Introduction : rappel des résultats des Législatives
Le résultat des Législatives semble avoir été écrit par Damien Tarel, et résonne comme une énorme claque infligée au président tout juste réélu.
Les Législatives sont habituellement un scrutin où les électeurs de quasiment tous les camps perdants de la Présidentielle se démobilisent, ce qui génère deux choses. D’abord, une chute de la participation, qui passe des trois quart des inscrits à une petite moitié entre les deux élections. Mais cela crée aussi une forte progression du camp présidentiel en pourcentage des exprimés, ce qui fait gagner ce camp dans la plupart des circonscriptions et assure le plus souvent une majorité, fût-ce en coalition, au gouvernement nommé par le Président de la République.
2022 fait figure d’exception. Nous avons vu dans l’avant-dernière chronique que la scène politique était divisée en trois tiers presque égaux, l’un centriste, l’autre de gauche, le dernier nationaliste. Et chaque camp considère avoir d’excellentes raisons de combattre les deux autres, avec quasiment autant d’ardeur. Même l’habituelle exclusion du RN hors de la sphère dite “républicaine” est désormais en concurrence avec le rejet de la NUPES par les Macronistes, qui voient en cette gauche une force économiquement irresponsable et autoritaire, mais aussi avec le rejet par la NUPES du camp présidentiel vu par la gauche comme socialement cruel et écologiquement dangereux. La détestation de Macron, pour des raisons diverses accumulées au cours des cinq années de son premier mandat, a préparé la rupture du traditionnel « Front Républicain » entre Gauche et Centre censé empêcher toute percée du Front puis Rassemblement National.
L’aventure de la NUPES et la prétention de Jean-Luc Mélenchon à pouvoir accéder à Matignon ont achevé de rompre ce front. Les partisans de la NUPES peuvent s’horrifier de ce que les candidats de la coalition présidentielle « Ensemble », lorsqu’ils étaient vaincus au premier tour, n’ont pas appelé dans la plupart des cas à voter pour la NUPES contre le RN. Mais dans les cas où le RN affrontait « Ensemble », les électeurs NUPES du premier tour furent très loin de tous voter pour l’adversaire du RN !
On s’est ainsi retrouvé avec une Assemblée Nationale dont la composition est assez proche d’une composition à la proportionnelle, mais surtout sans majorité absolue. Outre la rupture du Front Républicain, ce résultat est attribuable à une atypique démobilisation du camp présidentiel. Les électeurs des partis qui ont formé la NUPES n’ont guère été plus nombreux en 2022 qu’en 2017, ce qui fait de la NUPES un succès davantage tactique qu’électoral. Une autre surprise fut la mobilisation plus importante qu’à l’accoutumée des électeurs du RN, ce qui engendra près de 200 duels où le parti de Marine Le Pen était présent. En parallèle, Les Républicains ont connu un effondrement de leurs scores par rapport à 2017, certes bien moins sévère que le désastre des Présidentielles, mais qui priva la Macronie d’un soutien probable dans les duels du second tour, et aboutit à ce que les Républicains et assimilés perdent quasiment la moitié de leurs sièges à l’Assemblée en comparaison d’il y a cinq ans.
Donc, cela ressemble bien à un désastre pour Macron, n’est-ce pas ? Pas tout à fait.
D’abord, je répète que l’un des principaux problèmes de la coalition présidentielle a été la démobilisation de ses électeurs aux Législatives. Les Macronistes ont perdu 4 points parmi les électeurs inscrits entre le premier tour des Législatives de 2017 et celles de 2022. Sans cela, une majorité absolue leur aurait été facilement acquise.
La gauche a très peu progressé durant le même laps de temps. Certes, Jean-Luc Mélenchon peut dire qu’avec 2% des suffrages exprimés en plus, correctement distribués entre les circonscriptions, la NUPES aurait pu être majoritaire au Palais-Bourbon. Mais la Macronie a probablement au moins autant de réserves de voix, d’autant que ses électeurs, âgés et aisés, s’abstiennent généralement moins que ceux de la gauche et en particulier LFI.
