Poincaré vs Einstein… ou la relativité de la découverte !


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Henri Poincaré, un génie polymathe français

Le nom de Raymond Poincaré, avocat et homme politique français qui fut président de la IIIème République de 1913 à 1920 est plus connu voire confondu avec celui de son cousin Henri Poincaré… et pourtant ! Né le 29 avril 1854 à Nancy, fils d’un professeur d’hygiène à la faculté de Médecine de Nancy, Henri Poincaré fut un mathématicien, physicien et philosophe français à l’origine de nombreuses avancées et théories dans des domaines très variés. Il est considéré comme l’un des derniers grands polymathes (1) à l’instar de Léonard de Vinci ou de Pierre de Fermat (juriste, mathématicien, poète, linguiste et écrivain français). Polytechnicien, diplômé de l’École des mines, docteur ès sciences mathématiques, il occupera différentes chaires dans le domaine des mathématiques, de la physique et de l’astronomie. Il fut membre de l’académie des sciences à partir de 1887 et devint son président en 1906. Il entra à l’Académie Française en 1908. Il fut durant sa vie un correspondant assidu de nombreuses organisations scientifiques internationales. En 1889, il remporta le Prix du Roi de Suède pour ses travaux sur une question posée par Weierstrass sur la stabilité du système solaire. Les résultats de son étude serviront de fondement à la théorie du chaos, démontrant que la stabilité de tels systèmes ne pouvait être démontrée. Il travailla sur les processus de généralisation prenant la forme mathématique d’équations différentielles (2) dans le but de dé-complexifier et d’unifier les sciences : “Il ne suffit pas que chaque phénomène élémentaire obéisse à des lois simples, il faut que tous ceux que l’on a à combiner obéisse à la même loi” (3, page 184). Il cite en exemple les lois de Newton sur l’inertie : Newton a montré que l’état d’un système étudié ne dépend que de son état à un instant immédiatement antérieur ; le système satisfait donc à des équations différentielles. (3 page 196)

Henri Poincaré

Henri Poincaré

En philosophie des mathématiques, ses travaux sur la logique et les fondements des mathématiques font encore débat aujourd’hui. Il considère que les mathématiques nécessitent l’intuition, comme moyen de compréhension, pas uniquement dans le contexte de la découverte mais également dans le contexte de la justification alors que les logiciens comme Cantor, Russel et Hilbert considèrent qu’il est possible de prouver toute vérité mathématique sans recours à l’intuition une fois les principes logiques admis (4). Selon Poincaré, un joueur d’échec débutant pourra comprendre chaque coup mais ne verra pas dans quel plan général chaque déplacement sur l’échiquier trouve sa justification. Le coup suivant découle du précédent mais est l’un parmi des dizaines possibles. Seule l’intuition peut guider le joueur aguerri dans son plan général de jeu.

Mais parmi ses nombreux travaux, il y en a un qui se distingue particulièrement.

L’un des grands débats scientifiques de la fin du XIXe siècle concernait les toutes nouvelles équations de Maxwell (1864). Ces équations présentent un progrès majeur en électromagnétisme, aussi important que les lois de gravitation universelle de Newton. Mais elles présentent également une difficulté majeure : elles ne sont pas conservées par les transformations galiléennes des référentiels. Pour faire simple, dans un référentiel galiléen donné (0xyzt) les ondes électromagnétiques se déplacent à la vitesse c de la lumière. La transformation galiléenne ne conserve pas la vitesse de la lumière or cette vitesse a été établie comme constante notamment par l’expérience de Michelson et Morley (1887). Pour palier ce problème et ne pas rompre avec la notion de temps absolu, la théorie de l’éther vit le jour. L’éther jouait le même rôle pour le transport des ondes électromagnétiques que l’air pour le son. Aucune des expériences destinées à prouver l’existence de l’éther n’aboutit (Trouton et Noble, Lodge, Kennedy et Thorndyke, etc.).

Lorentz, Fitzgerald et Voigt travaillèrent sur ce problème.

