Pourquoi le libéralisme économique est intrinsèquement autoritaire


Par Guillaume Pelloquin pour Le Vent se Lève

La crise sanitaire a révélé le caractère autoritaire du gouvernement libéral d’Emmanuel Macron. Cherchant à sauvegarder les fondements du système économique dominant, il a imposé des mesures contraignantes aux individus plutôt qu’aux entreprises. Simple dérive conjoncturelle ou aboutissement d’une logique intrinsèque au libéralisme économique ? Grégoire Chamayou, dans La société ingouvernable, son dernier ouvrage paru en 2018 aux éditions la Fabrique, analyse la genèse du libéralisme autoritaire. Retour sur les thèses qu’il développe.

LE RÉGIME LIBÉRAL-AUTORITAIRE

Le point de départ de ses travaux se situe dans les contestations très fortes qu’a subi le capitalisme à la fin des années 1960, qui ont mené les capitalistes et les dirigeants politiques conservateurs à modifier leur façon de gouverner. Ces derniers ont « élaboré des stratégies pour conjurer la crise de gouvernabilité de la démocratie », selon l’expression en vigueur à l’époque. En transcrivant les débats des milieux patronaux, Chamayou décrit comment ceux-ci ont vécu cette période d’activité démocratique intense (grèves ouvrières, mouvements sociaux, nouveaux mouvements politiques comme les écologistes, etc.) comme une « attaque sur la libre entreprise », c’est-à-dire une menace pour eux-mêmes et leurs intérêts. Il s’agissait de redresser le gouvernail de leur bateau capitaliste. Les stratégies qu’ils ont déployées pour ce faire ont mené de fil en aiguille au « libéralisme autoritaire » d’aujourd’hui.

Libéral au sens économique, le libéralisme autoritaire garantit la propriété privée des moyens de production et la liberté d’entreprise, en utilisant une « boîte à outils ne contenant que quatre gros marteaux : déréglementations, privatisations, baisse des impôts, libre-échange ». C’est le point commun des différents libéralismes économiques. Autoritaire ensuite, il soustrait à la délibération collective ces mêmes règles économiques, qu’il pose comme immuables et inéluctables : les « lois naturelles » de l’économie. Cet autoritarisme se caractérise par « l’affaiblissement des pouvoirs parlementaires, la répression des mouvements sociaux, l’amoindrissement des droits syndicaux, de la liberté de la presse, des garanties judiciaires, etc.», écrit Chamayou. Le quinquennat d’Emmanuel Macron coche toutes les cases de cette définition : répression de la quasi-totalité des mouvements sociaux depuis 2016, peines de prison ferme expéditives contre les Gilets Jaunes, limitation du débat parlementaire et 49-3, affaire Benalla, etc. Depuis le début de l’épidémie de coronavirus, les conseils de Défense quasi-hebdomadaires et les lois Sécurité globale et « renforçant les principes républicains » accentuent le phénomène : les libertés publiques sont plus restreintes, ou du moins plus difficiles à exercer.

Dans le libéralisme autoritaire, ces deux termes ne sont pas simplement juxtaposés : l’autoritarisme permet de maintenir le libéralisme économique dans le temps et les différentes configurations sociales. En effet, le libéralisme inflige une souffrance économique et sociale via le chômage, la précarité et les inégalités, et cette souffrance porte en elle le risque d’une révolte. Pour Karl Polanyi, qui a analysé le libéralisme économique du XIXe siècle, son application progressive a engendré un contre-mouvement de défense dans la société. La répression est donc une réponse possible pour les gouvernants. Finalement, comme le pose Grégoire Chamayou dans sa conclusion, « on a beaucoup dit que le libéralisme autoritaire était un oxymore, ce serait plutôt un pléonasme ». L’histoire du capitalisme est riche de ces phases d’ingouvernabilité des dominés, et de retour de bâton des capitalistes. Elles commencent avec l’essor de la production industrielle, et sa surveillance.

DISCIPLINER LES TRAVAILLEURS

La surveillance se transforme au début du capitalisme moderne avec la révolution industrielle. Auparavant, une part importante de la production manufacturière était assurée à domicile. Les artisans achetaient de la laine et revendaient des tissus, confectionnés chez eux sur un métier à tisser. C’est dans ces conditions matérielles de production que démarre la Révolution industrielle en Angleterre. L’émergence des premières usines, c’est-à-dire de regroupements de machines et de travailleurs asservis à celles-ci au sein d’un même bâtiment, pendant un même temps, permet d’instaurer l’inspection du lieu et de l’activité de travail elle-même, et non plus du produit fini.

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