Nous sommes tous journalistes (des autres)
Aujourd’hui, en ce début de février 2019, il faut bien l’admettre, et pour une fois tout le monde sera d’accord là-dessus, l’image des journalistes a volé en éclats. Ce ne sont pas les mêmes éclats que ceux produits par les grenades de « désencerclement ». Et à ce propos personne n’a encore vu de forces de l’ordre encerclées qui, risquant leur vie, devaient se dégager à coups de grenades « défensives »… Où commence et où finit le désencerclement, où commence et où finit la défense des forces de l’ordre, seul Castaner, le ministre de la Répression disproportionnée et de la Violence d’Etat, le sait.
« C’est ingrat la police, parce que les gens ils nous aiment pas. Parce que nous dans les manifs on est obligés de taper, on le fait pas pour le plaisir, hein… Et puis y a les appariteurs…»
L’image de la police s’est dégradée sérieusement après les événements de Mai 1968 et la montée de l’extrême gauche antiflics dans les années 1970. L’image des journalistes s’est détériorée plus tard, mais a commencé à décliner bien avant la montée en puissance de l’Internet (2005). Cette concurrence inattendue, gratuite et de plus en plus professionnelle a porté des coups très durs à une presse consanguine qui s’était mise à produire et à reproduire une pensée uniforme que Jean-François Kahn qualifiera en 1995 d’ « unique ».
Information totalitaire
Dans le domaine de l’information, la société capitaliste était devenue de manière inexplicable aussi totalitaire que la société communiste. Le modèle soviétique s’étant effondré une décennie plus tôt (1989), il entraînera avec lui le modèle capitaliste, son grand rival, qui sera orphelin de son repoussoir préféré. Si le libéralisme économique et son idéologie mondialiste semblent dominer à l’échelle planétaire, ils n’ont jamais été aussi attaqués par les peuples qui en souffrent. La prise de conscience globale aura lieu lors du Forum social mondial de Porto Alegre le 31 janvier 2002. Dernier avatar du rejet grandissant de cette idéologie concurrentielle qui monte les peuples les uns contre les autres et les hommes contre les hommes, le mouvement typiquement français des Gilets jaunes.
Extrait du Monde diplomatique de février 2019 :
D’ordinaire, le champ du pouvoir se déploie en composantes distinctes et parfois concurrentes : hauts fonctionnaires français ou européens, intellectuels, patrons, journalistes, droite conservatrice, gauche modérée. C’est dans ce cadre aimable que s’opère une alternance calibrée, avec ses rituels démocratiques (élections puis hibernation). Le 26 novembre 1900 à Lille, le dirigeant socialiste français Jules Guesde disséquait déjà ce petit manège auquel la « classe capitaliste » devait sa longévité au pouvoir : « On s’est divisé en bourgeoisie progressiste et en bourgeoisie républicaine, en bourgeoisie cléricale et en bourgeoisie libre-penseuse, de façon à ce qu’une fraction vaincue pût toujours être remplacée au pouvoir par une autre fraction de la même classe également ennemie. C’est le navire à cloisons étanches qui peut faire eau d’un côté et qui n’en demeure pas moins insubmersible. » Il arrive cependant que la mer s’agite et que la stabilité du vaisseau soit menacée. Dans un tel cas, les querelles doivent s’effacer devant l’urgence d’un front commun.
Illustration avec la question de la journaliste de RTL Elizabeth Martichoux au nouveau ministre de la Culture, le 21 janvier 2019 : « Franck Riester, est-ce que les journalistes qui sont agressés en marge des manifestations des Gilets jaunes sont responsables de ce qu’ils subissent ? »
Le déclin du journalisme mainstream
Un exemple parmi tant d’autres… Le traitement scandaleux de cette révolte par les médias traditionnels a laminé le crédit restant des journalistes en place. Et beaucoup de ces « professionnels » ne font rien pour améliorer le sort qui les attend : leur communication institutionnelle ou personnelle via les canaux officiels (leurs propres médias) ou non officiels (les réseaux sociaux) ballotte entre mépris et insulte. La condescendance, c’est pourtant ce que les Français ne supportent plus. A ce titre Jean-Michel Aphatie remporte haut la main la palme. Mais cette girouette qui donne le sens du vent dominant n’est que la pointe de l’iceberg. Du haut en bas de leurs rédactions, tous les médias de référence ont tenté de minimiser, de salir, de diviser puis de criminaliser l’élan populaire né en novembre 2018.
Si nous
pouvions recenser tous ces analystes politiques de plus de 65/70 ans et plus qui
squattent les médias en cassant du GJ, ca va faire du monde
Khan, Leclerc,
Carreroux, Duhamel (y’en a plusieurs), Labro, Lescure, Cayrroll, Aphatie, Weil,
Nay, Cotta pic.twitter.com/SPswTnH8Zq—
Giletsjaunes (@maxime7807) 31 décembre 2018
« C’est ma pute »
L’histoire des hommes a besoin d’hommes pour s’incarner, se raconter, se transmettre. Un couple de journalistes, mieux que Jean-Michel Aphatie, a symbolisé la morgue de cette corporation pour ce qui fut son public, et qui ne l’est plus : Nathalie Pérez et Pierre Nicolas.