Le RN a certes vu davantage de ses électeurs participer à un scrutin qu’ils considèrent d’habitude comme perdu d’avance, mais cela ne prouve en rien qu’il y ait davantage d’électeurs du RN en proportion de la population inscrite. D’ailleurs, Marine Le Pen a en réalité gagné très peu d’électeurs à la présidentielle, si on se réfère au premier tour, le second reposant sur une logique éliminatoire plutôt que de conviction. En pourcentage des inscrits, la candidate du RN n’est passée que de 16,1 en 2017 à 16,6 en 2022, malgré cinq ans d’usure de Macron.
En clair, ni la NUPES, ni le RN ne peuvent être sûrs qu’une prochaine élection leur permettrait d’imposer leur gouvernement. Et ce, malgré une impopularité bien réelle du Président, dont les taux de désapprobation sont en train de progresser vers les 60%.
En attendant, que fait Macron ?
Avant les Législatives, Macron et Borne avaient reconduit plusieurs des ministres issus jadis des rangs de LR (comme Le Maire ou Darmanin), et même intégré un autre (Abad), tout en faisant un appel du pied à une partie de la gauche en nommant Pap Ndiaye à l’Education Nationale. Cela n’a pas suffi pour triompher dans les urnes. Le gouvernement d’Elisabeth Borne, elle-même technocrate venu du jospinisme, a tenté de trouver des ouvertures sur ses deux flancs : avec Les Républicains comme avec le PS, EELV et même, peut-être à titre symbolique pour montrer l’étendue des possibilités d’ouverture, avec le PCF de Fabien Roussel. Devant l’impossibilité de former une coalition, le gouvernement s’est maintenu sur sa position, avec un remaniement a minima pour se débarrasser de plusieurs vaincus des urnes ainsi que du cas controversé de Damien Abad, tout en faisant revenir Marlène Schiappa. Macron entend sans doute montrer qu’il ne regrette rien de son premier mandat, et qu’il n’est pas prêt à des acrobaties désespérées pour former une coalition majoritaire à l’Assemblée.
Il n’y a pourtant dans l’immédiat aucune suite a priori satisfaisante pour la Macronie : gouverner au 49.3 n’est pas possible pour tous les projets de loi , et gouverner ainsi ou par ordonnances peut engendrer de nouveaux mouvements de contestation dans la rue, comme lors de la réforme des retraites fin 2019 ou avec les Gilets Jaunes. Il se pourrait également que les oppositions décident, à terme, de se liguer au moins une fois pour voter une motion de défiance et faire tomber le gouvernement, même si cela n’aboutissait qu’à faire perdre du temps à l’Elysée jusqu’à ce qu’il reconstitue un autre gouvernement. Faire des majorités ponctuelles pour chaque projet de loi risque d’être non seulement chronophage, mais aussi d’être une source d’incohérences dans la ligne politique gouvernementale et présidentielle.
Mais il faut se rappeler de qui est Macron, et pourquoi cette situation peut lui être à moyen terme convenable, voire favorable.
D’abord, Macron ne rechigne pas à changer de ligne ni même de base politique. L’ancien ministre de l’Economie était parti à l’assaut de l’Elysée en 2017 avec une partie du PS et des centristes, avant de faire migrer son cœur électoral sur la droite depuis 2017 jusqu’aux Européennes de 2019.
