Depuis une trentaine d’années, la nature et la multiplicité des liens entre les entreprises privées, l’université et les grandes écoles françaises ne cessent de s’étendre. Une tendance révélant non seulement le dispositif idéologique à l’œuvre, mais aussi les incohérences de certaines institutions qui initient des partenariats privés avec des sociétés polluantes tout en promouvant la transition écologique.
«Pouvons-nous imaginer un centre de R&D du groupe Huawei au sein de Télécom Paris, de Monsanto sur le campus d’AgroParisTech, de British Tobacco dans une faculté de médecine ou de Nexter à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr ? » Ces mots de révolte sont ceux des étudiants et anciens élèves de Polytechnique. Parmi leurs griefs, qu’ils expriment en partie sur un site dédié à leur revendication, l’opposition au projet de Total d’installer un centre d’innovation et de recherche où travailleront pas moins de 250 salariés en plein cœur du campus – entre le restaurant, les logements et les salles de cours.
En plus d’y prendre ses quartiers, Total prévoit de construire des espaces communs (salles de travail et de conférence, cafétéria, etc.) à destination des salariés et des étudiants. Une proximité inacceptable pour 61 % de ces derniers, interrogés par les représentants d’élèves de l’École polytechnique, qui fustigent tant l’initiative que l’absence de transparence de la part de l’administration. Finalement construit 200 mètres plus à l’est, eu égard au dernier conseil d’administration (CA) de Polytechnique, le centre de recherche conservera toutefois les espaces communs aux étudiants et aux salariés.
À cette nouvelle polémique qui s’installe dans le débat public s’en ajoutent d’autres, comme la création à l’université Paris Sciences & Lettres (PSL) d’un diplôme d’établissement à caractère de licence « Sciences pour un monde durable et impact positif » financé presque exclusivement par BNP Paribas, ou encore les multiples partenariats industriels noués avec les institutions : entre Sciences Po et Total, l’École des ponts et Veolia, Centrale et Schlumberger, ou l’université Paris-Dauphine et Mazars et le Crédit Agricole CIB. Rassemblés, tous ces attelages révèlent la toile de fond et les mutations profondes de l’enseignement supérieur, dont l’indépendance risque fort de s’abîmer pour n’être plus qu’un souvenir.
Une mécanique bien huilée
Ce basculement s’est d’abord opéré au niveau juridique. À partir des années 2000, une succession de lois engagent les universités et les grandes écoles vers une « plus grande autonomie budgétaire ». La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), adoptée le 1er août 2007 puis promulguée le 10 août 2007, donne par exemple forme aux pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), qui permettront, dix ans plus tard, la fusion des universités – gage d’une plus grande visibilité et « compétitivité » internationale, mais aussi (et surtout) la possibilité pour les établissements de créer des fondations de droit privé et des partenariats avec des entreprises.
Depuis, les partenariats entre les grandes écoles, les universités et les entreprises se multiplient sous diverses formes. « Partenariats universitaires dans le monde », « bourses d’études », « MOOC » (1), « challenges étudiants », « Total Professeurs Associés (TPA) », « présence sur les forums », « chaires d’enseignement et de recherche », « sponsoring et participation à des événements majeurs pour la communauté éducative internationale »… l’organigramme du site internet de Total révèle la pléthore de liens possibles entre les entreprises privées et l’enseignement supérieur.
Outre les relations « formelles », d’autres approches moins visibles existent, comme celle menée au sein des Bureaux des étudiants (BDE), désormais directement financés par des entreprises. À titre d’exemple, les financements de la « Kès », le bureau des élèves de Polytechnique, proviennent à la fois des cotisations, des partenariats avec le privé (des trois entreprises marraines de promotion) et du forum des entreprises – l’équipe administrative de Polytechnique et les responsables de la trésorerie du BDE n’ont pas souhaité communiquer les chiffres.
Un « mélange des genres » qui irait croissant depuis les années 2000, selon Léonard, un ancien trésorier de la Kès, depuis membre de La Sphinx, un groupe de réflexion d’anciens étudiants qui vise notamment à questionner la place de Polytechnique dans l’enseignement supérieur public.