En mai 1904, Lorentz donna une extension des transformées de Voigt préservant les équations de Maxwell dans le vide.

Mais les progrès les plus importants et révolutionnaires vinrent d’un mathématicien, physicien et philosophe, ami de Lorentz : Henri Poincaré.

Dans son livre La science et l’hypothèse en 1902 (3 page 113 & 114) il énonce qu’il n’y a pas d’espace absolu et qu’il n’y a pas de temps absolu indiquant que peu importait que l’éther existe ou non et que viendrait le temps où cette théorie serait balayée.

Lors du congrès scientifique mondial de Saint-Louis (Missouri septembre 1904) Henri Poincaré est invité à présenter une conférence sur l’état actuel et l’avenir de la physique mathématique qu’il conclut par l’ajout du principe de relativité aux 5 principes de la physique (5) : « Le principe de relativité, d’après lequel les lois des phénomènes physiques doivent être les mêmes pour un observateur fixe et pour un observateur entraîné dans un mouvement de translation uniforme, de sorte que nous n’avons et ne pouvons avoir aucun moyen de discerner si nous sommes, oui ou non, emportés dans un pareil mouvement. » (6, page 306) et il conclut : « Ainsi le principe de relativité a été dans ces derniers temps vaillamment défendu, mais l’énergie même de la défense prouve combien l’attaque était sérieuse (6, page 312)… Peut-être devrons-nous construire toute une mécanique nouvelle que nous ne faisons qu’entrevoir, où l’inertie croissant avec la vitesse, la vitesse de la lumière deviendrait une limite infranchissable. » (6, page 324)

Dans sa note de quatre pages qui était le format maximum accepté par l’Académie des sciences de Paris le 5 juin 1905 et publiée le 9 juin 1905 sur la dynamique de l’électron, il décrit à nouveau le principe de relativité et simplifie la transformation que Lorentz avait présentée dans son mémorandum. “Le point essentiel, établi par Lorentz, c’est que les équations de l’électromagnétisme ne sont pas altérées par une certaine transformation que j’appellerais du nom de Lorentz”. En 1914, Lorentz corrigera cette affirmation : « Je n’ai pas indiqué la transformation qui convient le mieux. Cela a été fait par Poincaré et ensuite par M. Einstein et Minkowski. ». (7, page 249). Il met un point final dans cette étude en démontrant les idées audacieuses dont il avait eu l’intuition. L’électromagnétisme apparaît comme la synthèse de l’électrostatique et de la relativité. La théorie de Lorentz et Poincaré aboutit à la variabilité du temps et de l’espace, elle est en accord avec les équations de Maxwell et avec les résultats classiques de l’électromagnétisme : la théorie de la relativité est complète.

Un peu plus tard, le 30 juin 1905 (9), Einstein publie son premier et célèbre travail sur la relativité : Zur Elektrodynamik der bewegten Kôrper, travail présenté sans aucune référence. Il décrit et obtient les mêmes résultats que Poincaré et mentionne même les transformations de Lorentz.

Einstein résumait régulièrement pour les Annalen der Physik les travaux de physique les plus intéressants, y compris ceux de l’Académie des sciences de Paris. La Note à l’Académie du 5 juin 1905 écrite par Henri Poincaré est arrivée à Berne, à temps, le 12 ou le 13 juin, et la lire faisait partie de son travail ordinaire. D’autre part, et selon ses amis Maurice Solovine et Carl Seelig, Einstein avait lu le livre de Poincaré La Science et l’Hypothèse (3, page 113 & 114 pas de temps absolu, pas d’espace absolu, pas d’éther…) pendant les années 1902-1904.

Outre sa mauvaise santé et sa mort peu de temps après la publication de La dynamique de l’électron, d’autres raisons expliquent pourquoi Henri Poincaré est si peu connu et Einstein si célèbre.

Henri Poincaré n’avait pas la possibilité de publier comme Einstein l’avait dans un grand journal comme les Annalen der Physik car les physiciens de l’époque considéraient ce grand mathématicien comme ne faisant pas partie des leurs et il ne trouva que le Rendiconti del Circolo Matematico di Palermo, un petit journal mathématique, pour publier son travail majeur du 5 juin 1905 sur la dynamique de l’électron cette fois développé en 47 pages, reçu le 23 juillet 1905 et publié en janvier 1906.

