Ikea a, pendant près de 10 ans, espionné ses salariés et des clients mécontents : consultation de fichiers de police, espions infiltrés… La justice a enquêté mais des zones d’ombre demeurent : pourquoi n’a-t-on pas identifié les policiers corrompus ?
Juin 2003, Ikea Paris Nord Hocine Redouani n’a à l’époque, que 19 ans. Après plusieurs entretiens, il vient juste de signer un CDI chez le géant suédois du meuble en kit. Pour lui, tout roule. Mais après quelques semaines, son boss vient le trouver et lui passe une soufflante :
« Il me dit : “comment as-tu pu me cacher ça ? T’as un casier et pour braquage ?” »
Le jeune homme est éberlué. Lui qui n’a jamais mis les pieds dans un commissariat est tout à coup rhabillé en bandit de grand chemin. L’affaire pourrait prêter à sourire si son job n’était pas en jeu. Il est en encore en période d’essai :
« J’ai dû demander moi-même un extrait de mon casier judiciaire pour prouver ma bonne foi. »
Hocine Redouani range l’affaire dans un coin de sa tête et poursuit sa carrière dans l’entreprise. Le mystère ne sera dissipé que quelques années plus tard. Mars 2012, Adel Amara – le délégué Force Ouvrière (FO) d’Ikea Franconville – farfouille sur les disques durs ouverts à tous les salariés de l’entreprise. Simple curiosité ? Pas vraiment, il cherche des infos. Le syndicaliste a l’impression d’être surveillé par sa direction.
À l’époque, on le prend pour un fou, et pourtant… Il finit par découvrir le pot aux roses. Dans ce disque dur se trouvent des mails et des documents qui, comprend-il petit à petit, montrent qu’Ikea missionne des sociétés de sécurité privée pour éplucher le passé de ses salariés. L’histoire tombe entre les mains du Canard Enchaîné et de Médiapart qui révèlent l’affaire. Puis Adel Amara et Hocine Redouani, à l’époque également encarté chez FO, contactent les jeunes avocats maîtres Yakouti et Hakiki. Ensemble, ils vont déposer une première plainte. C’est le début d’une très longue procédure : huit ans d’enquête qui vont révéler un véritable « système d’espionnage organisé », écrira le juge d’instruction. Du 22 mars au 2 avril 2021, la société Ikéa et 15 personnes seront jugées dans cette affaire. Parmi elles, deux anciens PDG de la filiale française et une poignée de fonctionnaires de police.