En 1867, il y a environ 150 ans, Félicien Pariset (1807-1886) publiait un ouvrage d’économie rurale, Mœurs et usages du Lauragais [1], une étude approfondie de l’économie agricole de l’arrondissement de Castelnaudary (Lauragais audois, entre Toulouse et Carcassonne) au plan technique, économique, sociologique et même anthropologique. L’ouvrage fut distingué par une médaille d’or de la Société nationale d’agriculture (ancêtre de l’Académie d’agriculture de France). Il publie aussi en 1882 Économie rurale, industrie, mœurs et usages de la Montagne noire (Aude et Tarn). La Montagne noire est une petite région contiguë du Lauragais. Ce dernier ouvrage a été réédité en 1985 [2] avec une préface de Louis Assier-Andrieu, directeur de recherche au CNRS, juriste et anthropologue, qui apporte des précisions intéressantes sur la personnalité et les méthodes de l’auteur. F. Pariset est un disciple de Frédéric Le Play (1806-1882), figure de proue du catholicisme social sous le Second Empire, dont la règle était que l’observation d’un état social devait s’accompagner d’un jugement de valeur sur l’opportunité de l’amender ou de l’encourager.
Pour mener à bien son étude, F. Pariset s’appuie à la fois sur des documents statistiques et fiscaux officiels (cadastre de 1835, recensements de 1856 et 1861, recettes des impôts), sur une enquête directe sur une commune à proximité de Castelnaudary et sur l’étude de deux « domaines » (c’est-à-dire des fermes) de ce village dont il analyse en profondeur les comptes, les pratiques agricoles et les rapports sociaux. Étant lui-même receveur particulier des impôts pour l’arrondissement de Castelnaudary de 1864 à 1876, il ajoute à cela une connaissance approfondie du terrain.
Outre son intérêt historique, l’ouvrage décrit la réalité d’une agriculture aujourd’hui disparue et qu’il est intéressant de rapprocher de certaines visions contemporaines prônant un retour à un monde préindustriel et présenté comme une sorte d’eldorado, de symbiose entre l’Homme et la nature.
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La Moisson, Laurits Andersen Ring (1854-1933)
Cette étude prend place à une époque où la révolution industrielle n’a pas encore modifié les pratiques agricoles de cette petite région par l’introduction de la mécanisation, de la chimie (engrais minéraux, produits phytosanitaires de synthèse) et de la génétique (semences améliorées). Le Lauragais n’est cependant pas une région marginale, mais une région de plaine, de cultures céréalières et d’élevage, bien insérée dans les marchés régionaux (entre Toulouse et Carcassonne) et qui, grâce au canal du Midi, fournit en blé tout le Bas-Languedoc, le Roussillon et même la Provence, donc tout le littoral méditerranéen. Il a construit sa prospérité sur la production du blé tendre (froment) depuis l’ouverture du canal du Midi en 1680 de Toulouse à Sète.
L’agriculture en Lauragais au XIXe siècle
C’est cette description des pratiques agricoles du XIXe siècle en Lauragais donnée par F. Pariset que nous reprenons ici.
Le type d’agriculture
En 1680, à l’ouverture du canal des Deux Mers (canal du Midi) qui relie Toulouse à Sète, l’agriculture lauragaise fonctionne encore sur la rotation des cultures héritée de l’époque romaine : blé et jachère alternativement, un an sur deux. La demande en blé du Bas-Languedoc et l’augmentation de son prix incitent les propriétaires à augmenter leur production, en particulier en retournant les prairies permanentes situées sur les terres d’alluvion des bords de ruisseau (ce qui accroît les dégâts des inondations, déplore F. Pariset).
La culture du blé est poussée au point que la culture du maïs (appelé localement millet), aliment de base de la population rurale, est freinée par les autorités de l’Ancien Régime avec l’Édit provincial de 1747 limitant strictement la culture du maïs, édit abrogé en 1789. Remarquons au passage l’influence de la découverte de l’Amérique dans l’alimentation du Lauragais, avec l’introduction du haricot qui remplace la fève dans le cassoulet et du maïs qui est la base du « millas », bouillie à base de farine de maïs fort appréciée de toutes les couches sociales.
À la fin du XVIIIe siècle, avec l’introduction des cultures fourragères – sainfoin, luzerne, trèfle – dans la rotation (révolution fourragère), on assiste à une accélération de la destruction des prairies naturelles.
Le matériel aratoire
Le matériel aratoire (destiné au labour) est très simple : la charrue c’est l’araire, inchangée depuis l’époque romaine (décrite par Virgile dans les Géorgiques). Elle est traînée par une paire de bœufs et ne porte pas sur des roues. Elle est équipée d’un coutre et d’un versoir pour les deux premiers labours, puis on remplace le coutre et le versoir par un diviseur en bois pour la semence et les dernières façons.
À l’époque de F. Pariset, le travail du sol était relativement superficiel et répétitif. Pour un blé, trois labours à dix centimètres de profondeur et pelleversage, c’est-à-dire labour manuel ; pour le maïs, émiettage-sarclage manuel pour désherber et casser les mottes. En traction animale, on complète avec la herse à emmotter et parfois le rouleau tasseur. Les bœufs servent aussi à tracter des charrettes étroites pour les transports. Le cheval tire le rouleau à dépiquer.
L’outillage manuel a toute son importance, que ce soit pour le labour des terres à maïs (pelleversoir) ou pour les moissons avec les faux qui ne sont pas encore remplacées par les moissonneuses (il n’y en a que quatre dans tout le Lauragais, dont une à vapeur fabriquée en Angleterre et qui annonce la mécanisation de l’agriculture). Mais il y a une certaine résistance des journaliers à accepter cette modernisation…
De nos jours le labour est décrié et limité à une mise en œuvre à une profondeur de l’ordre de vingt centimètres tous les deux ou trois ans, voire presque abandonné (« techniques culturales simplifiées » [3]).