Liban : face à la crise, le gouvernement abdique


Quel avenir pour le Liban ?

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Dans la soirée du lundi 10 août, le premier ministre libanais Hassan Diab a annoncé la démission du gouvernement. Cette décision survient alors que les manifestations se multiplient à travers le pays du Cèdre, notamment pour dénoncer la corruption des élites qui n’ont pas su éviter l’explosion dévastatrice du 4 août dernier à Beyrouth.

Le gouvernement démissionne

« Aujourd’hui, j’annonce la démission de ce gouvernement » : c’est ce qu’a déclaré le premier ministre libanais Hassan Diab dans la soirée du lundi 10 août, lors d’un discours diffusé en direct. Selon le chef du gouvernement, « la catastrophe qui a frappé les Libanais au cœur […] est arrivée à cause de la corruption endémique en politique, dans l’administration et dans l’État ». Ce professeur d’université, qui avait formé un gouvernement en janvier dernier, a par ailleurs ajouté qu’il avait désormais « découvert que la corruption institutionnalisée était plus forte que l’État ». Pourtant, cette démission était attendue : lors d’une réunion lundi après-midi, la plupart des membres du gouvernement s’étaient prononcés en faveur d’une démission, d’autant plus que quatre ministres avaient déjà démissionné depuis dimanche. En pleine crise politique, la démission du gouvernement ne pourrait pas suffire à calmer la grogne populaire. Alors que le premier ministre avait annoncé samedi dernier la tenue prochaine d’élections anticipées – qui n’étaient pourtant pas revendiquées par les manifestants –, Hassan Diab avait finalement échoué à faire passer ce projet lundi lors de la réunion du cabinet gouvernemental. Un échec qui aura coûté la place de ce gouvernement à la tête de l’État.

Une crise politique

Pendant que les manifestations exigeant le renouvellement de la classe politique et la fin de la corruption se multiplient, la population semble se heurter à une organisation étatique complexe, affaiblie et endommagée par des décennies de malversations. La difficulté du Liban à se sortir de l’impasse politique vient du fait que bon nombre de membres du gouvernement tiennent le pouvoir depuis la fin de la guerre civile, en 1990. La composition du gouvernement est d’ailleurs basée sur le modèle du confessionnalisme, qui répartit les sièges en fonction de chaque confession religieuse. Le président, Michel Aoun, est un chrétien maronite, tandis que le premier ministre Hassan Diab est un musulman sunnite et que le président de la chambre des députés Nabih Berri est un musulman chiite. Les fonctions étant redistribuées lors de chaque cycle électoral, beaucoup d’élus permettent à des proches d’accéder à certains postes, moyennant arrangements. Selon l’ONG Transparency International, le Liban se place au 137ème rang sur les 180 pays étudiés par l’indice de perception de la corruption. Le problème politique libanais réside essentiellement dans une logique de gouvernance qui nécessite un consensus général afin d’ouvrir des négociations, souvent bloquées par l’opposition. Le parlement, centre névralgique du pouvoir, est gangrené par des intérêts privés surplombant l’intérêt général. Composé aujourd’hui de députés représentant non pas le peuple mais des intérêts économiques et généralement bancaires, le parlement semble être l’institution la plus touchée par la corruption au Liban, qui a su la généraliser à tous les échelons politiques ou administratifs. Un consensus étant nécessaire pour chaque décision, la corruption ou les arrangements sont devenus légion. Des thèmes fondamentaux comme l’énergie ou les transports se retrouvent ainsi dans une impasse, où les magnats de ces secteurs détiennent le monopole décisionnaire soutenus par des élus peu scrupuleux. Après l’explosion au port de Beyrouth, la classe politique libanaise semble désormais vouloir temporiser, afin d’éviter d’exploser elle-même.

Mais aussi une crise sociale et économique

Depuis plus d’un an, le Liban connaît un véritable naufrage économique. En effet, cette crise débute par une crise financière majeure : après avoir longtemps attiré des capitaux étrangers, le système a fini par dérailler. Alors que des taux d’intérêts pour des placements en dollars étaient proposés aux alentours de 20%, la situation géopolitique tendue de la « Suisse du Moyen-Orient » a fini par avoir raison de cette stabilité financière. Les réserves de la Banque du Liban en dollars, devise sur laquelle est indexée la livre libanaise depuis 1997, s’effondrent tandis que les banques tentent de limiter au maximum les transferts et retraits d’argent, privant ainsi les Libanais de leur épargne. D’autre part, la valeur de la livre libanaise a dégringolé : l’an dernier, 1 dollar équivalait à 1.700 livres libanaises, alors qu’aujourd’hui 1 dollar vaut entre 8.000 et 10.000 livres libanaises sur le marché noir, bien que le taux officiel reste inchangé. Les premières conséquences viennent donc s’abattre sur les importations : le Liban importe beaucoup, et les prix des produits importés s’envolent. En mai dernier, le taux d’inflation sur un an a atteint 56,5%, tandis que les prix de l’alimentation se sont envolés avec une hausse de près de 190%. Une crise économique qui devient aussi sociale. Désormais, 45% de la population vit sous le seuil de pauvreté tandis que le taux de chômage atteint 35%. Beaucoup de Beyrouthins comptent désormais quitter la capitale pour rejoindre les terres agricoles, pendant que certains réfléchissent à quitter le pays. La dévaluation de la monnaie a entraîné l’appauvrissement de beaucoup de travailleurs, qui ont vu leurs salaires s’effondrer face au dollar. Après l’explosion dramatique du port de Beyrouth, le Liban semble désormais s’enfoncer dans une crise beaucoup plus forte que les précédentes : la prochaine pourrait bien être insurrectionnelle.

Nombreux sont ceux qui comparent la France et le Liban de par leur histoire commune. Au-delà de leur lien mandataire passé, il semblerait que ce sujet soit plus complexe, et que ce qu’il se passe au Liban ne soit finalement que prémonitoire : crise financière, économique, sociale et également migratoire – par l’afflux de réfugiés syriens, qui représentent un quart de la population au Liban –, la comparaison avec la France serait-elle donc juste, voire prophétique ?

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théron simone-laure
3 années il y a

Un seul mot: laïcité que le peuple doit revendiquer. Tout le reste viendra après avoir résolu ce problème.

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