INTERVIEW. Au scrutin européen, il sera plus facile pour les détenus de voter. La réforme de la justice acte la possibilité, à titre expérimental, de le faire « par correspondance ». « C’est une idée qui a fait son chemin et qui nous paraît très féconde pour le futur », se réjouit François Korber de l’association Robin des lois.
C’est un dossier qui revenait dans l’actualité à chaque élection depuis le début des années 2010. Mais jusqu’à présent, la loi n’avait pas permis d’avancée sur l’effectivité du droit de vote des détenus. Validé par le Conseil constitutionnel, l’article 50 de la réforme de la justice acte que les prisonniers pourront « voter par correspondance sous pli fermé » lors des élections européennes de mai prochain. Une expérimentation dont se réjouit François Korber, le délégué général de l’association Robin des lois, qui en avait fait un combat.
Plus de 50.000 détenus français ont conservé leurs droits civiques sur les quelque 70.000 personnes incarcérées en France selon les chiffres de l’Administration pénitentiaire. Jusqu’à présent, seuls deux moyens étaient mis à disposition : se voir accorder une permission ou faire une procuration. Lors de la présidentielle de 2017, seules « 853 procurations » avaient été effectuées et « 200 permissions de sortir accordées ».
Quelle a été votre première réaction ?
D’abord, cela met fin à un suspense. J’ai suivi, semaine après semaine, l’amendement qui avait été déposé la veille de l’ouverture des débats au Sénat. Ce texte, qui ne nous convenait pas au départ, a évolué. Mais la loi a pris du retard, notamment avec les Gilets jaunes. J’appelais régulièrement la commission des Lois pour savoir si cela serait applicable pour les européennes [le 26 mai, NDLR]. Compte tenu du recours devant le Conseil qui était prévisible sur le reste du texte, du temps pour promulguer la loi, pour prendre un décret, puis une circulaire de la garde des Sceaux, cela paraissait très juste. Il y a encore 15 jours, on ne voyait pas comment ce serait possible dans ce délai si court. Nous sommes prudents. C’est juste, mais c’est jouable.
« Le texte nous paraît très positif car il y aura un isoloir, ce qui n’était pas le cas au début. Symboliquement, le détenu va donc choisir les bulletins, passer par un isoloir… »
Le timing reste toutefois serré, vu que l’échéance pour s’inscrire sur les listes électorales est fixée au 31 mars…
Oui, je ne vous le fais pas dire. Maintenant que c’est sûr, nous allons dire aux détenus de s’inscrire, et ce par tous les moyens possibles – les réseaux, les associations, les visiteurs de prison, les familles…
Le texte voté vous convient-il en tout point ?
Ce n’est pas exactement ce que nous aurions souhaité, mais le texte nous paraît très positif car il y aura un isoloir, ce qui n’était pas le cas au début. Symboliquement, le détenu va donc choisir les bulletins, passer par un isoloir… Il y aura cette solennité et je pense que c’est très important. La différence avec ce que nous défendions, c’est qu’il n’y aura pas de bureau de vote en tant que tel. C’est une idée que nous n’abandonnons pas. Qu’est-ce que c’est qu’un bureau tel que nous le voulons? Une urne, un isoloir, une table. Un local où on fait rentrer les assesseurs, les bulletins de vote et où les détenus viennent voter sur 2 heures par exemple. Ce n’est pas très compliqué. Mais à la limite si cela fonctionne comme dans la loi qui va être mise en oeuvre, ça me va.
Mais il n’y aura pas d’urne…
Au tout début du projet de loi, il n’y avait même pas d’isoloir. Le texte a été retravaillé dans les navettes parlementaires. Le texte aujourd’hui me paraît intéressant. Certes, c’est moins bien que d’avoir des gens qui vont mettre leur bulletin physiquement dans une urne. Il n’y aura pas ce cérémonial républicain auquel je suis attaché. Nous avons un petit regret, mais nous n’abandonnons pas l’idée. Nous avons d’ailleurs une procédure en cours devant le tribunal administratif de Poitiers.
« Mieux que tout le blabla que l’on nous fait parfois, les valeurs de la République, c’est d’abord être dans cette République »
Jusqu’à présent, pourquoi exercer leur droit de vote était compliqué pour les détenus ?
Les personnes détenues, qui n’ont pas été privées de leurs droits civiques, avaient le droit de voter, mais ils ne pouvaient pas l’exercer de manière effective. Jusqu’à présent, c’était soit par procuration, soit par permission. C’était infaisable.
- Des permissions, il y en a très peu. Et il faut avoir l’esprit civique chevillé au corps pour demander une permission pour aller voter.
- Quant à la procuration, ça n’a pas marché parce que si vous êtes détenu à Fresnes ou à Fleury, vous ne connaissez personne dans ces villes qui va aller voter pour vous. A qui donner sa procuration? C’était insoluble.
Voter était un parcours du combattant et quand vous êtes en prison vous avez d’autres soucis.
Quel bénéfice pensez-vous que ce changement peut apporter ?
Si on amène ces gens à voter, nous aurons beaucoup progressé. Je dis souvent que ce n’est pas ça qui va régler les problèmes de la surpopulation carcérale, qui va faire venir des budgets pour la réinsertion ou pour le personnel, mais je pense que sur le plan individuel le fait de faire voter des Mamadou, des Mohamed ou des Dupont, qui n’ont jamais voté de leur vie, est très important. Cela peut également avoir une incidence sur des familles qui ne votent pas car elles n’ont pas été éduquées à ça, et un effet sur la radicalisation, car vous donnez un sens à votre vie. Cela rend possible un changement psychologique. Quelqu’un qui va voter n’aura pas le même comportement en sortant de prison que quelqu’un qui se moque de la société. Et mieux que tout le blabla que l’on nous fait parfois, les valeurs de la République, c’est d’abord être dans cette République. Sur le moyen terme, nous n’aurons plus le même regard sur la prison.