Matraquage de Gilets jaunes : l’extrême droite est-elle déjà au pouvoir ?
L’ex-président de la république François Hollande fait la promotion de l’édition augmentée (ça lui évite d’en écrire un autre) de son livre « Les Leçons du pouvoir », sorti en 2018. Fidèle à son habitude, il en profite pour tacler à droite et à gauche mais glisse au milieu une annonce-choc.
S’il estime que l’Union européenne dans sa forme actuelle est menacée de stagnation voire de disparition – « Face à la montée du nationalisme partout dans le monde, à l’affirmation de la puissance économique de la Chine, aux interventions militaires de la Russie, au protectionnisme agressif des États-Unis, l’Europe est devant un défi majeur pour son existence même ») – il fait une prédiction encore plus inattendue :
« La menace vient de l’extrême droite. Je l’affirme, un jour elle arrivera au pouvoir en France. »
Rien de tel pour déclencher la panique dans toutes les rédactions et chez tous les démocrates du paysage politique. Au fait, qu’est-ce que François Hollande entend par « extrême droite » ? Une actualisation et une redéfinition de cette expression si familière qu’on n’y prête plus attention semblent nécessaires.
Est-ce la droite fasciste des années 1930, celle des Croix-de-Feu du colonel de La Rocque ? Est-ce la droite dure des années 1960, libérale et sioniste, opposée à l’immigration algérienne ou la droite lepéniste des années 1980 qui rassemblait des courants aussi divers que les violents skinheads et les intégristes catholiques ? Est-ce la droite paganiste et racialiste des années 1990 de Bruno Mégret, qui fit de Jean-Marie Le Pen un presque gauchiste ? Est-ce la droite lepéniste des années 2000, plutôt antilibérale et antisioniste, qui s’est ouverte à des Français issus de l’immigration ? Est-ce la droite actuelle de plus en plus islamophobe et de moins en moins antisémite des Ménard et Goldnadel ? Est-ce enfin cette frange de la gauche mélenchonniste à la fois souverainiste et sociale, qui rappelle en cela la gauche radicale des années 30 qui était aussi antisémite sinon plus que la droite de l’époque ?
Quel est le véritable marqueur de l’extrême droite ? L’antiparlementarisme ? Le nationalisme ? La xénophobie ? Le fascisme ? Le racisme ? L’antisémitisme ? La violence politique ? L’intégrisme religieux ? Un mélange variable et instable de tous ces ingrédients ? Et s’il existe une définition officielle, qui en décide ? La gauche ou la droite, l’extrême gauche ou l’extrême droite ?
La présidente du RN Marine Le Pen ne veut pas de cette réputation et s’en débarrasse petit à petit. Une évolution que l’ensemble des médias dénonce de manière assez comique : ce sont eux qui ont imposé ce tatouage infamant et eux seuls peuvent l’enlever. Ce qu’ils font d’ailleurs actuellement.
Concept flou utilisé massivement à tort et à travers par tous les hommes politiques en fonction de leurs besoins, l’étiquette d’extrême droite a aussi peu de crédibilité que le « socialisme » de François Hollande ou que le « démocratisme » d’Emmanuel Macron !
Les Français se perdent dans ses définitions successives et entremêlées, et celle du jour semble bien pâle par rapport à celle des années 30 qui voulait vraiment en découdre (les émeutes antiparlementaires du 6 février 1934 firent entre 30 et 40 morts à Paris). Parallèlement la gauche s’est elle aussi calmée en 100 ans, le communisme a été avalé par le socialisme qui a lui-même été digéré par la socialdémocratie. Le concept de « révolution » a disparu des textes et des programmes, seule reste la volonté d’améliorer les choses par petites touches non violentes, selon le modèle réformiste scandinave ou anglo-saxon. Le syndicalisme a suivi ce mouvement anti-révolutionnaire en passant en un siècle de la très anticapitaliste CGT (fondée en 1895) à une très complaisante CFDT qui prend en 2017 la tête des élections professionnelles.
Les Gilets jaunes ont fait de Macron un petit tyran
Le désir de renverser l’ordre dominant pour plus de justice sociale a-t-il disparu pour autant ? L’esprit français s’est-il assoupi dans un confort dangereux pour l’amélioration continue des conditions de travail et de vie (depuis l’entente droite-gauche sur le partage du pouvoir – l’alternance social-démocrate – les acquis sociaux ont reculé) ?
Non, jusqu’à un certain 17 novembre 2018.
