C’est l’histoire d’une note. Comme il s’en publie de nombreuses chaque jour, échouées sur les bureaux de préparateurs d’émission, perdues aux confins des messageries des journalistes importants. Oui mais voilà… il arrive que certaines connaissent un destin exceptionnel dans les grands médias. Ce fut le cas de « Rebondir face au Covid-19 : l’enjeu du temps de travail », éditée par le très inspiré Bertrand Marinot, expert économiste de l’Institut Montaigne, ou devrait-on dire lobby patronal. Quelle chance ! Car une telle attention, instantanément devenue « mise à la Une » dans la presse et le flux audiovisuel, est évidemment aussi fortuite qu’inédite… Retour sur le rouleau compresseur médiatique du 6 mai.
« Un héritier Wendel, sans rien faire, peut toucher, selon les années, plusieurs milliers d’euros nets d’impôts par mois. Vous y penserez la prochaine fois qu’on vous demandera d’aller travailler le jour de la Pentecôte par solidarité. »
Marion Montaigne, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot,
Riche, pourquoi pas toi ?, 2013.
« L’obstination et ardeur d’opinion est la plus sûre preuve de bêtise. »
Michel de Montaigne, Les Essais, 1580.
Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps. À l’aube du mercredi 6 mai, l’Institut Montaigne se fend d’une note avançant « neuf propositions pour adapter le temps de travail en contexte de crise ». Déployant une novlangue patronale impeccable [1], le plan de bataille donne le tournis : augmenter le temps de travail (via des dérogations au temps de repos minimum quotidien, l’imposition de rachat de jours de RTT pour les salariés, etc.), permettre la progression des formations en dehors du temps de travail, supprimer un jour férié, de même qu’une semaine de vacances à la Toussaint, diminuer le nombre de RTT et déréguler le temps de travail dans la fonction publique. Un paquet cadeau soigneusement emballé, labellisé 100 % start-up : « équité, efficacité, souplesse » écrit le marchand au gros melon :
Cette énième contribution de l’Institut Montaigne au pilonnage des travailleurs et à la casse du droit du travail n’a rien d’innovant : elle remâche et recycle les vieilles marottes libérales. Pourtant, elle va littéralement « faire événement » dans les grands médias, au point de devenir un axe éditorial, autour duquel tourneront à la fois des articles de la presse nationale (dans sa totalité), de la PQR (dans une proportion moindre) mais également les émissions de débats. (Au moins) deux jours durant, un véritable rouleau compresseur s’est ainsi de nouveau mis en marche [2]. Et pour cause… En plus de flatter l’idéologie qui structure les principaux tenants du système médiatique, ces propositions « choc » sont à la fois parfaitement normées et tapageuses. Elles garantissent donc une « polémique » quasi instantanée, mettent à l’aise les professionnels du commentaire, et entrent dans les clous du très en vogue « journalisme de solutions ». La circulation circulaire de l’information, sa vitesse de propagation et l’absence totale de pluralisme parmi les commentateurs feront le reste.
Montaigne partout dans la presse
Première sur le coup, la presse économique ne s’y trompe pas. Le 6 mai, Les Échos est fier de divulguer la publication « choc » en exclusivité, dès 6h du matin sur son site (et en Une du quotidien papier), faisant saliver ses confrères en promouvant « des propositions qui ne manqueront pas de faire réagir ».