Les dernières données prouvent-elles l’efficacité de l’ivermectine contre le covid-19 ?


Par Thibaut Fiolet et Alexander Samuel

Nous relayons ici les réflexions de Thibaut Fiolet, Ingénieur AgroParisTech spécialisé en épidémiologie à l’Université Paris-Saclay, et Alexander Samuel, docteur en biologie moléculaire, à propos de l’Ivermectine, traitement potentiel contre le covid-19.

Que disent les essais cliniques sur l’ivermectine ? Rien de bien concluant chez l’Homme (y compris pour les cas légers). C’est pourquoi son utilisation n’est pas recommandée.

Par rapport à l’étude de l’Institut Pasteur, c’est une étude sur 36 hamsters montrant que l’Ivermectine pourrait diminuer l’inflammation (les marqueurs Il-6/Il-10) sur chez les hamsters femelles (n=12) mais pas d’effet antiviral. Les études animales sont un niveau de preuve très bas.

Faire la promotion de l’ivermectine (à la place des vaccins) sur la base d’une étude sur les hamsters est aberrant (j’ai vu passer des tweets sur ça). Pour les références de mon tableau, les sources sont sur le site du NIH.

Les limites des essais sur l’ivermectine sont nombreuses  :

– Une faible taille d’échantillon
– Les résultats de la PCR ne sont pas un marqueur de substitution validé pour l’efficacité clinique.
– Une utilisation de comparaisons de sous-groupes post-hoc (pour certains essais)
– Certains essais sont encore ouverts
– Les doses et schémas d’administration sont variables
– L’état des sujets et l’outcome pas toujours clairement définis
– Dans certains essais il y a des co-administrations (par ex, la doxycycline DOX ou l’hydroxychloroquine HCQ) voire sans groupe placébo ou soins standard (SOC)
– Des fautes sites de méta-analyses

À ce sujet, je vous invite également à lire cet article : « research related to ivermectin in COVID-19 has serious methodological limitations resulting in very low certainty of the evidence, and continues to grow ».



En bonus, un développement basé sur un article du Guardian : 

J’ai besoin de partager une histoire affolante sur l’état de la recherche en médecine. Vous vous rappelez de l’hydroxychloroquine (HCQ) ? Ce médicament miracle qui allait mettre fin à l’épidémie avant même qu’elle ne commence. « Fin de partie » avait dit Raoult en février 2020, nous sortant une une étude complètement pétée (en faisant disparaître littéralement 4 morts des statistiques), puis en sortant deux autres études où il avait oublié d’utiliser un groupe contrôle (merde alors !)

Un peu de culture statistique et la lecture des papiers permettait de flairer l’arnaque. Mais ça n’avait pas empêché tout ce que le monde comptait de leaders d’extrême droite de colporter le bobard (Trump, Bolsonaro, Modi…). Mais d’ailleurs les escrocs n’étaient pas tous dans le camp de l’HCQ. Le 22 mai, le Lancet publiait une étude mastoc, réalisée sur 96 000 personnes à travers le monde, et qui montrait que l’HCQ était encore plus dangereux que prévu.

Les données de l’article étaient impressionantes : une mortalité plus de deux fois plus forte dans les groupes avec HCQ, comparés au groupe sans HCQ, et une analyse statistique solide. Sauf que… les données étaient fausses. Sorties de nulle part. Inventées par une société appelée Surgisphere, qui les avait supposément récoltées dans 671 hôpitaux mais qui fut incapable de le prouver aux enquêteurs du Lancet.

Le 4 juin, 13 jours après publication, le journal rétractait l’étude. Les supporteurs de l’HCQ jubilent, agitent l’étude comme la preuve que l’establishment cherche à cacher la réalité, et nous voilà repartis pour au moins 6 mois de chaos de plus. Aujourd’hui, on est sûr que l’HCQ n’aide en rien contre le COVID. Les nombreuses études réalisées depuis montrent l’absence d’effet positif sur le COVID, et même un léger danger.

Rien de surprenant pour qui connait les effets secondaires de l’HCQ (cardiaques, notamment). Ça reste léger, rien à voir avec ce que prétendait montrer le papier du Lancet ! Mais clairement, ça n’aide pas, et en agrégé, ça fait même un peu de mal. Mais ce n’est pas de l’HCQ dont je voulais vous parler aujourd’hui, mais d’une autre molécule : l’ivermectine. C’est un anti-parasitaire : vous pouvez vous en faire prescrire pour lutter contre la gale, ou un ver solitaire.

Aujourd’hui, ce n’est pas pour cette raison que vous êtes susceptibles d’en avoir entendu parler : c’est la molécule qui a remplacé l’HCQ dans le discours de tous les complotistes et autres leaders d’extrême droite.Quelques études sur de petits échantillons au printemps 2020 avait fait de l’ivermectine une molécule candidate à des recherches plus poussées, exactement comme pour l’HCQ et pleiiiin d’autres molécules.