Le mouvement des Gilets jaunes a changé toute la donne, il a plus encore que Macron (ringardisé en quelques semaines à son tour) ringardisé partis et syndicats qui s’étaient endormis et qui avaient endormi les revendications des Français les plus fragiles, ceux qui souffrent en silence de la mondialisation. Le dernier représentant du parti de l’alternance démocratique, du réformisme plus ou moins accéléré, se retrouve inexplicablement en position antidémocratique !
Pour Edwy Plenel de Mediapart, Macron n’est plus vraiment un démocrate :
#LTS
« Comme pour la révolution au XIXème siècle, le peuple s’invite au
banquet en disant la République c’est nous ! Macron contrairement à ses promesses,
symbolise le costume du vieux monde ! De Gaulle est plus démocrate que lui face à
une crise comme celle-là ! »@edwyplenel pic.twitter.com/eGF6KwgRIY—
Les Terriens ! (@lesterriens) 30 mars 2019
À peine élu le nouveau chef de l’Etat a démontré une aversion alarmante pour les pauvres et les chômeurs – ceux qui ne sont rien ou qui n’ont qu’à traverser la rue pour trouver un job – puis il a développé une dangereuse xénophobie à l’encontre des Gilets jaunes, confirmant son racisme social. Ces dérapages révélateurs le bannissent du camp de la démocratie. Les Français découvrent un président qui s’oppose à une majorité d’entre eux, 80% selon les instituts de sondages que l’on ne peut qualifier de révolutionnaires. Dans ce chiffre se retrouvent naturellement les Gilets jaunes et leurs soutiens, toujours une bonne moitié de la population, mais aussi des cadres supérieurs et des retraités visés par l’augmentation soudaine des prélèvements (pour rembourser « la dette » disent-ils).
Emmanuel Macron montre peu de respect pour cette France selon lui à la traîne qu’il essaye de fondre dans un ensemble plus grand, l’Union européenne, l’Europe allemande ou l’Europe ultralibérale disent ses opposants. Un président, s’il est visionnaire, a le droit de s’opposer à une majorité de Français mais Macron n’est pas visionnaire (c’est un gestionnaire, un banquier) et il s’oppose aux Français de manière de plus en plus violente. Il ne tient pas personnellement la matraque mais les policiers n’agissent pas sans ordres. C’est la défense qu’a choisie celui qui a «bousculé » la manifestante de 73 ans à Nice, tombée dans le coma suite à une charge et qui s’est heureusement réveillée. Mais ce symbole de la violence oligarchique a marqué les esprits.
Lors de l’Acte 20, une autre scène a choqué les Français, mettant le pouvoir (démocratique) et sa méthode (non démocratique) au pied du mur :
Scène d’une violence inouïe ou l’on voit un policier frapper avec sa matraque, à
la tête, un manifestant #GiletJaune qui semble pacifiste lors de l’#
acte20 des Gilets Jaunes à #Besançon – #
acteXX | Reportage complet dans la soirée | Images @emma_audrey
_fr pic.twitter.com/MXsqvvsS22—
Média 25 (@m25_fr) 30 mars 2019
La séquence complète avec le contexte :
Démocratie tyrannique ou tyrannie démocratique ?
Devant de telles images on se demande si l’extrême droite n’est pas en réalité aujourd’hui au pouvoir. Elle n’est plus synonyme de « travail famille patrie » mais de concentration dans les mains d’un seul clan de tous les pouvoirs : économie, police, justice, police, médias. Cette concentration a un nom que Juan Branco, ce jeune et brillant intellectuel de la nouvelle gauche offensive, cite à profusion : l’oligarchie, le gouvernement d’une minorité sur la majorité, à ne pas confondre avec la trentaine de membres d’un gouvernement face à des millions d’électeurs. L’oligarchie est l’exacte l’inverse de la démocratie, c’est une démocratie qui a basculé d’un seul côté par absorption de tous les leviers de commande, une démocratie qui a failli, une démocratie volée.
Cette violence politique se transforme jour après jour aux yeux de tous, qu’ils soient ou non partisans des Gilets jaunes, en violences physiques. De quoi réveiller les consciences endormies qui n’auraient pas déjà été réveillées par le cri persistant des Français mobilisés.
En avril 2019, n’en déplaise à Macron et à ses ministres, l’extrême droite est objectivement du côté du manche. L’Etat qui devait protéger les citoyens et particulièrement les plus faibles d’entre eux leur fracasse le crâne. L’Etat protecteur est devenu l’Etat déprotecteur, l’outil d’un clan ultralibéral et ultrarépressif. Le terrorisme prétendument aveugle, la disparition du travail, le règne des banques et des banquiers, l’ascenseur social bloqué, la répression fiscale et policière, le déclassement programmé, le profit qui détruit les solidarités, tout cela vient d’en haut, pas d’en bas.
Victor Mara