Macron est aussi un président qui, contrairement à son prédécesseur Hollande, s’est habitué aux conflits, et après une période initiale de flottement, sait en tirer profit. Un temps tétanisé par les Gilets Jaunes fin 2018, il réagit par un Grand Débat qui ne trompa personne dans le fond, mais fut une opération de communication rondement menée. Les confusions multiples de janvier et février 2020 face au Covid arrivant de Chine puis d’Italie ont été recouvertes par le « Nous sommes en guerre». La conflictualité lors de la gestion de la crise Covid fut de plus en plus assumée au fil du temps (et je dis cela sans me prononcer sur le fond), jusqu’au « J’ai bien envie de les emmerder » visant les non-vaccinés. Enfin, la guerre ukraino-russe a permis au Chef de l’Etat de renforcer sa posture martiale et protectrice, occultant le fait que Macron et ses partisans croyaient encore à la paix à la veille du conflit, et qu’en dehors des postures, la France est loin d’être le premier soutien européen de l’Ukraine.
Macron peut se nourrir du conflit, tant qu’il n’a pas d’adversaire solide sur le long terme, ce qui a été le cas avec les Gilets Jaunes. Mais ce fut aussi le cas lors des élections, en particulier sur la question ukrainienne, où tant Le Pen que Mélenchon n’ont pu démontrer qu’ils avaient une stratégie alternative crédible, à part une neutralité de fait.
Et la situation parlementaire actuelle correspond encore à ce type de cas : Macron est défié, mais, comme nous l’avons vu, aucun camp ne peut l’emporter contre lui dans l’immédiat.
L’adversité va se renforcer avec les défis qui s’accumulent.
L’inflation est forte, bien que pour l’instant plus faible en France que dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest. Cette inflation pourrait continuer, ou décélérer pour laisser la place à une récession, déjà indiquée par les marchés financiers et la révision à la baisse des prévisions de croissance. En parallèle, la guerre d’Ukraine voit se dessiner le scénario d’une victoire russe, assez laborieuse et lente, mais une victoire quand même, ce qui sera un échec géopolitique à gérer pour les principaux membres de l’Union Européenne. Et on a vu programmer l’intégration de l’Ukraine et de la Moldavie à l’UE, ce qui fera deux sources de coûts aux titres des subventions et de la reconstruction de l’Ukraine que la France devra supporter avec les autres pays d’Europe occidentale.
D’autres menaces peuvent s’ajouter, comme celle d’une nouvelle vague Covid, ou de l’impact du réchauffement climatique sur l’agriculture française, déjà fort mal en point commercialement. Je vous fais confiance, chers lecteurs, pour ajouter d’autres ombres au tableau dans les commentaires.
Quand Macron repartira à l’offensive, qui seront ses ennemis et ses victimes ?
Le plus probable est que Macron finisse par proposer des réformes ou des mesures d’urgence brutales, et qu’il mette les oppositions au pied du mur : soit plusieurs groupes parlementaires, tels que les Républicains ou le PS, voire EELV, s’associent à « Ensemble » pour former une coalition de fait, soit il dissoudra l’Assemblée au moment opportun. Qu’il soit minoritaire en termes d’approbation par l’opinion publique n’est pas un problème, tant qu’il peut faire le plein de voix parmi ses soutiens, et que personne n’apparaîtra en mesure de faire mieux que lui.
L’une des victimes d’une telle opération pourrait être Les Républicains. Pour l’instant, ce parti veut rester dans l’opposition. En cas de dissolution, le risque est grand pour Les Républicains de voir une partie de leurs électeurs de centre-droit opter pour la coalition présidentielle dès le premier tour. Cela pourrait probablement concerner jusqu’à la moitié des électeurs LR, si l’on en croit les sondages à l’issue du second tour des Législatives de juin sur les reports de voix par rapport au premier tour. Et la cause en serait que ces électeurs LR Macron-compatibles voudraient mettre fin à l’ingouvernabilité de la France – ou la situation qui serait présentée sous ces traits par Macron et son parti Renaissance. A l’inverse, choisir d’entrer dans la majorité présidentielle serait un suicide pour LR, du moins sa fin en tant que parti de droite dure, ce qui pourrait lui faire perdre nombre d’électeurs, de cadres et d’élus sur son aile droite.
