Le postmodernisme en sciences : le cas Raoult


Le soir

Didier Raoult, médecin et microbiologiste, professeur à l’Institut Hospitalier Universitaire (IHU) Méditerranée Infection a déposé plainte pour « harcèlement, tentative de chantage et d’extorsion » le 29 avril 2021 à l’encontre d’Elisabeth Bik, microbiologiste et consultante en intégrité scientifique pour le site PubPeer, un forum de critique d’articles scientifiques, et Boris Barbour, administrateur de ce site et directeur de recherche à Paris. Cette plainte fait suite à une soixantaine de commentaires critiques émis par Bik sur PubPeer à propos d’articles de Raoult sur de possibles oublis de déclaration de conflits d’intérêts, la duplication de certaines données ainsi que de potentiels problèmes éthiques.

Une pétition réunissant plus d’un millier de chercheurs a dénoncé la plainte de Raoult comme étant « une stratégie de harcèlement et de menaces » et a appelé à protéger la critique post-publication des articles scientifiques. Le comité d’éthique du CNRS a exprimé son soutien à Bik et Barbour. L’affaire a été commentée par les revues les plus prestigieuses en sciences (voir aussi le site nature.com). De son côté, Didier Raoult revendique publiquement la pratique d’une science postmoderne afin de délégitimer toute critique à son encontre.

Quels sont les réels enjeux de cette plainte pour qu’elle mobilise autant de scientifiques ?

Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord rappeler les différentes significations du postmodernisme en science, et, dans un second temps, analyser la position de Raoult afin de préciser à quelle conception du postmodernisme il se rattache. Loin d’être d’un intérêt strictement académique, l’enjeu de cette polémique est la place de la science dans la gouvernance de notre société.

Vous avez dit « postmodernisme » ?

Le concept de postmodernisme ou postmodernité renvoie tout d’abord au concept de « modernité ». Ce concept touche à la fois la philosophie et la sociologie. Il caractérise la société qui a rompu avec le Moyen Âge qui fait confiance à la raison et à la liberté de pensée, ce qui a conduit à l’émergence de la science, des droits de l’Homme et de la démocratie.

Le 20e siècle est à la fois le moment d’épanouissement de la modernité et de sa crise. En effet, la science, la démocratie, les droits humains connaissent durant ce siècle un développement qui a parfois été bien au-delà de ce qui était attendu : suffrage universel, vaccination, thérapies génétiques, conquête de l’espace, etc. Par ailleurs, la science a aussi été mise au service des projets les plus atroces durant les guerres et la colonisation, démontrant que la modernité pouvait également être source d’inégalités, d’oppression et de violences extrêmes.

Bien qu’on puisse faire remonter les racines du postmodernisme à la pensée de Nietzsche qui a dénoncé la rationalité comme source d’illusion et d’oppression, le mouvement postmoderne s’est principalement construit sur les travaux des philosophes français tels que Foucault, Deleuze et Derrida, puis s’est développé aux États-Unis. Lyotard caractérise ce mouvement par une incrédulité envers ce qu’il nomme les métarécits de la modernité (1). Les religions, les idéologies politiques et la science, qui tentent de rendre une vision cohérente du monde et de la vie, seraient des métarécits. Les métarécits contrôlent ce qui peut être connu par les individus et sont eux-mêmes contrôlés par les institutions dominantes. La science serait donc avant tout un outil de domination, dont la forme et le contenu sont socialement déterminés. Ainsi, le postmodernisme réduit la science à la technologie, laquelle ne vise pas le vrai mais l’efficacité. En conséquence, il rejette toute visée universelle en matière de vérité et de valeurs au profit d’une logique de respect de la différence et de la diversité.

Le relativisme des connaissances

Dans les années 1950, la sociologie des sciences va prendre une dimension toute particulière en analysant le fonctionnement de la communauté scientifique : ses normes, ses logiques institutionnelles et hiérarchiques, ses modes de rémunération, ses liens à l’industrie et au militaire… Durant les années 1970-1980, le courant fort de la sociologie des sciences veut montrer que le contenu même de la science, les concepts fondamentaux des théories scientifiques, ne sont que le fruit de l’idéologie, des biais sociaux ou de genre des scientifiques. La science est rabaissée au niveau d’une croyance pouvant être relativisée. Autrement dit, les théories de l’évolution biologique ou du big bang ne seraient pas plus crédibles que les cosmologies qui défendent que la terre est plate, que le soleil tourne autour de la terre, ou que la création du monde remonte à 6.000 ans.

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Avlula
2 années il y a

L’article est bon, bien argumenté, et si on avait les mêmes prémisses, on arriverait aux mêmes conclusions. Par exemple si Raoult portait plainte pour rien (à part pour embêter une contradictrice scientifique), alors ce serait effectivement scandaleux, tout comme d’ailleurs le reste de son attitude consistant à ne jamais se confronter publiquement à des contradicteurs (au Sénat notamment). Mais donc, qu’y a-t-il à craindre ? Il perdra, et puis voilà. Non ? Il y aurait donc des éléments à même de convaincre un juge ? Auquel cas il devrait l’accepter parce que c’est un scientifique, donc plus tout à fait… Lire la suite »

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