine d’intellectuels connus, dont le biologiste Richard Dawkins, le spécialiste des sciences cognitives Steven Pinker, le Prix Nobel de physique Steven Weinberg, ainsi que par Noam Chomsky et, en France, par la journaliste et écrivain Peggy Sastre et le sociologue Gérald Bronner. Elle a été soumise pour publication et refusée par Le Monde, Le Figaro, Le Point, Mediapart et Marianne. » (la lettre est publiée en annexe de mon livre).

C’est très bien de me reprocher de parler à RT, mais vers où se tourner quand on voit qu’une lettre même signée par de telles personnalités est impubliable dans les médias « respectables » ?

p. 242 : « En 2008, l’opus de Jean Bricmont sur ce qu’il avait appelé l’« impérialisme humanitaire» avait été encensé sur le site Spiked, animé par les militants britanniques de Living Marxism devenus libertariens. »

Ils pourraient ajouter que le livre a eu huit éditions (y compris en langues étrangères) et que, grâce à ce livre, j’ai été invité en 2009 à parler (contre le droit d’ingérence) à l’Assemblée générale des Nations Unies, invitation lancée par le président de cette assemblée à l’époque, le père D’Escoto, prêtre nicaraguayen et sandiniste. Oui, hors de France, tout le monde n’a pas abandonné la défense de la souveraineté nationale. Bref, il n’a pas été cité que par Spiked (de plus, si des libertariens sont anti-guerre, qu’il y a-t-il de mal à être cité par eux?).

Le reste du chapitre revient sur l’affaire Sokal et l’affaire Sokal au carré (https://fr.wikipedia.org/wiki/Canular_Sokal_au_carr%C3%A9) avec des assertions parfaitement gratuites comme : « L’affaire Sokal et son sequel sont définitivement entrés dans le champ gravitationnel de la planète libertarienne. Une planète où la discussion scientifique répond à une définition très particulière et où le prix de la vérité est indexé sur les milliards d’euros injectés dans l’espace public par des industriels pollueurs. » La seule « justification » de ce genre d’affirmation c’est la culpabilité par association : des sites libertariens ou libéraux relayent l’affaire Sokal au carré. Et alors?

 

Conclusions

  1. Deux des auteurs du livre, Stéphane Foucart et Stéphane Horel, sont des journalistes d’investigation, qui ont reçu le Prix européen du journalisme d’ d’enquête en 2018[9]. Ils travaillent pour le « journal de référence » français.

Je n’ai pas lu le travail pour lequel ils ont été récompensé, mais quand je vois les approximations, déformations d’opinion ou faussetés (non, je n’ai pas été au Moyen‑Orient aux côtés de figures antisémites et du crypto‑journaliste Michel Collon) que contient ce chapitre (et, de ce que je sais,, il en va de même pour le reste du livre), je ne peux m’empêcher de me poser des questions sur la qualité du « journalisme d’enquête » français et européen.

Et je ne suis pas étonné de ce qu’a découvert un chercheur indépendant, Laurent Dauré, à savoir que 98% des médias français (tous sauf Le Monde Diplomatique) ont avalé toute crue l’histoire du Russiagate  à propos de laquelle on attend toujours des preuves solides (https://ruptures-presse.fr/actu/analyses/russiagate-media-theorie-complot-collusion-trump-russie-poutine-election-americaine/).

  1. On se trouve dans un combat où l’inégalité des armes est total : des journalistes du Monde et un sociologue peuvent dire ce qu’ils veulent sur moi, faire autant de culpabilité par association qu’ils le souhaitent et déformer à loisir mes propos, ils ont tous les moyens de le faire et moi je n’en ai presqu’aucun pour leur répondre (si je ne peux même pas parler de physique, on voit mal comment je pourrais répondre à des journalistes du Monde).

On pourrait penser que Robespierre avait anticipé la parution de ce livre quand il écrivait :

« Qui ne voit combien le combat est inégal entre un citoyen faible, isolé, et un adversaire armé des ressources immenses que donnent un grand crédit et une grande autorité ? Qui voudra déplaire aux hommes puissants, pour servir le peuple, s’il faut qu’au sacrifice des avantages que présente leur faveur, et au danger de leurs persécutions secrètes, se joigne encore le malheur presque inévitable d’une condamnation ruineuse et humiliante ? » (extrait  du discours cité dans la note 5).

  1. Les auteurs se fatiguent à me présenter comme étant d’extrême-droite; mais la caractérisation faite par un libéral belge qui me considère comme un « fossile marxiste »[10] est beaucoup plus juste. Je ne suis pas sûr d’être un bon marxiste, mais fossile me plaît.

En effet, il y a beaucoup de choses qui ne me plaisent pas dans notre époque :

  • le relativisme et le subjectivisme généralisés.
  • une écologie politique qui adore la science quand elle semble critiquer la société industrielle (sur le réchauffement climatique) mais l’ignore sur plein d’autres sujets (OGM, 5G, nucléaire, médecine scientifique).
  • et surtout, une « gauche » comme celle incarnée par les auteurs du livre qui, loin d’être marginalisée et persécutée comme l’était l’ancienne gauche, au moins dans sa version radicale, a pignon sur rue dans Le Monde, Libé, L’Obs…, décide qui a le droit de parler ou non, dénonce comme raciste, homophobe ou antisémite tous ceux qui ne leurs plaisent pas, sans leur permettre de répondre, est entièrement alignée sur l’Otan et l’UE, applaudit les guerres humanitaires, et agite l’opinion contre la Russie, la Chine, la Syrie, l’Iran ou le Venezuela.

