Confrontés à une mortalité mystérieuse, plusieurs agriculteurs de l’ouest de la France mettent leurs difficultés sur le compte d’éoliennes ou d’antennes-relais.
Quinze rangées de cages, un soleil de plomb et un silence de mort. Un homme s’avance dans la longue enfilade et soulève le volet métallique d’un clapier. Assaillis par la lumière, des lapins aux yeux rouges et au poil blanc s’agitent en saute-mouton. Une paire d’oreilles reste immobile. Le corps est raide, comme empaillé. L’animal est mort, victime de diarrhées. L’éleveur désigne les survivants. « Demain, c’est un autre lapereau, en pleine forme aujourd’hui, qui aura succombé. »
Depuis cinq ans, l’élevage intensif de Patrick Pilon s’est transformé en cimetière. L’agriculteur de Saint-Longis (Sarthe) a recensé 270 000 décès, soit près de 150 par jour. « J’ai un taux de mortalité de 35%, alors que le taux normal est inférieur à 10% », souligne-t-il. L’hécatombe a débuté en octobre 2014, sans raison apparente, et le mystère n’est toujours pas élucidé.
Alimentation inadaptée ? Défaut de soins ? Maladie passée inaperçue ? « Je me suis demandé si je n’étais pas devenu un mauvais éleveur », raconte le quinquagénaire, dont la production inonde les supermarchés depuis près de 30 ans. Après diverses visites et analyses, les services vétérinaires ont fini par le mettre hors de cause. Les regards se sont tournés vers l’antenne-relais la plus proche, qui trône à une centaine de mètres de l’exploitation.
Une « descente aux enfers »
L’installation du pylône incriminé date de 2004, soit bien avant le début des ennuis de Patrick Pilon. Mais, depuis, des antennes ont été ajoutées sur la structure. L’un des nouveaux faisceaux 3G/4G a été dirigé vers les bâtiments cunicoles situés en contrebas. Date de l’ajout : octobre 2014. Haut les mains, peau de lapin, l’éleveur est persuadé de tenir un coupable.
Farfelu ? Personne n’a de meilleure explication. « La difficulté, c’est d’en apporter la preuve », se lamente le président de la chambre d’agriculture de la Sarthe, Michel Dauton. L’organisme a fait intervenir un géobiologue, dont le travail consiste à détecter les influences de l’environnement sur le vivant. Ce sourcier des temps modernes a mesuré les hyperfréquences et a détecté un niveau d’exposition « trop important », qui « peut s’expliquer par la présence d’une antenne-relais ». Faute de fondement scientifique de la géobiologie, de telles conclusions ne suffisent pas. Et aucune parade efficace n’a été proposée à l’éleveur.
Connaîtra-t-on un jour le fin mot de l’histoire ? Pour Patrick Pilon, il est déjà trop tard. Son entreprise, qui a compté jusqu’à deux associés et trois salariés, meurt à petit feu. En redressement depuis mars 2018, elle doit être placée en liquidation judiciaire, jeudi 5 septembre. « Ma dignité en prend un coup, dit le Sarthois. Je vais me retrouver à la chaîne, à bosser à l’usine. »
Elevage intensif d’anxiété comme les humains qui les mangent, système immunitaire déficient, la boucle infernale est bouclée pas besoin d’être géobiologiste, le jugement des sens et du non sens suffira. Le mal, déconnexion de la nature et de notre nature est partout en promo.