Le RN, de son côté, sait qu’il n’est pas en mesure de gagner de nouvelles élections. Il peut éventuellement gagner des voix, mais il peut perdre des députés, si jamais le Front Républicain se reformait ou que les électeurs Macronistes se mobilisaient en masse. Il faut dire que le parti de Jordan Bardella ne s’attendait sans doute pas à avoir des députés en si grand nombre. Le premier impératif du RN à l’Assemblée Nationale est d’abord d’apparaître comme un parti parlementaire crédible, et de faire fonctionner correctement son groupe. Ce qui peut expliquer pourquoi le RN évite de faire du blocage contre la majorité relative, en laissant Yaël Braun-Pïvet être élue présidente de l’Assemblée sans lui infliger un tour de vote supplémentaire, ou en refusant de voter la motion de défiance qu’a lancée la NUPES suite au discours de politique générale d’Elisabeth Borne. En sens inverse, les députés Macronistes ne se sont pas opposés à l’élection de deux vice-présidents RN dans le Bureau de l’Assemblée Nationale. C’est certes dans l’esprit de la composition de ce Bureau, qui doit globalement être à l’image de la répartition des sièges par groupes parlementaires. Mais, techniquement parlant, les députés d’« Ensemble » auraient pu ne pas soutenir Hélène Laporte et Sébastien Chenu, voire leur préférer les écologistes Sandrine Rousseau et Benjamin Lucas. Le choix de la majorité présidentielle n’est pas celui d’une alliance avec le RN comme le disent beaucoup de gens à gauche, et on vient d’en voir une confirmation par le vote du RN conjoint à la NUPES contre la restauration du Pass sanitaire aux frontières et pour les mineurs. Mais « Ensemble » paraît avoir décidé de laisser au RN la place et la visibilité qui reviennent à un parti ayant 15% des sièges…peut-être dans l’espoir que le RN déçoive ses électeurs et se décrédibilise tout seul, ou au moins que ses les votes des députés RN puissent servir à alarmer et mobiliser les électeurs Macronistes.
En attendant, c’est la NUPES et plus particulièrement LFI que le gouvernement a choisi comme ennemi. Il va d’abord essayer de lui couper l’herbe sur pied avec une loi sur le pouvoir d’achat, qui sera toujours considérée comme insuffisante à gauche voire à droite. Mais le gouvernement pourra toujours prétendre allier la responsabilité sociale et la bonne gestion des finances publiques.
Le 14 juillet dernier, dans son allocution, Emmanuel Macron a renforcé cette posture hostile contre la gauche en confirmant ses projets de réformes des retraites et de l’assurance-chômage – reléguant à une moindre priorité les sujets de la transition voire de la “planification” écologiques qu’il évoquait avant le premier tour des Présidentielles, lorsqu’il était question de se rallier des électeurs à gauche. En revanche, Macron peut ainsi attirer une partie de l’électorat de droite sensible au discours contre l’assistanat social.
En cas de Législatives anticipées, cette stratégie présidentielle pourrait être perdante si la NUPES restait unie électoralement et si elle agrégeait à elle l’essentiel des anti-Macrons. Mais la NUPES a échoué à créer ce rassemblement en juin. Et l’union de la gauche à l’Assemblée s’est fissurée en moins de temps qu’il n’en faut à une rose pour fâner. Si Macron parvient à creuser cette désunion, une dissolution pourra vite devenir intéressante pour lui.
Conclusion
Macron ne dispose pas d’une majorité des trois cinquièmes de l’Hémicycle pour pouvoir modifier la Constitution et briguer un troisième mandat. Rien ne dit que dans cinq ans, il aura encore envie de se représenter. Mais il peut très bien vouloir partir en laissant un champ de bataille derrière lui, qui pourra toujours être gouverné avec davantage de peur, de crises et de contraintes supranationales incarnées par l’Union Européenne ou l’OTAN.