Pérou : le cri du Peuple et le rugissement des élites


Par Romain Migus pour Les 2 Rives

Le Pérou est une énigme. C’est certainement le pays qui condense le plus d’imaginaire social dans nos pays, et pourtant il reste l’un des plus méconnu d’Amérique du Sud. Grâce au dynamisme de son secteur touristique, chacun peut associer facilement la nation andine au Machu Pichu, aux lamas, à sa riche gastronomie, et à un certain folklore qui résonne parfois dans les bars ou métros des capitales européennes. Pour les lecteurs de Tintin ou les adeptes des Cités d’Or, l’évocation du Pérou active un imaginaire, certes non dépourvu de colonialisme, mais qui fait que le pays entretient l’illusion d’une certaine proximité, à l’inverse de nombreux de ses voisins régionaux.

Cependant, dès que l’on s’aventure sur les chemins des réalités politiques et économiques, le Pérou demeure une grande inconnue. Des pays moins emblématiques pour le citoyen occidental, tel que l’Uruguay ou l’Équateur, ont su attirer l’attention grâce aux processus politiques menés par des leaders charismatiques comme Pepe Mujica ou Rafael Correa. Pendant ce temps, le Pérou, englué dans une crise institutionnelle systémique depuis de nombreuses années, n’a généré que peu d’attention médiatique et politique. Une fois encore, le hasard des calendriers électoraux a focalisé l’intérêt politique sur l’Équateur où simultanément aux élections péruviennes se déroulaient le deuxième tour de l’élection présidentielle. Et durant de long mois, avant que celle-ci ne soit finalement repoussée, l’élection pour la Convention Constituante au Chili -prévue initialement à la même date- a éveillé toutes les attentions outre-Atlantique. Pourtant, le Pérou vit une situation politique intense. Et riche d’enseignement pour les luttes politiques et sociales en Occident.

Un système politique à l’agonie

Pour saisir la dynamique politique et économique du Pérou, il faut remonter le fil chronologique aux années 90. Le pays se trouve alors aspiré dans une féroce spirale inflationnnaire, et est plongé dans la guerre civile contre la guérilla du Sentier Lumineux. Les péruviens veulent du changement et de la stabilité. Ils portent, contre toute attente, Alberto Fujimori à la présidence du Pérou. Celui-ci va se livrer à une guerre sans merci contre les groupes insurrectionnels, et parallèlement opérer une thérapie de choc économique d’une extrême violence qui placera le Pérou sur les rails du néolibéralisme. Afin de contourner un parlement un peu trop soucieux à son gout de la défense des Droits de l’Homme et réticent à libéraliser totalement l’économie, Fujimori va réaliser un « auto-coup d’État ». Le 5 avril 1992, il est écarté momentanément du pouvoir avant d’y être réinstallé avec la complicité de l’armée. Le parlement est fermé, et Fujimori, soutenu par l’élite économique péruvienne va avoir les coudées franches pour mener à bien ses réformes économiques libérales.

Le 31 décembre 1993, il fait promulguer une nouvelle constitution qui inscrit les principes du néolibéralisme dans le marbre de la charte suprême. L’État y est relégué au rôle de promoteur de l’entreprise privée. Les structures institutionnelles sont démantelées, au profit d’un clientélisme social qui aujourd’hui encore garde un certain impact. Les opposants sont systématiquement traités comme des terroristes, dans le contexte difficile de la guerre civile, et poursuivis. De nombreuses privatisations se succèdent, et la porosité entre la haute fonction publique et le secteur privé va ériger en système de gigantesques réseaux de corruption.

Lorsque Fujimori est écarté du pouvoir en 2000, le système qu’il a contribué à mettre en place lui succède. Tous les présidents depuis la chute du dictateur néolibéral ont été accusés de corruption, emprisonnées ou en passe de l’être.

De destitutions pour corruption en passant par des coups d’État institutionnel, le pays andin a connu pas moins de cinq présidents depuis 2016. Pas besoin d’être un spécialiste pour constater qu’il y a quelque chose de pourri au royaume des Incas.

Cette instabilité permanente a conduit à une véritable défiance dans le monde politique. Tour à tour perçu comme corrompus ou intrigants, les politiciens péruviens peinent à avoir la cote au sein de la population. C’est même une constante. Depuis le quartier populaire d’El Proceso perché en haut des montagnes du nord de Lima au riche district de Miraflores, les nombreuses personnes que nous avons rencontrés lors de la période précédant le premier tour font le même constat de méfiance envers une classe politique qui les a trop souvent trahis.

Les conséquences de la pandémie de Covid-19 sont venues se superposer à cette défiance. Elles ont mis à jour les contradictions d’un modèle politique et économique à bout de souffle, générateur d’inégalités sociales et territoriales : pas d’accès au soin, déficit abyssale de lit de réanimation dans les maigres restes du système public de santé, pénurie d’oxygène -ce qui a conduit trois gouverneurs régionaux à implorer de l’aide…au président vénézuélien Nicolas Maduro.

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