Annalen der physik

Annalen der physik

Par ailleurs, il fallut attendre les années 30 pour que son travail sur la dynamique de l’électron soit connu. Alors qu’au fil des traductions successives les textes d’Einstein étaient réactualisés, ceux de Poincaré ne furent jamais ré-actualisés et semblent moins clairs. Certains profitèrent de cet état de fait pour insinuer que Poincaré n’avait pas compris la portée de sa découverte et il fallut attendre le récent travail d’un physicien russe, l’académicien Anatoly Logunov, pour que Poincaré soit lui aussi traduit en langage scientifique moderne, en russe tout d’abord puis en anglais et pour finir en français (10). Il devint alors clair que Poincaré savait exactement ce qu’il faisait… Il introduisit même la notion d’onde gravitationnelle et des calculs que reprendra Minkowski dans son travail ultérieur. Il définit un groupe mathématique qu’il appellera groupe de Lorentz, beaucoup plus général, notion fondamentale qu’Einstein n’abordera pas du tout dans son travail, les physiciens étant à cet époque ignorants de la toute nouvelle notion de groupe mathématique. Il apparaît avec le recul du temps que l’approche de Poincaré était plus pertinente que celle d’Einstein (10).

Par ailleurs, à l’époque, sa relation familiale avec Raymond Poincaré, l’homme politique, n’a pas joué en sa faveur auprès des directeurs d’Université peu enclins à soutenir Henri Poincaré.

En 1921, après le triomphe de l’éclipse de 1919 qui permit la démonstration concrète de la théorie de la relativité, le comité Nobel voulut récompenser Einstein d’un prix Nobel pour sa découverte mais Lorentz, prix Nobel en 1902 réagit. Il publia la notice sur la vie de Poincaré qu’il avait écrite en 1914 (7, page 252) dans laquelle il rappelle : « Je n’ai pas établi le principe de relativité comme rigoureusement et universellement vrai. Poincaré au contraire a obtenu une invariance parfaite des équations de l’électrodynamique et il a formulé le « postulat de relativité », termes qu’il a été le premier à employer. »

Le comité Nobel couronna Einstein cette année-là mais pour ses travaux sur l’effet photoélectrique (11).

Albert Einstein

Albert Einstein

Il apparaît que la genèse de la théorie de la relativité restreinte a fait l’objet, sur plusieurs années, d’une maturation importante, de publications diverses, de conférences et de nombreux échanges avec Lorentz de la part d’Henri Poincaré alors qu’Einstein aurait établi celle-ci sans références, sans travaux ni publications préalables. Ce doit être « l’intuition » si chère à Poincaré.

Malgré sa timidité, sa modestie (il avait tendance à attribuer la paternité de ses travaux à ceux qui les avaient commencés même si il les avait terminés et en avait effectué les deux tiers) et sa mort précoce (58 ans), Henri Poincaré peut être considéré, outre qu’il soit un grand philosophe et un grand mathématicien, comme un des physiciens majeurs du XXe siècle, père du principe de relativité et fondateur de la théorie de la relativité restreinte.

Rendons à César ce qui appartient à César…

E.K.

Références:

Sources :

  1. Stanford University https://plato.stanford.edu/entries/poincare/#Aca
  2. Henri Poincaré : une contribution décisive à la Relativité – Christian MARCHAL Ancien élève de l’Ecole polytechnique (promotion 1958) et de l’Ecole des Mines de Paris. Corps des Mines. Docteur es Sciences (1967). http://www.annales.org/archives/x/poincare7.html

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Momo
5 années il y a

C’est toujours intéressant de remettre les choses à leur place. Prochain article…sur Tesla?

LordOfChangAn
5 années il y a
Reply to  Momo

On pourrait aussi écrire la même chose avec DESCARTES/NEWTON et leurs 3 lois du mouvement.

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