FinCEN Files : Quand les grandes banques mondiales font semblant de lutter contre le blanchiment


Source : France Inter

Des rapports confidentiels concernant des opérations bancaires suspectes montrent que des milliards de dollars douteux circulent encore librement dans les grandes banques qui profitent d’une réglementation défaillante.

Après les Panama Papers, voici une nouvelle enquête mondiale qui a été rendue possible grâce à ce qu’on appelle des Suspicious Activity Reports (SAR, rapports d’activités suspectes) envoyés par les banques américaines lorsqu’elles détectent des transferts de fonds douteux.

Les SAR sont destinés au service de renseignement financier américain FinCEN (Financial Crime Enforcement Network), au cœur du système mondial de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

2 100 de ces documents confidentiels, que nous avons choisi d’appeler les FinCEN Files, ont été obtenus par le média en ligne BuzzFeed News, qui les a partagés avec l’ICIJ (Consortium international des journalistes d’investigation). Ce dernier a alors constitué une équipe de plus de 400 journalistes travaillant pour 110 organes de presse dans 88 pays, afin de les analyser et d’enquêter. En France, la cellule investigation de Radio France et Le Monde se sont mobilisés sur ce projet.

2 000 milliards de dollars, une goutte d’eau dans un océan d’argent sale

Les FinCEN Files ont permis d’identifier au moins 2 000 milliards de dollars de transactions suspectes réalisées entre 2000 et 2017, dont 514 milliards de dollars concernent la banque JPMorgan, et 1 300 milliards de dollars la Deutsche Bank. Précisons que ces rapports d’activités suspectes font état de doutes sur l’origine des fonds, mais ne constituent pas nécessairement la preuve d’une fraude.

On peut cependant raisonnablement penser que les 2 000 milliards de dollars d’opérations suspectes identifiées dans cet ensemble de documents, montant déjà considérable, ne sont qu’une goutte d’eau dans le flot d’argent sale qui circule dans les banques du monde entier. Les fichiers FinCEN représentent en effet moins de 0,02 % des plus de 12 millions de déclarations d’activités suspectes que les institutions financières ont rédigées entre 2011 et 2017.

D’autres documents très révélateurs

Outre les fichiers issus de FinCEN, l’ICIJ et ses partenaires, dont la cellule investigation de Radio France, ont eu accès à plus de 17 000 documents supplémentaires issus de lanceurs d’alerte, de dossiers judiciaires, et d’autres sources. Certains de ces documents ont été recueillis dans le cadre de l’enquête conduite par le Congrès des États-Unis sur l’ingérence russe présumée dans l’élection présidentielle américaine de 2016. D’autres ont été rassemblés à la suite de demandes adressées à FinCEN par des autorités judiciaires. Ces fichiers offrent un aperçu sans précédent du monde secret des grandes banques, de leurs clients anonymes et, dans de nombreux cas, de délits financiers.

Des pratiques qui n’ont jamais cessé

Premier enseignement de cette grande enquête : en dépit de leurs déclarations d’intention, de nombreuses banques s’accommodent de l’argent douteux. Les autorités américaines, qui jouent un rôle de premier plan dans la lutte mondiale contre le blanchiment d’argent, leur avaient ordonné de réformer leurs pratiques. Elles leur ont infligé des amendes parfois de centaines de millions, voire de milliards de dollars, et les ont menacées de poursuites pénales dans le cadre d’accords dits de report de poursuites. Notre enquête de 16 mois menée par l’ICIJ et ses partenaires montre cependant que des grandes banques continuent de jouer un rôle central dans le transfert de fonds liés à la corruption, à la fraude, au crime organisé, et au terrorisme.

Cinq mauvais élèves

L’analyse de ces documents secrets permet plus généralement de cibler cinq banques mondiales : JPMorgan, HSBC, Standard Chartered Bank, Deutsche Bank, et Bank of New York Mellon. Parmi elles, en 2012, HSBC, la plus grande banque d’Europe, basée à Londres, a admis avoir blanchi au moins 881 millions de dollars pour le compte des cartels de la drogue en Amérique latine. Dans le cadre d’un accord conclu avec les procureurs, HSBC a versé 1,9 milliard de dollars. En contrepartie, le gouvernement a accepté de suspendre les poursuites pénales engagées contre elle, et a proposé de les abandonner au bout de cinq ans si HSBC tenait son engagement de lutter contre l’argent sale.

Et pourtant… Au cours de cette période probatoire de cinq ans, les FinCEN Files montrent que HSBC a continué à transférer de l’argent pour le compte de personnages douteux, dont certains sont soupçonnées de blanchir de l’argent russe, d’alimenter une pyramide de Ponzi, et font l’objet d’une enquête dans plusieurs pays. Malgré cela, le gouvernement américain a permis à HSBC d’annoncer en décembre 2017 que la banque avait « respecté tous ses engagements ». Les procureurs ont donc renoncé définitivement à toute poursuite contre la banque.

HSBC a refusé de répondre aux questions de l’ICIJ concernant ses clients ou des transactions spécifiques. Selon la banque, nos informations sont « anciennes et antérieures » à l’accord de report de poursuites de cinq ans. Durant cette période, la banque soutient qu’elle « s’est lancée dans un combat de plusieurs années pour revoir sa capacité à combattre la criminalité financière », précisant qu’elle « est une institution beaucoup plus sûre qu’elle ne l’était en 2012 ».

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