La peine maximale, un an de prison ferme pour « harcèlement moral », a été demandé ce vendredi par le parquet à l’encontre des anciens dirigeants du groupe, dont l’ex-PDG Didier Lombard.
Au terme de plus de sept heures d’un réquisitoire à deux voix, la procureure Brigitte Pesquié hausse soudain le ton. « Votre tribunal doit juger des chauffards du travail ! Le seul sens de la peine est de demander le maximum », assène-t-elle.
Le maximum, soit un an de prison ferme et 15 000 € d’amende pour les trois anciens dirigeants de France Télécom, l’ex-PDG Didier Lombard, l’ex-n°2 Louis-Pierre Wenès et l’ancien DRH Olivier Barberot, jugés pour « harcèlement moral » depuis le 6 mai devant le tribunal de Paris. Le maximum, soit 75 000 € d’amende à l’encontre de France Télécom en tant que personne morale, l’entreprise du CAC 40 devenue Orange en 2013. Et huit mois ferme pour les quatre autres prévenus, leurs « zélés complices ».
Faire sortir 22 000 salariés de l’entreprise en trois ans (2007-2010). En faire bouger 10 000. Le tout pour tenir une promesse faite aux actionnaires : « Doubler les dividendes et générer le max de cash-flow (7 milliards d’euros) au moyen de réductions de postes massives ». Cette « obsession du départ » est devenue « le cœur du métier des dirigeants de France Télécom », avait analysé, tout aussi sévère, la procureure Françoise Benezech en ouvrant le bal. « Le harcèlement moral est mon métier. Ainsi pouvez-vous qualifier vos agissements », avait-elle avancé à l’attention des « trois chefs incontestés » d’une « politique d’entreprise » mise en œuvre à partir de la fin de l’année 2006 à travers les plans dit NExT et Act. Et qui a eu pour conséquence les gestes suicidaires de dizaines d’employés, souvent des fonctionnaires de plus de 50 ans…
Une véritable stratégie de « harcèlement managérial »
Livré après deux mois d’un procès-fleuve où les cas de 39 personnes, dont 19 suicides, ont été longuement analysés, ce réquisitoire accablant s’inscrit dans les pas de l’ordonnance de renvoi. Si ce dossier peut « faire jurisprudence », a souligné la procureure Françoise Benezech, c’est parce qu’il s’agit de démontrer que « l’infraction pénale de harcèlement moral peut-être constituée par une politique d’entreprise » – et non seulement dans un rapport direct entre un subordonné et son supérieur hiérarchique. Or, pour elle, pas de doute : « Les dirigeants de France Télécom avaient conscience que l’annonce de telles suppressions et mobilités ne pouvait que fragiliser les salariés. »
La procureure balaye les explications des prévenus sur le poids du « contexte économique » ou de la nécessaire « survie de l’entreprise », depuis peu sortie du giron de l’Etat. Elle gausse leur « novlangue ou langage corporate » qui voudrait « dissimuler n’importe quelle action délétère. » Elle parle de « choix délibéré, pensé à l’avance ». Soit d’une véritable stratégie de « harcèlement managérial » dont elle détaille longuement les méthodes – et qui constituent autant « d’agissements répétés ». Mobilités internes, emplois précaires, managers chargés de « faire le sale boulot » ou « actions de formations au langage guerrier » dans une école de management dédiée… « Le message, c’est : On va se faire mal, on va suer, mais on va y arriver. Eh bien oui, cela fait mal ! »
« A quoi ça sert d’être un chef si vous n’assumez rien ! »
Ironique à l’égard des prévenus, la représentante du ministère public n’en épargne aucun… « Quel dommage qu’un esprit comme le vôtre ait été mis au service d’un seul objectif, au point de vous rendre sourd et aveugle à tout ce qui n’était pas votre finalité », dit-elle à l’ex- PDG Didier Lombard. « Vous étiez tellement pressé que vous oubliiez que vous parliez de personnes. Il est où l’humain ? », demande-t-elle à l’ex-bras droit Louis-Pierre Wenès. « Vous dîtes qu’il y a beaucoup de jargon ? Oui, Monsieur Barberot », poursuit-elle à l’attention de l’ancien DRH, déclenchant des rires dans la salle.