Retour sur le Russiagate : 98 % des médias français ont été conspirationnistes


Par Ruptures

Ce travail est chaleureusement dédié à Aaron Maté, Glenn Greenwald, Robert Parry (†), Julian Assange, Max Blumenthal, Stephen Cohen, Caitlin Johnstone, Matt Taibbi, Chris Hedges, Jimmy Dore et à tous les autres journalistes et commentateurs qui ont correctement informé sur le Russiagate malgré la marginalisation, les pressions et les calomnies (voir cette liste des valeureux sceptiques anglo-saxons).

Le Russiagate, dont la thèse centrale était l’existence d’une collusion entre Moscou et l’équipe de Donald Trump pour favoriser l’élection de celui-ci à la présidence des États-Unis, a subi une débâcle flagrante lors de la remise du rapport Mueller en mars 2019. Dénuée de toute preuve, cette théorie du complot fait pourtant régulièrement l’objet de tentatives de réanimation par différentes forces traumatisées par la défaite d’Hillary Clinton. Les médias ayant joué un rôle essentiel dans la production de ce mauvais feuilleton d’espionnage – aux conséquences néfastes bien réelles –, il n’est pas inutile de revenir sur le traitement de l’affaire en France. Sur les 56 médias de premier plan que nous avons examinés, dont certains font bruyamment profession d’« indépendance », comme Mediapart ou Le Canard enchaîné, un seul ne s’est pas vautré dans le conspirationnisme : Le Monde diplomatique.

Après sa déroute, le Russiagate a rapidement été remplacé, ou plutôt prolongé, par un autre récit sensationnel qui tournera lui aussi au fiasco, l’Ukrainegate. Les commentateurs et médias dominants (et parfois moins dominants…), nullement ébranlés par leur fourvoiement manifeste, continuent de servir de caisse de résonance docile aux multiples allégations d’« ingérence russe ». Une telle obstination irrationnelle signe la propagande, on peut même légitimement parler de russophobie. C’est parce que les médias refusent de reconnaître leurs erreurs et d’en tirer les enseignements appropriés qu’il est nécessaire de bien prendre la mesure du délire conspirationniste dans lequel ils se sont complu.

Il faut donc se souvenir que la thèse clintonienne d’une collusion entre l’équipe Trump et Moscou en vue de faire élire l’homme d’affaires à la présidence des États-Unis en novembre 2016 a été très favorablement relayée dans les médias occidentaux pendant deux ans et demi. C’est-à-dire qu’elle a occupé le devant de la scène durant la majeure partie du mandat de Donald Trump.

À la remorque de leurs homologues d’outre-Atlantique, les principaux acteurs français de la presse, de la télévision et de la radio, mais aussi la plupart des organes dits indépendants ou alternatifs, ont ainsi donné de l’importance et du crédit à la plus grande théorie du complot officielle depuis la fable criminelle sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein. Nous présentons ci-dessous les preuves de cette quasi-unanimité (98 % des médias dans l’échantillon large et représentatif que nous avons retenu).

Conspirationnisme mainstream

Bien qu’incapables de fournir la moindre preuve, les médias ont choisi de croire – et surtout de faire croire – à ce « Russiagate », un nom faisant référence au scandale du Watergate qui avait abouti à la démission du président Richard Nixon. S’ils se sont acharnés à donner vie à cette conspiration en essayant de faire passer les allégations les plus abracadabrantes pour de solides éléments à charge, c’est principalement sous l’effet grisant d’une double détestation : celle de la Russie (personnifiée par son maître maléfique, Vladimir Poutine) et celle de Trump. La victoire « impensable » de ce dernier face à Hillary Clinton, la championne des élites libérales-atlantistes, devait être contestée d’une façon ou d’une autre ; c’était moins pénible que de s’astreindre à réfléchir aux raisons véritables de la défaite.

Sans originalité, l’amertume du camp otanien a pris la forme d’une accusation du grand méchant ours russe, une incrimination reprise en France y compris par des médias se réclamant – certes plutôt timidement – de positions moins alignées sur l’impérialisme washingtonien (Mediapart, Le Canard enchaîné, Marianne, L’Humanité, Politis). Comme il y a des alter-européistes, il y a des alter-impérialistes ; ce sont d’ailleurs souvent les mêmes.

Il n’était nullement nécessaire d’être bien disposé à l’égard de la ligne politique de Moscou ou de celle (moins claire…) de Donald Trump pour être capable de s’apercevoir que les innombrables adeptes du Russiagate ont fait preuve d’un manque de prudence et de discernement stupéfiant. Il suffisait d’être sensible à la vraisemblance du scénario et attentif aux faits, ou plutôt… à leur absence.

Le paroxysme du n’importe quoi a été atteint avec la médiatisation abondante du « dossier Steele », qui postulait notamment l’existence d’une vidéo dans laquelle on verrait Donald Trump en train de contempler des prostituées soulageant leur vessie sur le lit de la chambre du Ritz-Carlton de Moscou que les époux Obama avaient occupée lors d’une visite présidentielle. Ce « kompromat » obtenu par le FSB permettrait à Voldemort Poutine de faire chanter l’homme d’affaires… Le dossier, un grotesque tissu de rumeurs et de fake news, avait été concocté par un ancien agent du renseignement britannique pour le compte d’un prestataire du Comité national démocrate (DNC – l’organisme qui dirige le Parti démocrate) et du comité de campagne officiel d’Hillary Clinton. Une source on ne peut plus fiable donc.

Aux États-Unis comme en France, les personnes qui exprimaient publiquement des doutes sur la crédibilité du récit dominant étaient volontiers dépeintes en thuriféraires du président américain ou de son homologue russe, voire des deux. Avec ceux qui ont un faible plus ou moins assumé pour l’Otan, l’intimidation et l’ostracisation remplacent souvent l’argumentation. Le débat est rendu délibérément impossible en assimilant toute critique de la ligne euro-atlantiste à un soutien aux « dictateurs » et autres « populistes illibéraux ». C’est l’application d’une méthode simpliste courante en propagande de guerre, généralement cuirassée d’un alibi humanitaire : « Si vous êtes contre un changement de régime par la force en Irak/Libye/Syrie/etc., c’est que vous êtes du côté du boucher Saddam/Kadhafi/Bachar/etc. »

L’irresponsabilité des Russiagâteux

Si tous les médias français n’ont pas défendu la thèse de la collusion avec le même zèle, les comptes rendus et commentaires partaient toujours du principe que celle-ci était crédible et que des éléments probants plaidaient en sa faveur (précisons que la préférence compréhensible de Moscou pour le candidat Trump – compte tenu de l’hostilité anti-russe affichée d’Hillary Clinton – ne constitue évidemment pas en soi une preuve d’entente). Les tournures conservant l’apparence du doute masquaient mal une adhésion préférentielle à la théorie du complot. La rationalité avait une fois encore déserté toutes les rédactions. Toutes sauf celle du Monde diplomatique (et dans une bien moindre mesure celle d’Atlantico), qui parlera de « Tchernobyl médiatique » lors de l’explosion en plein vol du Russiagate.

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