S’acheter une crédibilité écologique
L’arrivée conjointe des filières « environnement » – qui se déploient sous bien des aspects (« énergies renouvelables », « développement durable », « recyclage des déchets »…) – a aussi été l’occasion pour les multinationales de l’énergie de créer des partenariats. Or, leur activité repose encore essentiellement sur l’extraction et la production de pétrole (Total), la vente de services et d’équipements pétroliers (Schlumberger), ou encore sur des activités mandataires de multinationales pétrolières (Butagaz). Hugo*, étudiant à Sciences Po Paris à l’École d’affaires publiques (EAP), pointe ainsi certains travers : « Ce qui m’a le plus choqué, c’est que l’ensemble des cours sur l’énergie portait sur le pétrole ou le gaz et qu’il n’y avait quasiment rien sur les énergies renouvelables, alors même que l’intitulé de notre master comprend la notion de “développement durable”. »
En effet, en 2017, la première année de master d’affaires publiques « Énergie, ressources et développement durable » s’est soldée par un sentiment de désillusion pour certains étudiants, après la découverte du « partenariat stratégique » avec Total. « Lors de la première année de master, l’un des cours obligatoires sur la géopolitique de l’énergie était tenu par le président de la Fondation Total et, en master 2, nous avions un cours sur la finance tenu par un banquier qui était clairement climatosceptique. C’est lorsque j’ai dû réaliser un exposé sur le modèle de financement d’un puits de pétrole que j’en ai eu assez. Avec deux autres étudiants, nous sommes allés voir l’administration. La directrice exécutive de l’École d’affaires publiques nous a alors répondu qu’il n’était pas possible de changer le contenu de la formation pour l’instant, que “Total était très content de la formation de Sciences Po”. »
Même si Total, contacté par Socialter le 15 juin 2020, avance que « le groupe n’a aucun droit de regard sur les cours dispensés par Sciences Po ou sur les recherches qui y sont menées », cela n’a pas empêché l’entreprise d’instiller sa vision du monde dans les salles de cours : « Je me rappelle avoir été extrêmement choquée par les paroles de l’un de nos professeurs, Yves-Louis Darricarrère, alors président de la Fondation Total. Il nous avait dit que la guerre d’Irak n’avait rien à voir avec le pétrole, qu’il ne fallait pas s’inquiéter car il y aurait encore du pétrole pour quatre-vingts ans… Nous étions en complet décalage. Lui avait passé toute sa carrière chez Total, c’était un convaincu, il imposait son point de vue. Nous sommes même allés le voir avec d’autres étudiants pour lui dire que ce cours ne correspondait pas à ce à quoi nous nous attendions », confie Emma, ancienne étudiante de Sciences Po Paris.
Selon l’école, la part des dons octroyée par Total représenterait 0,1 % du budget de l’établissement. Les étudiants à l’initiative de la campagne Sciences Po Zéro Fossile, un collectif qui œuvre pour le désinvestissement des énergies fossiles au sein de l’école, sont quant à eux plus sceptiques : « Les étudiants des promotions précédentes ont eu accès à des chiffres plus élevés, et il est aujourd’hui impossible de savoir en tant qu’étudiante de Sciences Po le montant et la répartition des dons de Total et de sa Fondation au sein de l’établissement », explique Delia Ioana Nedelcu, membre du collectif.
Pourquoi est-ce qu’ils perdent leur temps à étudier, ils savent déjà tout ! Ce prof oui, ce prof non, celui-ci a raison, celui-ci croit n’importe quoi donc faut le virer pour qu’il ne perturbe pas une nouvelle pensée unique vitale (puisqu’on parle de sujets apocalyptiques non perceptibles justifiant donc la pensée unique et la dictature mondiale)…
Inquiétant.
Le lobyng ne suffit plus, il faut « qu’ils » s’implantent le plus vite possible dans la tête des étudiants qui préparent le monde de demain , sans rien changer. Et les partenariats publics privés, on en parle ? ça débouche sur des gabegies financières, des incohérences de fonctionnement, et ça permet de recycler à l’infini des gens à des postes clés.