— Le
chat noir matricule 6789 (@Lrthpn) 1 janvier 2019
La photo a été prise lors de la manifestation du 29 décembre (Acte 7) devant le bâtiment de France Télévisions. Ces deux individus, rémunérés par le service public audiovisuel, lui-même financé par la redevance éponyme, entrent dans le cas juridique d’employés qui insultent leurs actionnaires.
Malgré cette évidence, France 3, la chaîne en déclin inexorable dont la rédaction a été forcée de fusionner avec celle de France Bleu pour les matinales depuis le 7 janvier, n’a pas mis à pied les deux employés. De tels gestes, ajoutés au flot de paroles pro-système ou anti-peuple, précipitent la fin du prestige dont jouissait le journaliste à l’ancienne.
Journaliste de cour, journaliste de rue
La nature a horreur du vide dit la sagesse populaire. Pendant que cette caste périclite dans la lumière, une autre grandit dans l’ombre de l’Internet. Une nouvelle génération de journalistes remplace avantageusement dans l’esprit des gens ceux qui ont trahi les idéaux de la profession, idéaux listés dans le code de déontologie de 1971.
La guerre est désormais ouverte entre deux types d’information : celle issue des médias classiques et celle issue des réseaux sociaux. Deux espèces de journalistes se distinguent et se font face : le journaliste de rue et le journaliste de cour, celui qui va au charbon et celui qui n’y va pas. L’un plonge au cœur de l’action, des gens, de ceux qui se battent et qui souffrent ; l’autre court après les puissants pour récupérer des miettes de leur parole sacrée. Cela donne les interviews presse, radio et télé des officiels de la République par les officiels des médias, paroles qui n’intéressent plus le grand public. Pourquoi écouter Riester chez Martichoux, puisque ce couple politique & journaliste défend la même vision du monde ? Que reste-t-il de l’information dans ces échanges tout confort ? Les intérêts de classe n’ont pas intérêt à l’information du peuple.
Les taux de désinformation et de propagande mesurés lors de ces échanges arrangés sont trop élevés pour rassurer un public devenu méfiant. Croire au petit théâtre des élites coûte trop cher à l’intelligence. Le journaliste de rue, lui, se mêle aux combattants pour s’effacer et n’être plus qu’un micro au milieu de ceux qui ne l’ont jamais ou rarement. Longtemps, des « professionnels » ont parlé à la place des classes défavorisées. Depuis la révolte des Gilets jaunes, de vrais journalistes ont donné un micro à ceux qui en étaient privés. Ce n’est pas la parole qui est donnée – car la parole existait déjà en bas – mais le son. Remettre le son là où il était coupé est la fonction première du journaliste hors système. Les pseudo-responsables ne parlent plus à la place des Français, qui sont en train de se réapproprier leur parole. Chacun peut voir que ceux qui la détenaient ou croyaient la détenir ont du mal à la lâcher.
Hugo Clément justifie son passage de la télé à l’Internet : « Editorialement, je n’ai jamais ressenti de censure dans aucun média où j’ai travaillé. Mais en terme de format, je suis dans le format le plus libre que je n’ai jamais connu parce qu’il n’y a pas de contrainte de durée ni d’heure de diffusion. Il n’y a pas de contrainte sur le Web. »
Le vrai journaliste doit être délibérément contre le pouvoir pour éviter que celui-ci ne se déshumanise par la distance avec les administrés. La fonction du journaliste consiste à fragiliser la parole dominante qui a la fâcheuse tendance à se figer très rapidement et à se transformer en dogme, et en dogme intouchable. Ce dogme imposé à tous devient le signe annonciateur du totalitarisme. Voilà pourquoi la parole du pouvoir doit être attaquée en permanence. Et non sacralisée comme on le voit ici :
Recueillir la parole des puissants est valorisant mais ça ne suffit pas : il faut la mettre en lambeaux. Une interview doit être un combat à mains nues à coups d’informations, pas un échange policé qui valorise les deux parties… sur le dos du public et de son information.
Quant aux journalistes de cour qui se déguisent en journalistes de rue, on les reconnaît au mépris qu’ils vouent aux gens auxquels ils se mêlent. Ils jurent au milieu du peuple dont ils refusent de faire partie : ils appartiennent à l’élite et travaillent pour elle. Ces caméléons, qui se nomment eux-mêmes des « infiltrés », font un travail de dénigrement et de police politique. Le peuple les renvoie logiquement vers ceux qui les ont mandatés.
Si la violence des Gilets jaunes ou des Français du quotidien à l’encontre des journalistes est à bannir, les journalistes du système et leurs infiltrés doivent comprendre que leur positionnement dominant constitue, de fait, une violence sociale. Il y a des coups de poing symboliques qui font plus de mal qu’un coup de poing physique. Aphatie est toujours en liberté et Dettinger en détention.
Victor Mara