Cette gauche là est de plus en plus détestée; elle a eu pour résultat de faire du FN-RN le « parti de la classe ouvrière », de même pour Trump et les républicains aux États-Unis ou pour le Brexit. Face à cela, cette gauche ne répond que par le mépris envers les masses de « déplorables » comme les appelait H. Clinton, et par des appels à plus de contrôle de la parole.

Une seule chose est sûre, c’est que ça va mal se terminer.

Jean Bricmont

 

[1]   Pour d’autres critiques du livre, voir celle de Frank Ramus, directeur de recherches au CNRS et professeur de psychologie attaché à l’Ecole Normale Supérieure http://www.scilogs.fr/ramus-meninges/les-champions-de-lintox/, de Thomas Durand (12/09/2020). La raison n’est pas un trophée – Réponse à Foucart, Horel et Laurens. Blog La Menace Théoriste et du Conseil d’administration de l’AFIS (18/09/2020). Journalisme d’insinuation : après les articles, le livre. Site de l’AFIS.

[2] J’indique en bleu les citations de Les gardiens de la raison Enquête sur la désinformation scientifique et en vert les citations de moi, orales et écrites.

[3] Le même que celui du livre discuté ici.

[4] Entretien donné à l’occasion des vingt ans de l’affaire Sokal, sur la chaîne YouTube de Laurent Dauré intitulée « Lumières ! », https://www.youtube.com/watch?v=4N04Z-0amII.

[5]  J. S. Mill, De la liberté (1859);  préface de P. Bouretz, traduction française de L. Lenglet, Paris, Gallimard, 1990, p. 85.

[6] Dont je cite abondamment dans le livre son excellent  Discours sur la liberté de la presse, prononcé à la Société des amis de la Constitution, le 11 mai 1791, par Maximilien Robespierre, député à l’Assemblée nationale, et membre de cette société. Disponible sur : The Project Gutenberg EBook of Discours par Maximilien Robespierre.

[7] En deux clics, j’ai quand même trouvé une liste d’enseignement de philosophie et éthique à Budapest : https://admissiontestportal.com/studyabroad/hungary/budapest/philosophy-ethics.

[8] Comme le lien qu’ils donnent à l’article de RT ne fonctionne pas, le voici : https://francais.rt.com/france/62617-seminaire-jean-bricmont-sur-physique-quantique-annule?fbclid=IwAR2DH-rA0cIRNANpRPhYADke57XZi1P2IN0VF1xNGPd-jwS-2MspmBpqrU8

[9] https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/03/15/stephane-foucart-et-stephane-horel-recompenses-par-le-prix-europeen-du-journalisme-d-enquete_5271575_3244.html.

[10] Immédiatement recadré par Conspiracy Watch qui insiste pour me présenter comme d’extrême-droite: https://twitter.com/conspiration/status/1302684536749395970.

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fbougnet
3 années il y a

Jean Bricmont se donne beaucoup de peine pour répondre à des auteurs qui sont pour le moins négligents, sinon mal intentionnés, c’est la preuve en acte qu’il croit à ce qu’il défend quant à la liberté d’expression. Les faits aujourd’hui illustrent une fois de plus ce qu’est la réalité de la France: un pays soumis à une idéologie totalitaire, qui met Hervé Ryssen en prison, après avoir contraint Vincent Reynouard à l’exil, en attendant Soral et Dieudonné. Triste pays où Le Monde est considéré par une majorité de la classe dirigeante comme une référence morale.

Jacques REY
3 années il y a

Il y a plus de 25 ans, l’éminent philosophe du langage et de l’esprit, John R. Searle, s’était interrogé sur l’étrangeté qui était en train de s’implanter dans les facultés états-uniennes de sciences sociales, c’est-à-dire la mise cause radicale de la rationalité (basée sur la loi logique de non contradiction) et du réalisme (basée sur le principe que la réalité existe en elle-même hors de la conscience qu’on a de cette réalité), principes hérités de plus de 2500 ans de pensée européenne. Pourtant cette pensée avait fait progresser la connaissance, seul bien commun libérateur de l’humanité tout entière. En 1993,… Lire la suite »

Méc-créant
3 années il y a

Bonjour. Bricmont, que je respecte, tant pour ses prises de positions et ses réflexions que je partage assez bien, représente pour moi une sorte de mystère, une contradiction vivante. Il condamne une forme de « relativisme » actuel régnant mais, même si c’est « un peu facile », j’aurais presque envie de lui demander s’il n’y a aucune responsabilité de la part d’un défenseur de la théorie de la Relativité: celle qui déforme temps et espace ? « Comment peut-on être Persan » s’interrogeait un ancien. Comment peut-on être, sinon « bon marxiste » (qu’est-ce que c’est ? aurait dit Marx), du moins matérialiste cohérent, et accepter une… Lire la suite »

Les champions de l'intox | Ramus méningesRamus méninges
2 années il y a

[…] Bricmont (27/09/2020). Des journalistes du Monde et un sociologue attaquent Jean Bricmont dans un livre : il répond. Le média pour […]

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