Les abus fiscaux coûtent chaque année plus de 427 milliards de dollars américains aux différents Etats du monde, d’après une étude d’une envergure sans précédent sur la justice fiscale. Plus de la moitié de cette somme considérable représente les bénéfices transférés par des multinationales vers des paradis fiscaux, l’autre correspond à l’évasion fiscale de particuliers. D’après les chercheurs, ces résultats confirment une réalité sans équivoque : le système fiscal international est programmé pour faire primer les intérêts des entreprises et des individus les plus fortunés sur les besoins de l’ensemble de la société. Un rapport historique fait la clarté sur cette spoliation organisée de la richesse collective.
Alors que la pandémie et ses conséquences creusent chaque jour le déficit de nombreux pays du monde, le gouffre financier représenté par les abus fiscaux est pour la première fois documenté précisément à l’échelle du globe par un organisme indépendant. Le State of Tax Justice 2020 est en effet la première édition d’un rapport annuel publié par le Tax Justice Network, en collaboration avec d’autres organisations actives dans la promotion de la transparence et la justice fiscales, comme l’Internationale des Services Publics et l’Alliance Mondiale pour la Justice Fiscale.
Des données publiées pour la première fois
Les études précédentes s’intéressant aux abus en matière d’impôt sur les sociétés se sont heurtées à une opacité considérable, liée au secret financier entourant les affaires fiscales des multinationales. L’année 2020 marque un tournant historique à cet égard, avec la publication par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) de nombreuses données déclarées par les multinationales aux autorités fiscales des différents pays. L’OCDE s’était longtemps opposée à cette mesure, mais les nombreuses campagnes de transparence, menées notamment par le Tax Justice Network, ont finalement amené le G20 à exiger la collecte de ces données.
C’est leur mise à disposition du public en juillet 2020 qui a permis aux chercheurs cette analyse approfondie. Si les données des multinationales ont été rendues anonymes, le rapport a pu démontrer que l’évasion fiscale de ces entreprises représente 245 milliards de dollars, soit près de 60% des 427 milliards d’impôts « perdus » au total. D’après les chercheurs, 1,38 trillion de dollars de bénéfices auraient été transférés vers des paradis fiscaux, où les taux d’imposition des sociétés sont extrêmement faibles, voire inexistants. En ce qui concerne l’évasion fiscale privée, qui représente 182 milliards de dollars chaque année, les fraudeurs ont transféré plus de 10 000 milliards de dollars d’actifs financiers à l’étranger.
Les pays pauvres plus affectés
De fortes disparités existent entre chaque pays, tant au niveau des contributions à l’évasion fiscale qu’en termes de pertes d’impôts. Les États à revenu élevé (selon la classification établie par la Banque Mondiale) perdent ainsi davantage de recettes fiscales que les pays les moins riches. Ces pertes ont pourtant des conséquences bien plus importantes dans ces derniers. En moyenne, elles représentent en effet près de 52% de leur budget de santé publique, alors qu’elles n’équivalent qu’à 8% en moyenne de ce même budget pour les pays à revenu élevé. Ce schéma d’inégalité mondiale est particulièrement frappant lorsque l’on compare les régions du nord et du sud du monde.
Le rapport fournit également la preuve que les principaux responsables de l’évasion fiscale sont les pays les plus riches, qui sont au cœur de l’économie mondiale. Ceux-ci sont à l’origine de 98 % des pertes fiscales totales à l’échelle du globe, soit plus de 419 milliards de dollars d’impôts perdus chaque année. Parmi les cinq juridictions qui y contribuent le plus, on retrouve en première place le territoire britannique des îles Caïmans (responsable à lui seul de 70 milliards de dollars de pertes fiscales annuelles), le Royaume-Uni (42 milliards), les Pays-Bas (plus de 36 milliards), le Luxembourg (27 milliards de dollars) et enfin les États-Unis, avec plus de 23 milliards de dollars de pertes fiscales par an.