Pendant un an, Disclose a enquêté sur le numéro un mondial des produits laitiers. Un travail de longue haleine qui dévoile pour la première fois l’ampleur des dérives impliquant le groupe Lactalis.
Chaque année en France, Lactalis transforme 5 milliards de litres de lait en produits qui inondent les rayons des supermarchés. Camembert Président, roquefort Société, lait Lactel, petits pots La Laitière, mozzarella Galbani… A force d’innovations comme la vente des premières briques de lait UHT dans les années 1960, la modeste fromagerie Besnier de Laval (Mayenne) est devenue le numéro un mondial des produits laitiers.
Un empire familial fondé en 1933 et qui pèse désormais 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires sans jamais avoir été coté en bourse. Une exception dans le monde des géants de l’agroalimentaire qui permet à Emmanuel Besnier, petit-fils du fondateur et actuel président du groupe, de régner sur le marché de l’or blanc sans avoir de comptes à rendre… ni à des actionnaires ni à personne.
L’industriel emploie 15 000 salariés dans l’Hexagone, répartis entre le siège du groupe à Laval et une myriade de sociétés implantées dans le milieu rural. Etoile du Vercors, Société fromagère de Mayenne, Société laitière de Retiers… Lactalis détient pas moins de 70 usines disséminées sur l’ensemble du territoire – près de 270 dans le monde. Le nom du groupe n’y apparaît nulle part. Pas plus sur le fronton des établissements que sur les milliers de produits qui sortent des lignes de fabrication. Lactalis préfère jouer la carte du terroir et de l’authenticité plutôt que celle de poids lourds de l’industrie agroalimentaire.
« Nous sommes l’addition de centaines d’entreprises locales. Nos services centraux restent réduits : on délègue beaucoup », se plaît à dire Emmanuel Besnier. Dans la réalité, le siège mayennais ne délègue aux directeurs d’usines qu’une partie infime des décisions. Cette structuration en plusieurs filiales permet en fait un transfert des responsabilités vers les gérants des sites Lactalis, qui se retrouvent ainsi en première ligne en cas de litiges voire de poursuites judiciaires.
Depuis vingt ans, Emmanuel Besnier a érigé cette culture de la discrétion en véritable doctrine. Refusant de publier ses comptes – avant d’y être finalement contraint en 2017 – et n’autorisant l’accès à ses usines qu’à des journalistes triés sur le volet. Préférant même se murer dans le silence au lieu de présenter des excuses publiques aux familles des bébés empoisonnés par du lait en poudre contaminé à la salmonelle, courant 2017.
Disclose a enquêté sur le système Lactalis. Pendant un an, nous avons recueilli des dizaines de témoignages inédits, analysé des centaines de documents administratifs et judiciaires, interrogé de nombreux spécialistes. Ce travail de longue haleine dévoile pour la première fois l’étendue des dérives impliquant la multinationale des produits laitiers.
Manquements à la sécurité alimentaire, pollution des rivières, dissimulation d’informations, faillite des mécanismes d’autosurveillance, évasion fiscale à grande échelle, chasse aux lanceurs d’alertes… Bien loin, donc, de la prétendue « stratégie de proximité, respectueuse de son environnement, de ses hommes et exigeante en matière de qualité sanitaire », vantée par la communication officielle de l’entreprise.