Casseurs, homophobes, xénophobes, fascistes, factieux, foule haineuse, antisémites. On ne s’étonnerait même plus de voir les gilets jaunes accusés de cannibalisme.
La communication de crise enseigne ce stratagème basique: quand vous êtes en grave difficulté, il faut changer de sujet par tous les moyens possibles. Un autre stratagème élémentaire consiste à disqualifier votre adversaire en accumulant toutes les calomnies possibles et imaginables. L’actuelle communication anti-Gilets Jaunes d’Emmanuel Macron combine ces deux leviers. Le résultat est une campagne gouvernementale aussi massive qu’ignoble de diabolisation des Gilets Jaunes.
Le mécanisme employé, particulièrement grossier, est toujours le même. Le gouvernement repère quelques Gilets Jaunes qui disent ou font des choses choquantes voire inacceptables. Un lieutenant macroniste, généralement Benjamin Griveaux, ouvre le feu en parlant abondamment de ces cas pour attirer les projecteurs sur eux. A sa suite et à l’unisson, les porte-parole macronistes et leurs relais médiatiques accusent alors en boucle l’intégralité des Gilets Jaunes de poser ce problème. Puis le piège se referme. Si globalement les Gilets Jaunes ne disent rien, les macronistes les accusent de silence complice. Si des Gilets Jaunes condamnent les incidents, les macronistes leur reprochent de ne pas les condamner assez fort. Et si des Gilets Jaunes condamnent et disent en même temps autre chose, quoi que ce soit, les macronistes les accusent d' »ambiguïté ».
C’est suivant ce mécanisme que les Gilets Jaunes ont été accusés mensongèrement, d’une semaine à l’autre, d’être des casseurs, des homophobes, des xénophobes, des fascistes, des factieux, des terroristes, une « foule haineuse » et, en désespoir de cause, des antisémites. Au rythme où vont les choses, on ne s’étonnerait même plus que la prochaine étape soit de les accuser de cannibalisme. Ce mécanisme vaut aussi, sous une forme encore plus violente, pour les leaders naturels qui ont émergé parmi les Gilets Jaunes: ils ont été accusés de tout et de n’importe quoi.
Si les Gilets Jaunes ne disent rien, les macronistes les accusent de silence complice. Si des Gilets Jaunes condamnent les incidents, les macronistes leur reprochent de ne pas les condamner assez fort. Et si des Gilets Jaunes condamnent et disent en même temps autre chose, quoi que ce soit, les macronistes les accusent d' »ambiguïté ».
Ce mécanisme est également déployé contre les personnages publics qui soutiennent les Gilets Jaunes. Je l’ai personnellement vécu à plusieurs reprises. Par exemple, parce que j’ai plusieurs fois réfuté l’amalgame « Gilets Jaunes = violence », les macronistes m’ont accusé mensongèrement d’encourager les violences. Autre exemple: parce que tout en condamnant les insultes subies par Alain Finkielkraut, j’ai rappelé que lui-même répand la haine en France depuis des années, les macronistes m’ont accusé… d’ambiguïté.
Cette stratégie macroniste de diabolisation poursuit plusieurs objectifs. Donner aux Gilets Jaunes une image aussi négative que possible sert à essayer de faire baisser le soutien massif des Français envers le mouvement. Cela sert aussi à essayer de changer de sujet, pour qu’on arrête de parler des revendications des Gilets Jaunes alors que, du rétablissement de l’ISF à l’augmentation du SMIC en passant par la mise en place du référendum d’initiative citoyenne, leurs exigences sont largement majoritaires dans la population. Parallèlement, cela sert à donner au gouvernement le temps d’essayer de reprendre la main.
A cet égard, cette diabolisation s’est faite d’autant plus agressive que pendant ce temps, les tentatives macronistes pour reprendre la main multiplient les échecs. La répression policière ahurissante des manifestations ne parvient pas à enrayer la mobilisation. Les violences policières sont devenues un scandale national, condamné aussi bien par Amnesty International que par des experts indépendants de l’ONU, par le Conseil de l’Europe ou par le Parlement européen. Les annonces gouvernementales n’ont pas apaisé la colère, principalement parce que les Gilets Jaunes ont considéré à raison qu’il s’agissait d’escroqueries: je pense en particulier à la fausse hausse du Smic « de 100 euros ». Bien qu’abondamment diffusé par les médias de masse, le « Grand Débat » devient un bide d’audience. Emmanuel Macron n’arrive pas à arrêter les petites phrases ressenties à juste titre comme des insultes par les millions de « gens qui ne sont rien » ayant des débuts de mois difficiles. Les opérations de communication de l’Elysée, telles que les récentes photographies d’une visite d’Emmanuel Macron aux SDF, se retournent immédiatement contre celui qui a fustigé le « pognon de dingue » dépensé en aides sociales. Le reste est à l’avenant.
La diabolisation macroniste est soutenue par des catégories précises dans la population. C’est le fait de tout un pan des classes moyennes supérieures et des classes aisées, qui expriment des préjugés d’une stupéfiante agressivité. Le cas des « foulards rouges » est édifiant, usant du slogan « Gilets Jaunes, allez travailler! » –alors que le profil-type du Gilet Jaune, c’est un travailleur pauvre.
La propagande gouvernementale bénéficie pourtant d’une puissante caisse de résonance: les médias audiovisuels mainstream. Semaine après semaine, ces derniers reprennent le storytelling macroniste en général, et ses accusations mensongères en particulier. A cela plusieurs raisons. Dans certains cas, c’est par macronisme fervent: c’est particulièrement vrai de plusieurs éditorialistes-vedettes, qui sont allés jusqu’à reprendre telles quelles les calomnies gouvernementales anti-Gilets Jaunes ou jusqu’à exiger l’arrêt du mouvement. Dans d’autres cas, c’est simplement par suivisme: le gouvernement lance ces calomnies, donc les médias en parlent. Dans d’autres cas encore, c’est plutôt par facilité: un éditorialiste, un intervieweur, n’a pas besoin de se documenter pour sommer les Gilets Jaunes de « se désolidariser » de ceci ou de condamner cela –alors que pour aborder les revendications du mouvement ou ses actions constructives sur le terrain, cela leur coûterait au moins vingt minutes de préparatifs. A cela s’ajoute le problème de la course au sensationnalisme: un débat centré sur des accusations extrêmement graves, par exemple d’homophobie, sera jugé plus « vendeur » qu’un débat de fond sur les revendications des Gilets Jaunes.
On soulignera toutefois que, comme toujours et heureusement, il y a quand même dans le paysage médiatique mainstream des « poches » qui vont à contre-courant: pour ne prendre qu’un exemple, les débats organisés par l’émission « Salut les Terriens » se distinguent par un traitement équitable envers les Gilets Jaunes. Toujours est-il qu’au lieu de profiter au gouvernement, la reprise de son storytelling par la machine médiatique mainstream (considérée dans sa globalité) produit ce puissant retour de manivelle: l’écroulement de la confiance des Français dans les grands médias audiovisuels comme source fiable d’information ne fait que s’accélérer.