Selon les chiffres de la croissance au premier trimestre 2020 dévoilés par l’INSEE (l’institut national de la statistique et des études économiques), la France connaît un recul historique de -5,8% de son PIB (Produit Intérieur Brut, soit les richesses produites sur le territoire). C’est tout simplement du jamais vu depuis la création de cet indicateur en 1949. Pire encore, le recul français est le plus marqué d’Europe. L’Italie ou L’Espagne, pourtant plus durement touchées par l’épidémie – et plus tôt en confinement – s’en sortent mieux et ne reculent respectivement que de -4,7% et -5,2%. Comment expliquer un chiffre si négatif ? D’autant que les prochains mois risquent d’être encore plus durs, laissant entrevoir une crise économique, sociale et sociétale d’ampleur dans notre pays.
Sur le plan national, plusieurs indicateurs économiques très négatifs
L’INSEE a révélé fin avril l’ampleur de la chute du PIB français au premier trimestre. Avec une large partie du pays à l’arrêt forcé, une forte baisse était attendue. Seulement, il semble qu’elle soit au final pire que prévue. La croissance française recule donc de -5,8%, soit la pire récession de son histoire sur un trimestre depuis 1949, année des premiers calculs similaires. En comparaison, la baisse enregistrée au premier trimestre 2009, en pleine crise financière, n’avait été que de -1,6%. Au deuxième trimestre de l’année 1968, pourtant marqué par la révolte de Mai, la France avait connu une baisse de -5,3% de son PIB.
La consommation des ménages est un indicateur puissant de la (bonne) santé économique. Au mois de mars, avec « seulement » 14 jours de confinement, la consommation des ménages français chutait de 17,9% par rapport à février, soit la plus forte baisse mensuelle enregistrée en 40 ans. Le chômage, qui s’accompagne d’une baisse de revenus et donc de pouvoir d’achat, a quant à lui connu une envolée historique en mars (+7,1%).
L’économie française est la plus touchée d’Europe
Une situation d’autant plus inquiétante que la France souffre davantage des conséquences économiques du Coronavirus que ses voisins européens. Sur l’ensemble de la zone euro, le PIB n’a reculé sur le premier trimestre 2020 que « de » -3,8%. Si l’on regarde du côté de deux pays plus touchés sanitairement que le France, à savoir l’Italie et L’Espagne, la récession semble moins importante. L’Italie connaît une chute de son PIB de -4,7% et l’Espagne de -5,2%. Pourtant pays le plus touché au monde par le Covid-19 en nombre de décès, les États-Unis connaissent une baisse du PIB de -1,2% seulement. En revanche, la Chine fait pire que nous avec une baisse de son PIB de -9,8%.
Des chiffres à nuancer néanmoins, car la Chine a des taux de croissance bien supérieurs à l’Europe, et devrait se redresser plus vite. Les USA ont été touchés par l’épidémie quelques temps après nous. Il sera intéressant de regarder les prochains chiffres américains, sans doute plus révélateurs de l’ampleur de la crise. Surtout, la méthode de calcul n’est pas totalement similaire entre les pays. Si cela donne une tendance, la stricte comparaison est donc à nuancer. L’institut de la statistique italien n’a d’ailleurs pas donné de chiffres détaillés, soulignant que le confinement avait perturbé leur collecte de données. Enfin, l’Espagne et l’Italie connaissaient des situations économiques moins bonnes que la France avant la crise (le taux de chômage espagnol frôlait les 14%, et le PIB italien pour 2019 était quasi nul). En somme, en partant de « plus bas », la chute semble un peu moins brutale pour ces deux pays.
Vers un deuxième trimestre encore pire
C’est tout simplement un désastre économique, et donc social, qui s’annonce malheureusement en France. Les résultats du premier trimestre sont très mauvais, alors que le confinement n’a été que de deux semaines… En comptant au moins un mois et demi d’arrêt au second trimestre, les chiffres vont être de facto encore pire. Pour l’économiste Marc Touati, interviewé par le magazine Capital, « le plongeon devrait au moins atteindre 8% au deuxième trimestre ». Si tel était le cas, le PIB français baisserait donc d’au moins 13% sur les six premiers mois de l’année. « Or, il faut savoir que, d’ores et déjà, compte tenu de la chute du premier trimestre 2020, le niveau actuel du PIB français est équivalent à celui de 2015. à la fin du premier semestre 2020, il devrait atteindre celui de la fin 2005! Oui, vous ne rêvez pas: un retour en arrière de 15 ans! » ajoute-il. Seulement, la France comptait environ 62 millions d’habitants en 2005, contre près de 67 millions en 2019. Avec 5 millions d’habitants supplémentaires et une richesse produite équivalente, le pouvoir d’achat par habitant va mécaniquement être bien plus faible.
