Pour avoir inauguré leur établissement avant ou pendant le deuxième confinement, des restaurateurs sont privés des aides de l’État, conditionnées à un niveau de chiffre d’affaires qu’ils n’ont pas eu le temps de faire croître. Reportage.
Thomas Sauret et Julien Rodriguez, jeunes quadras associés dans le « Bar-Bq », à Aix-en-Provence, avaient pris de plein fouet le premier confinement : ne disposant que d’une petite terrasse, leur restaurant spécialisé dans les brochettes au feu de bois engrange le gros de son chiffre d’affaires en hiver. Le duo d’entrepreneurs a donc eu l’idée d’investir dans un autre établissement, « Little Bro », dévolu à la vente à emporter de sandwichs artisanaux. « En dehors du fait qu’on visait la clientèle des bars voisins, on pensait tenir le concept qui nous permettrait de limiter les dégâts en cas de nouveau confinement », racontent-ils.
Cruelle désillusion : inauguré le 24 septembre dernier, le snack devait illico composer trois jours plus tard avec la fermeture des débits de boissons. Puis, l’instauration du couvre-feu a rongé le résultat quotidien, mais aussi le montant de l’aide que ces petits patrons pouvaient attendre de la part du fonds de solidarité à destination des entreprises, cofinancé par l’État et les régions : ayant enregistré un chiffre d’affaires de 1 640 €, le « Little Bro » a eu droit à un versement de 11 € en octobre, et 173 € le mois suivant, bien loin du plafond de 10 000 € par mois ou de l’indemnisation de 20 % du chiffre d’affaires mensuel susceptible d’être alloué par le même fonds. Résultat : « On paye le loyer de notre poche depuis trois mois », souffle Thomas, qui s’affaire en cuisine pendant que son associé prend les commandes.
SENTIMENT DE TOURNER EN ROND
« La situation n’est pas anormale, les aides étant basées sur les chiffres d’affaires déclarés », répond le ministère de Finances à Marianne. Dès lors, que faire ? « Un numéro d’information existe aussi pour les entrepreneurs qui seraient perdus et qui auraient besoin d’être aiguillés », précise le ministère. Contacté, le service mis en place par la Direction générale des finances publiques et l’Urssaf confirme l’impasse : « Les aides sont en effet calculées en fonction du chiffre d’affaires. Il n’y a donc pas de dispositif prévu pour ces restaurateurs. La décision relève du ministère. »
Ce sentiment de tourner en rond, Philippe Tixier le connaît bien. À 46 ans, ce père de famille originaire de Bourgogne avait un projet de reconversion professionnelle mûrement réfléchi : ouvrir à Aix-en-Provence une franchise de « My little Warung », un concept de « street-food » asiatique dans lequel il a mis toutes ses économies et déjà deux ans de travail. Le temps de trouver l’emplacement de ses rêves dans le cœur de ville, d’obtenir un crédit et d’aménager son local, le deuxième confinement entrait en vigueur. « Je n’avais pas le choix, j’ai quand même ouvert le 11 novembre », se souvient Philippe, qui voyait ce jour-là voler en éclats un business-plan bien ficelé : « Impossible d’atteindre le seuil de rentabilité. Avec un employé à temps complet, deux en temps partiels et moi, on est configurés pour servir, en heure de pointe, jusqu’à 60 plats par heure. C’est ce que je fais au mieux en un jour… » Et depuis le passage du couvre-feu à 18 h, le gérant a vu ses commandes baisser de 15 %.
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