Putes, coiffeurs et écriture inclusive


Par Jean Szlamowicz pour la revue Texto

L’écriture inclusive part d’une bonne intention.

Ou plutôt, elle part d’une intention assez imprécise qui ne pose aucune des bonnes questions inhérentes à sa démarche réformatrice : s’il s’agit de valoriser la femme dans la société, pourquoi la langue ? pourquoi juste l’écriture et pas l’oral ? quels effets concrets en attendre ? que s’agit-il au juste de rectifier ? comment interpréter la grammaire ? quid de tous les autres phénomènes grammaticaux ?

Une telle volonté de régénération de la langue n’est pas nouvelle et son impulsion naïve pourrait posséder le charme poétique d’une attention aux nuances du langage. Elle s’inscrit à cet égard dans les quêtes linguistiques plus ou moins fantaisistes qu’a pu décrire Umberto Eco dans La recherche de la langue parfaite.

L’utopie consistant à améliorer le langage est proprement fantasmatique et ne renvoie dans l’histoire qu’à des tentatives esthétiques, mystiques, totalitaires, ou, au mieux, stériles (volapük et esperanto). De nombreux linguistes ont donc décidé de hausser les épaules et de ne pas s’en soucier. Seulement, cette lubie linguistique — éliminer le présumé sexisme inhérent aux pratiques linguistiques — est devenue une doctrine qu’on peut désormais nommer « inclusivisme » et qui désire s’imposer dans le monde du savoir, y compris par la diffamation et le mensonge, l’entrisme et le révisionnisme scientifique.

Cette transformation soudaine — en l’espace de cinq ans — pose bien sûr une question politico-cognitive de fond : la langue commune qu’utilisaient les militants il y a encore quelques mois ne les empêchait donc pas de penser le féminisme comme il faut ? Ou bien étaient-ils sexistes sans le savoir quand ils disaient « le candidat » et non « le.a candidat.e » et ont-ils reçu la révélation comme une épiphanie provoquant leur conversion ? Doivent-ils désormais expier pour avoir toute leur vie durant osé écrire « tous » au lieu de « tous et toutes » ? Les théories linguistiques qu’ils pratiquaient il y a encore cinq ans sont-elles donc soudain devenues caduques ? Et les locuteurs et linguistes qui n’ont pas modifié leurs cadres théoriques ni leurs pratiques tant orales que scripturaires, sont-ils des salauds ?

En tout cas, certains linguistes ont été jusqu’à transformer leur interprétation des faits de langue pour considérer que aller chez le coiffeur est une locution sexiste au regard de aller aux putes : le coupable serait la préposition chez qui marquerait le respect du coiffeur et alors que aux serait méprisant pour les péripatéticiennes.[1] Pour imposer une telle projection délirante, cela implique — outre une profonde mauvaise foi — un remaniement intégral des normes d’interprétation de la langue. Cela illustre bien que les divers postulats, plus ou moins implicites, qui fondent l’inclusivisme linguistique sont en vérité antiscientifiques —et les partisans de cette doctrine refusent obstinément de répondre sur ce terrain-là.

Anatomie de la langue

L’égarement inclusiviste, friand d’injustices à dénoncer, part du principe que tout est patriarcat et que tout doit être « déconstruit ». La langue serait donc sexiste et favoriserait une vision du monde « androcentrée ». Réfutons immédiatement cette proposition faisant de la grammaire le fondement de l’organisation sociale : si l’on appliquait littéralement cette idée que la langue exprime une vision de la société, alors les locuteurs des langues dénuées de genre seraient aveugles à la différence sexuelle… Il faudrait alors penser que les locuteurs arméniens, basques, cantonnais, comanches, finnois, géorgiens, igbos, perses, khmers, turcs, vietnamiens, yorubas partagent une conception du genre qui ne parviendrait pas à distinguer les hommes des femmes !

Si un discours peut être sexiste, la langue comme structure n’est que ce que les locuteurs en font : Olympe de Gouges peut être féministe en français comme Tariq Ramadan ne peut l’être alors qu’il utilise pourtant la même langue. Ramadan deviendrait-il féministe s’il exprimait ses idées en écriture inclusive ? Pourquoi donc vouloir changer les structures de la langue qui convenait si bien à Simone de Beauvoir ou à Simone Veil ?

Le paradoxe est que le savoir constitué en sciences du langage — mais radicalement révisé par les inclusivistes depuis dix ans — démontre qu’on ne peut emprunter un raccourci faisant de la langue un cadre idéologique qui conditionnerait les individus. Postuler le contraire revient à proposer une psychologie des peuples classant les grammaires en fonction de l’idéologie que l’on attribuerait aux locuteurs : il y aurait ainsi des langues / peuples primitifs, des langues / peuples évolués, etc. C’est une forme de racisme ethnographique qui a depuis longtemps été mis au rancart des idées dépassées.

Qu’existe un domaine de la vie psychique et sociale dénué d’inégalité devrait être accueilli avec soulagement par ces militants. Or, c’est là un point de bascule de leur mauvaise foi (ou de leur ignorance) : pour justifier leur activisme, il faut — à tout prix — que la langue soit sexiste.

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