Au vue de ces chiffres, on comprend l’empressement du gouvernement de relancer la machine économique. En première ligne, Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, déclarait il y a peu qu’« il faut qu’un maximum de Français reprenne le travail ». Un mission plus facile à dire qu’à faire, alors que les hôpitaux redoutent un déconfinement trop laxiste qui amènerait une nouvelle vague de patients.
La reprise sera d’être lente et difficile
L’économie française ne connaîtra pas de rebond immédiat à la sortie du confinement, toujours prévue le 11 mai au moment où nous écrivons ces lignes. Le redressement français sera lent et chaotique. Premier élément d’explication, le déconfinement sera progressif, le gouvernement ayant déjà encouragé ceux qui le peuvent à rester en télétravail. Deuxième élément, de nombreux secteurs d’activités stratégiques demeureront durablement en récession, comme le tourisme, l’hôtellerie, ou encore le transport aérien par manque de touristes justement. Fermés (ou en activité réduite) depuis plusieurs semaines, les restaurants et petits commerces vont avoir toutes les peines du monde à survivre. Les ventes d’automobiles sont également pratiquement à l’arrêt. Troisième élément, les entreprises vont devoir s’adapter à de nouvelles normes d’hygiènes, qui vont freiner leurs capacités de production. Dans le même temps, les ménages vont naturellement privilégier l’épargne aux dépenses non essentielles.
Plus difficile encore, nous ne devrions retrouver la croissance de 2019 que d’ici plusieurs années, et connaître une explosion du chômage. Pour Marc Touati, « dans ce cadre, même en faisant l’hypothèse optimiste d’une croissance annuelle moyenne de 2% à partir de 2021 (contre, rappelons-le, 1% au cours des quinze dernières années), la France ne retrouvera son niveau de PIB de la fin 2019 qu’en… 2026. D’ici là, le taux de chômage augmentera durablement vers des niveaux inconnus, d’au moins 15%. Pour mémoire, son sommet historique a été atteint au deuxième trimestre 1994, à 10,8%. C’est dire l’ampleur de la crise sociale et sociétale qui nous attend. »
Quelles sont les raisons des mauvais chiffres français ?
Il semble désormais acquis que le confinement nous a été imposé par manque de masques, de tests et de lits dans les hôpitaux. La France a mis en place un confinement sévère du jour au lendemain. Les pays ayant opté pour cette stratégie sont davantage touchés économiquement que les pays scandinaves par exemple, comme la Suède, où les commerces et les lieux de vie sont restés ouverts.
LIRE AUSSI > Coronavirus : la Suède “non-confinée” est-elle vraiment un exemple à suivre ?
Autre point, la France est la première destination touristique mondiale, et ce secteur pèse 7,4% du PIB. Sur le plateau de BFM Business, l’économiste Jean-Marc Daniel a pointé du doigt encore un autre point pour expliquer l’impact de la crise, celui de la centralisation de l’économie française autour de principalement deux régions: l’Île-de-France et l’agglomération lyonnaise. Or, l’Île-de-France est, avec les départements de l’est, la zone la plus touchée de l’hexagone.
Enfin, il faut le reconnaître, l’Etat français n’a pas lésiné sur les moyens afin de protéger autant que faire se peut les salariés, via un recours massif au chômage partiel (les dispositifs de chômage étant en grande partie soutenus financièrement par les Etats). Il s’agit sans doute du système de chômage partiel le plus protecteur d’Europe. En effet, ce système permet aux travailleurs de toucher 84% de leur salaire net (100% dans le cas d’un SMIC) alors qu’en Allemagne, les aides similaires sont plafonnées à 60% du salaire net concernant les employés sans enfants et 67% pour les parents. L’Espagne a quant à elle fait le choix de limiter le taux à 70%. Le chômage partiel concerne aujourd’hui selon les données, onze millions de personnes en France, contre moins de quatre millions de personnes en Espagne et cinq millions en Italie (si l’on tient compte des demandes en attente, il y aurait en fait près de huit millions de personnes concernées en Italie). Des chiffres qui restent inférieurs à ceux de la France une fois de plus.
Après avoir remporté le titre de « championne du monde » de la pression fiscale et des dépenses publiques (avec des niveaux de respectivement 45 % et 56 % de son PIB), la France se paie désormais le triste luxe d’être la « championne d’Europe » de la récession.
Le Média pour Tous