Mais le premier moment de basculement se fait en mai 2020. Le Pérou est le premier pays à recommender l’ivermactine comme traitement des malades du Covid. Sur quelle base ? Sur la base de deux études préliminaires, qui montrent un effet radical de l’ivermectine. Deux études publiées… par la société Surgisphere… Oui oui, celle dont on parlait au-dessus. Oui oui, avec les mêmes données truquées.

La rétractation de ces deux études, en même temps que l’étude du Lancet, n’empêche pas les partisans de l’ivermectine de continuer sa promotion, d’autant plus que l’HCQ est sur la pente descendante. Mais surtout, alors que n’était sorti qu’une multitude de petites études, arrive enfin en novembre une étude un peu plus grosse et un peu plus convaincante, signée par un chercheur égyptien, Elgazzar.

Bon, elle n’est pas parfaite, il y a quelques points méthodologiques questionnables, mais c’est une étude randomisée, elle concerne 600 patients, ce qui est un nombre conséquent, et l’effet positif de l’ivermectine est important. En tout cas, elle suffit à elle seule à faire pencher la balance dans deux méta-analyses publiées début juillet (une méta-analyse évalue et compile les résultats de plein d’études pour arriver à un résultat plus solide).

« Des preuves de certitude modérée indiquent que des réductions importantes de la mortalité sont possibles avec l’ivermectine » indique la première. La deuxième parle d’une réduction de mortalité de 56 %. Enfin un remède qui marche ? C’était sans compter sur la vigilance de Jack Lawrence, un étudiant en médecine à Londres (par ailleurs animateur du compte Twitter  @TimPoolClips consacré à démonter la propagande du youtubeur d’extrême droite Tim Pool)

Jack avait reçu l’étude Elgazzar comme devoir dans le cadre de ces études. Et celui-ci se rend compte d’un truc étrange : l’introduction de l’article est entièrement un plagiat. Elgazzar a apparemment copié des paragraphes depuis plusieurs sites web sur le COVID et l’ivermectine, avant de les passer par des dictionnaires de synonymes pour masquer l’opération, donnant un anglais à la limite du correct.

Cela attire en tout cas l’attention de Lawrence sur les données de l’article, et il trouve quelques étrangetés ; il décide alors de demander à un analyste spécialisé dans la fraude scientifique de jeter un coup d’œil, Nick Brown. Et là, c’est la pêche miraculeuse. Brown trouve ainsi qu’au moins 79 patients sont des clones d’autres patients, avec un ou deux champs changés pour camoufler. L’article indique des totaux qui ne correspondent pas aux données brutes… Certaines valeurs indiquées dans les tableaux donnés dans l’article ne peuvent mathématiquement pas être obtenues simultanément. En gros, non seulement les données ont été inventées, mais ça a été fait en dépit du bon sens.

Résultat, après que Lawrence ait contacté le site scientifique qui hébergeait l’article, celui-ci a été rétracté hier 15 juillet. Pourtant, malgré la qualité abyssale d’un article à l’introduction pompée et passée au dictionnaire à synonymes au point de la rendre illisible, et les données inventées et absurdes, L’ARTICLE A SURVÉCU 7 MOIS ET A ÉTÉ INCLUS DANS 2 META-ANALYSES.

Je répéte : cet article merdique, publié en novembre dernier, démonté par un étudiant en master (certes brillant) a été inclus dans deux méta-analyses pourtant censées évaluer la qualité des articles inclus. Et c’est d’autant plus important que lorsqu’on retire cet article, les méta-analyses NE PARVIENNENT PLUS AU MÊME RÉSULTAT. Il n’y a plus de preuve d’efficacité de l’ivermectine.

Voilà, je n’ai pas de conclusion joyeuse ou marrante, cette histoire m’a juste bien déprimé sur l’état de la recherche en médecine. C’était mon (long) instant rage, merci de m’avoir écouté. Ma source principale est cet article dans le Guardian. Voir aussi l’article publié par Jack Lawrence.

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Lacedemone
2 années il y a

Bonnes sources d’infos scientifiques fiables, à faire tourner sans modération. Le travail réalisé notamment par Thibault Fiolet sur les vaccins et sur l’HCQ a été extraordinaire. On appréciera la folie furieuse habituelle de nos amis antivax, les premiers à appeler à fournir massivement aux populations humaines un médicament sur la base d’une étude sur 18 hamsters avec un semblant de résultats significatifs quant à leur capacité à mieux manger des carottes, et des résultats à la limite du significatif sur les hamsters femelle uniquement quant à un éventuel et limité effet anti inflammatoire, tout en refusant des vaccins injectés plus… Lire la suite »

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