L’agence France-Presse a été épinglée dans un article du Canard enchaîné pour avoir développé, en parallèle de ses activités de presse, une agence de publicité intégrée au sein du groupe. Comment le groupe AFP arrive-t-il à concilier deux activités qui ne répondent pas aux mêmes exigences de déontologie ? Pire encore, son nouveau PDG depuis 2018, Fabrice Fries, est un ancien de la « com’ » et n’aide pas par son parcours à clarifier la situation.
L’AFP est connue du grand public comme le fournisseur de référence des nouvelles de France et du monde pour la quasi-totalité de la presse française. Elle est chargée de collecter, vérifier, recouper et diffuser l’information, sous une forme neutre, fiable et utilisable directement par tous types de médias (radios, télévision, presse écrite, sites internet). La charte de l’AFP sur les bonnes pratiques éditoriales et déontologiques, disponible sur son site, stipule que « les journalistes de l’agence fournissent une couverture exacte, équilibrée et impartiale de l’actualité », mais également que ceux-ci « visent la neutralité, l’absence de préjugés ou de préférences » et « ne relaient pas d’influence extérieure ».
Or, fin décembre, un article du Canard enchaîné a révélé une activité beaucoup moins connue de l’AFP : le groupe possède sa propre agence de communication depuis une dizaine d’années, et travaille à la réalisation de clips publicitaires pour des marques telles que McDonald’s, Coca-Cola, AG2R, Tencent, Hublot ou encore Ferrero. Baptisée AFP-Services, cette structure est détenue à 100% par l’AFP. En outre, elle utilise le même habillage que la branche presse, à savoir un logo quasi similaire, la même typographie (police de caractère), et plus largement les mêmes codes couleurs.
Les syndicats dénoncent un mélange des genres dangereux
En effet, comment concilier déontologie journalistique et promotion publicitaire ? Un mélange des genres qui inquiètent au sein de l’agence de presse. Ainsi, les syndicats SNJ, CGT, CFDT, FO, et SUD ont saisi, le 8 janvier, le conseil supérieur du groupe pour « manquements », selon eux, de la part de la branche AFP-Services.
« La manière opaque et mal encadrée dont les activités de cette filiale à 100% de l’AFP sont conduites, le risque avéré de confusion entre information et publicité qu’elles comportent, nous paraissent de nature à compromettre le caractère exact, impartial et digne de confiance de l’information que l’Agence France-Presse tout entière doit à ses usagers aux termes de l’article 2 de son statut », est-il précisé dans le communiqué de presse accompagnant la lettre envoyée à ce conseil supérieur. Dans leur lettre, les syndicats fustigent des « partenariats aventureux » qui « instillent le poison du soupçon auprès du public ». Au-delà, ils s’inquiètent que l’image d’indépendance et de respectabilité de l’AFP court le risque d’être irrémédiablement affectée.
En réaction, le service communication de l’AFP a insisté sur le caractère de séparation des deux entités et de leurs activités respectives : « La distinction entre AFP et AFP-Services est claire. AFP-Services a ses propres salariés, ses propres locaux, ses propres missions. Il ne saurait y avoir de confusion avec l’activité de l’AFP. […] Le caractère très strict de la séparation des activités d’AFP et d’AFP-Services est une garantie. L’AFP est le média qui dans le monde est le plus engagé dans la lutte contre la désinformation. »
Fabrice Fries : un ancien « pubard » devenu PDG de l’AFP
Nommé en avril 2018 à la tête de l’AFP, Fabrice Fries connait bien le monde de la communication et celui de la presse. En 1995, il intègre la Compagnie Générale des Eaux (qui deviendra Vivendi quelques temps plus tard), en tant que chargé de mission auprès du président-directeur général, Jean-Marie Messier. Il quitte l’entreprise en 1997 et est nommé directeur de la stratégie et du développement d’Havas, l’un des plus grands groupes français de communication. Fabrice Fries conduit alors le recentrage des activités du groupe publicitaire sur les métiers de l’édition et de la presse. Surtout, il participe activement au rachat d’Havas par… La Compagnie Générale des Eaux de Jean-Marie Messier. La boucle est bouclée.
Il rejoint finalement Publicis, troisième groupe de communication mondial, en 2006. Il prend trois ans plus tard, en juin 2009, la tête de Publicis Consultants, l’entité du groupe spécialisée dans la communication corporate et de crise ainsi que dans les relations presse. À noter qu’il fut élu PDG de l’AFP en 2018 dans des circonstances qui ont fait polémique. Trois membres du conseil d’administration du groupe ont dénoncé le rôle joué selon elles par l’État, qu’elles accusent d’avoir favorisé l’élection de Fabrice Fries.
Et qui retrouve-t-on dans les clients d’AFP-Services aujourd’hui ? Son ancien employeur Publicis. « L’AFP a-t-elle vocation à devenir une succursale de Publicis ? » interrogeait dans un tract de le syndicat SNJ. Dans ce même document, le syndicat met en lumière un contrat passé entre AFP-Services et Coca-Cola, d’un montant qui s’élèverait à un million de dollars, pour produire « la campagne de greenwashing d’un des plus gros pollueurs de la planète ». Coca-Cola France reste un client important de l’ancienne agence de Fabrice Fries, Publicis Consultants, et ce, depuis la fin des années 90.
Un changement de nom pour faire passer la pilule ?
La saisine du conseil supérieur de l’AFP par les syndicats a finalement fait réagir Monsieur Fries et la direction de l’AFP, qui ont annoncé dans la foulée des décisions afin de clarifier le rôle mais surtout le fonctionnement d’AFP-Services. « Le développement de l’entité a eu lieu dans des conditions pas toujours claires » a-t-il reconnu dans un message interne. « Le nom AFP-Services est appelé à changer, pour ne plus comprendre la mention d’AFP », a-t-il également fait savoir, sans toutefois donner de calendrier précis. Enfin, le PDG a reconnu que « dès le début, ce sujet a été traité en considérant que la réputation était le capital le plus précieux de l’Agence, et que cela devait primer sur toute autre considération ». En somme, profiter de la réputation du nom « AFP » pour gagner en quelques années un maximum de clients, via des contrats avec des grands groupes internationaux, puis faire mine de détacher la boite de communication de l’agence de presse une fois qu’elle a pris le large, voilà toute la déontologie journalistique dont font preuve les hommes à la tête de l’AFP.
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Confirmation encore une fois que la France est une république bananière..
«Déontologie», ça veut dire quoi en français d’aujourd’hui?