LES GILETS JAUNES – Les Reportages de Vincent Lapierre

 

Le 17 novembre se déroulait dans toute la France des manifestations de « gilets jaunes » marchant contre la hausse des prix de l’essence, mais plus généralement contre la fiscalité trop lourde et les multiples réformes du gouvernement conduisant au moins-disant social. « Macron, démission ! », c’est le slogan que l’on pouvait entendre aux quatre coins de la France mais également à Paris, où notre équipe du Média pour Tous a pu suivre ces Français à bout de nerfs.

 

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Les Gilets jaunes, une graine française

 

Le mouvement des Gilets jaunes, cette génération post-syndicale spontanée, est une mobilisation typiquement française. Aucun pays au monde ne propose dans son CV autant d’inventivité contestataire : ça commence par les jacqueries paysannes de 1358, ça se poursuit avec la révolte anti-seigneuriale de 1489, trois siècles avant ce qui deviendra la Révolution.

 

La suite est connue : 1789 (20 000 victimes de la Terreur et 170 000 morts dans le génocide vendéen), les Trois Glorieuses de 1830 (1 000 morts à Paris), 1848 (où 3 000 Parisiens renversent le pouvoir monarchique, occasionnant 350 morts sur les trois journées), 1871 (la Commune de Paris et ses 7 000 morts, dernière estimation), 1934 (37 morts et 2 000 blessés lors des émeutes antiparlementaires de février), 1940 (la révolution nationale du maréchal Pétain, car toutes les révolutions ne sont pas de gauche), et enfin la révolution bourgeoise (ou pacifique) de 1968.

 

Depuis 150 ans, le sang n’a plus coulé lors des convulsions populaires, le pouvoir sachant d’expérience que l’utilisation du feu et la fabrication de martyrs dégénèrent obligatoirement en émeute(s) et se retournent contre lui. La colère du peuple ne doit pas, du point de vue policier, dépasser un certain stade, celui où les manifestants se changent en insurgés.

 

La dernière grande secousse syndicale massive dura trois semaines jusqu’au 15 décembre 1995, lorsque le Premier ministre Alain Juppé dut remballer sa réforme de la Sécurité sociale.

 

Le 17 novembre 2018 a-t-il sa place dans cette lignée historique ?

 

Ce que nous apprend la mobilisation surprise du 17 c’est que la contestation fait encore partie de l’ADN national et peut resurgir à tout moment. Si les manifestants du samedi « jaune » ont un mort à déplorer, les heurts entre forces de l’ordre et manifestants ne sont plus aussi violents qu’autrefois. Les soldats ne fusillent plus les conjurés, Castaner n’est pas Thiers.

 

Dans les années 1960 et 1970, le grand Parti communiste français était à la manœuvre pour organiser la contestation, avec la bénédiction du grand frère soviétique, une contestation qui a fait avancer les droits sociaux. La fin progressive du PCF sous les gouvernements socialistes (1981-1995) a laissé le peuple de gauche orphelin des grandes démonstrations, l’union syndicale n’étant qu’un vieux rêve. Le libéralisme des années 1980 (Fabius en 1983, un Macron avant l’heure) et son outil principal le chômage de masse ont gelé en profondeur la lutte des classes. C’est pourquoi les blocages du 17 novembre ont été à la fois spontanés et efficaces, un paradoxe pour les observateurs de la chose sociale. La glace a été fendue par endroits, a craqué par d’autres.

 

Une graine pousse.

 

290 000 Français mobilisés selon l’Intérieur, estimation reprise par les médias, un million selon les organisateurs, sauf qu’il n’y avait pas d’organisation centrale, comme on avait pu le voir en 2013 lors des manifestations contre le mariage gay, où Monseigneur Barbarin faisait partie des « conspirateurs » (la justice française le lui fera payer plus tard)… Les mouvements sans tête et autogérés qui s’appuient sur les réseaux sociaux et leur surprenante viralité sont indétectables pour le pouvoir. Ses radars ne scannent pas le ras des pâquerettes. Si le mot d’ordre n’était pas de prendre l’Elysée, une petite foule « bon enfant » s’en est néanmoins approchée. la symbolique s’arrête là, à cette ligne rouge.

 

Alors, quel est le sens d’un tel spectacle, s’il se limite à la démonstration de force et qu’il n’a pas de tête pensante, d’objectif clair, de futur organisé ? N’est-ce pas plutôt une démonstration de faiblesse ?

 

Le Premier ministre, installé à la chaire de la messe du 20 heures le lendemain, a confirmé contre vents et marée populaire ses orientations économiques. Entre 300 000 et un million de manifestants n’ayant pas suffi à infléchir la ligne libérale, le 17 novembre doit être considéré comme un échec. Sauf si le mouvement se structure, pourquoi pas, en parti politique. Sur ce point, l’expérience de la Manif pour Tous peut servir : la contestation de 2013 avec ses trois manifestations massives qui ont résonné jusqu’en Italie a fini par se dissoudre dans les calculs politiques et des combinazione. Un résultat décevant « aidé » par les professionnels du pouvoir, qui a de la sorte éteint l’incendie. Cinq ans plus tard, plus personne n’entend parler de ce mouvement spontané qui n’a même pas trouvé son prolongement électoral. Le peu combatif candidat Fillon hésitera à s’en emparer lors de la campagne présidentielle 2017.

Cependant, il n’est écrit nulle part qu’un mouvement populaire incontrôlable doive pour se survivre muter en syndicat, parti ou bulletins de vote, ces vieux habits démocratiques.

 

Au vu des bouleversements que subit le système démocratique actuellement, fonder le « parti des Gilets jaunes » et s’inscrire dans le processus électoral reviendrait à une stérilisation. L’histoire montre que trois suites s’offrent à une expression apolitique massive : la normalisation, la radicalisation et l’extinction. Sinon la victoire, ou renversement de régime. Le Parti socialiste français, en lambeaux dans les années 1960 (sous le sigle SFIO), s’est hissé en moins de 20 ans au pouvoir (1981). Rien ne prédestinait cette formation écrasée entre les deux géants UDR (la droite gaulliste) et PCF à bousculer le jeu politique en moins d’une génération (25 ans).

 

Quelle leçon en tirer ?

 

Le mouvement du 17 novembre n’apportera selon toute vraisemblance rien de tangible dans l’immédiat. Les prix et les taxes continueront à monter et les poches du peuple à se vider. Ce type de soubresaut porte ses fruits sur le long terme. En 1971, deux ans après une présidentielle où le candidat Gaston Deferre atteignit piteusement 5% des voix, le secrétaire du Parti socialiste pas encore unifié entamait une série de chroniques quotidiennes réunies plus tard sous le nom de La Paille et le Grain. Un titre qui donne une idée de la patience qu’il faut pour accéder au pouvoir. Un temps que l’on ne peut accélérer, mais que l’on ne peut freiner.

 

Les Gilets jaunes annoncent la fin d’un cycle, d’un règne, d’un système. Nous verrons ce que cette graine jaune (blé) donnera.

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