Ils ont décidé de l’appeler « l’affaire du siècle », parce que le climat est l’enjeu de notre époque. Quatre ONG – Greenpeace, la Fondation pour la nature et l’homme (FNH), Oxfam et Notre affaire à tous – lancent ce mardi 18 décembre la première étape d’un recours contre l’État français. Il s’agit de faire reconnaître par la justice « l’obligation de l’État d’agir pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C, et de protéger les citoyens dont les droits fondamentaux sont menacés », dit Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France. « On a essayé toutes les méthodes habituelles des ONG auprès des gouvernants, explique Célia Gautier, responsable climat et énergie à la FNH. Face à cette situation d’urgence absolue, on passe à l’étape supérieure, il faut mettre l’État sur le banc des accusés. »
La première étape consiste à envoyer une « demande préalable », sous le format d’une lettre, au président de la République, au Premier ministre et aux ministres concernés, expliquant les carences de l’État et lui demandant d’agir. Si la réponse n’est pas satisfaisante, les ONG saisiront le tribunal administratif d’un « recours en carence fautive ».
La demande préalable rappelle, entre autres, que la France est le pays européen le plus touché par le changement climatique et que la température y a déjà augmenté en moyenne de 1,4 °C. Pour démontrer l’obligation d’agir de l’État, les ONG font appel au préambule de la Constitution de 1946 et à la Charte de l’environnement — deux textes inscrits dans le préambule de l’actuelle Constitution — ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’Homme : ces trois textes consacrent le devoir de l’État de protéger la santé, l’environnement, ou encore la sécurité matérielle de ses citoyens. Par ailleurs, les associations requérantes estiment que l’ensemble des textes nationaux, européens et internationaux sur le climat, « permettent aujourd’hui de reconnaître l’existence d’un “principe général du droit” portant obligation de lutte contre le changement climatique ».
Sur le climat, « un gros décalage entre les objectifs et les résultats »
Puis elles montrent que l’État n’agit pas suffisamment. « En particulier en ce qui concerne les énergies renouvelables, les émissions de gaz à effet de serre, et la réduction de la consommation d’énergie, il y a un gros décalage entre les objectifs et les résultats, relève Célia Gautier. Même l’État, à travers le Commissariat général au développement durable, ou l’Ademe [Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie] le disent. Cela nous donne des billes. »
Ainsi, l’Union européenne fixe un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 14 % en 2020 (par rapport à 2005). Or, depuis deux ans, les émissions de gaz à effet de serre en France sont reparties à la hausse. En 2017, le pays a produit 6,7 % d’émissions de plus que prévu. Du côté des énergies renouvelables, ce n’est pas mieux : elles fournissaient en 2017 16,3 % de la consommation d’énergie finale, alors que l’UE nous demandait d’atteindre 19,5 %. Il en va de même du côté de la consommation d’énergie. Dans le secteur tertiaire, la consommation n’a baissé que de 2 % entre 2012 et 2016, alors qu’il faudrait atteindre une diminution de 18 % d’ici 2023… Symbole politique récent de ce manque d’action, « l’absence de nos ministres à la clôture de la COP24 est une provocation irresponsable de nos pays riches face aux personnes les plus vulnérables en France et partout dans le monde », fustige Cécile Duflot.
L’État ne se donne pas les moyens d’atteindre ces objectifs, poursuivent les requérants, qui là encore accumulent les chiffres : ils citent notamment une étude de l’Institute for climate economics (I4CE) qui évalue un manque de 10 à 30 milliards d’euros d’investissements pour le climat en 2018.
En matière de protection des populations contre les effets du changement climatique, l’État ne fait pas mieux, estiment encore les associations. Alors que la Convention de l’ONU sur le climat préconise de s’adapter depuis 1992, la stratégie française date de 2006. « Et les plans ne sont pas suffisamment ambitieux et mis en œuvre, dit Célia Gautier. Par exemple, l’ensemble de la politique d’urbanisme est à revoir pour protéger les citoyens des fortes pluies, des inondations et des sécheresses. »
Pourtant, les conséquences de cette inaction sont en France de plus en plus visibles, comme l’a montré la série de reportages publiés en coopération par Basta, Mediapart, Politis, Projet et Reporterre : forte diminution de la neige dans les Alpes, logements indignes en Seine-Saint-Denis, ostréiculteurs touchés par le réchauffement de l’eau, agriculteurs frappés par la sécheresse, etc. Plus généralement, la fonte des glaciers, la hausse du niveau de la mer, la dégradation de la qualité de l’air, l’exposition à des phénomènes météorologiques extrêmes sont citées comme des conséquences de l’inaction politique pour l’environnement et les populations en France. C’est pourquoi les ONG appellent les citoyens à soutenir leur action.