La santé en lutte : « Le délabrement des soins de santé a été préparé »


Source : Ballast

Le collectif La santé en lutte s’est créé en juin 2019, à Bruxelles, à partir d’une contestation des équipes de nettoyage des hôpitaux publics bruxellois. Les soignantes et les soignants les ont rejointes, puis la mobilisation s’est étendue à d’autres hôpitaux du pays. Lors de sa première AG, 20 revendications ont été votées en deux heures — elles feront l’objet d’un travail d’approfondissement ; aujourd’hui, le collectif est actif dans plusieurs villes : Bruxelles, Liège, Charleroi, Namur. Il appelle à une « grande manifestation pour la santé » dans la capitale belge, ce dimanche 13 septembre, pour dénoncer le sous-financement de la santé et exiger l’arrêt de la marchandisation des soins de santé. Il y a quelques jours encore, le bourgmestre « socialiste » de Bruxelles, Philippe Close, refusait de l’autoriser — la réaction du collectif a été immédiate : elle aura bien lieu, renforcée par la présence de nombreux acteurs du soin, du social, du monde militant et syndical. Nous rencontrons deux membres de la coordination nationale : Alice, infirmière ayant travaillé 13 ans en milieu hospitalier, et Leila, ergothérapeute forte de 20 ans de pratique en ambulatoire.

La présente crise sanitaire a mis au devant de la scène toute une série de métiers invisibilisés. Qui fait tourner un hôpital ?

Alice : À La santé en lutte, nous prenons en compte l’ensemble du secteur de la santé, pas uniquement les hôpitaux. Pour faire fonctionner une institution de soin, on pense d’abord aux soignants, mais ils et elles ne peuvent donner des soins de qualité sans le personnel des services logistique, technique, d’entretien, de lingerie, de cuisine, de brancardage ou de l’administration. Faire de la logistique ou du nettoyage dans un hôpital n’est pas anodin : c’est aussi du social, du personnel en contact avec le patient ou sa famille — un contact qui peut avoir un effet calmant par sa simple présence, par une discussion. C’est arrivé souvent qu’une collègue du service d’entretien m’ouvre l’œil sur la demande d’un patient, ou sur un danger imminent.

Un peu partout en Europe, cette pandémie a révélé l’état de décomposition des services de santé publics…

Alice : Pendant la crise, je travaillais en soins intensifs dans une unité dédiée au Covid-19. Dans mon service, c’était un masque par pause, soit pour 8 heures au lieu des 4 indiquées. On devait garder 24 heures les blouses que l’on met normalement en entrant dans une chambre puis que l’on jette, et se la partager entre trois soignants sur trois pauses consécutives, et on allait d’un patient à l’autre. On n’est pas allé jusqu’à devoir mettre des sacs poubelles, mais on a eu des sur-blouses cousues bénévolement par je ne sais qui… Les équipes médicales se sont vraiment battues, mais la logique structurelle managériale néolibérale est la règle générale, avec des administrateurs qui n’ont jamais touché un patient de leur vie. Même quand un soignant prend une fonction de chef, il ou elle finit par oublier tout ce qu’exige, en termes de conditions de travail, un acte de soin de qualité — mais, au moins, on peut se dire qu’il en a eu l’expérience, qu’on peut lui rappeler. Je ne vois pas ce qu’on peut avoir à faire dans une gestion hospitalière si on ne sait pas ce qu’est le soin.

Une camarade de La santé en lutte, qui travaille en maison de repos, nous racontait la chose suivante : sa direction, attentive et prévoyante, avait très vite prévu une distribution de masques aux équipes. Mais ils étaient tenus sous clés, à la demande des pouvoirs subsidiants régionaux — c’était une directive. C’était une gestion des manquements. En 2017, la ministre de la Santé publique Maggie de Block a signé une coupe budgétaire de plus de 900 millions d’euros : l’état de délabrement actuel des soins de santé a été concrètement préparé. Il est maintenant question d’une avance et d’un fond Blouses blanches, mais, in fine, ils ne rétablissent même pas ce qu’ils ont enlevé. Regardons la durée hospitalisation : avant, on pouvait garder un ou deux jours de plus un patient qui ne se sentait pas prêt à sortir de l’hôpital, à rentrer chez lui (quand il a un toit) car il a des escaliers à la maison, qu’il est très angoissé… Aujourd’hui, non. Mais ça va plus loin, et je le vois en 13 ans de carrière : pour une même pathologie, la durée d’hospitalisation n’est plus la même. Prenons la chirurgie cardiovasculaire, où j’ai également travaillé : après un pontage, soit une opération « à cœur ouvert », il y avait 10 jours d’hospitalisation (en plus des quelques jours en soins intensifs) ; c’est passé à 7 jours. Ça veut dire qu’en flux tendu on n’a à l’hôpital que des patients « plus lourds », une intensification de la charge de travail, et qu’il n’y a pas eu de changement dans le ratio du nombre de patients par soignant. Autrement dit : il n’y a pas plus de soignants embauchés pour un travail plus intense sur une durée plus courte. Il faut aussi poser le contexte global : il y a un net vieillissement de la population, donc de la patientèle, qui est poly-pathologique. La technicisation de la médecine — qui est par ailleurs une très bonne chose — exige de passer beaucoup de temps sur des machines (pour se former et les utiliser), et donc moins de temps avec les patients. Concrètement, si tu as un ou une infirmière qui doit passer beaucoup plus de temps sur la machine, il n’y a pas eu d’embauche pour qu’un ou une autre reste près du patient.

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