Brexit : la transition historique des anglais



Les députés du Royaume-Uni doivent choisir, à partir d’aujourd’hui, entre voter l’accord avec Bruxelles, sortir de l’Europe sans accord ou repousser la date du Brexit. Aux commandes dans cette transition historique, la Première ministre semble indécise.

« Qu’on ne sache pas qui est vraiment Theresa May, et que son message politique soit totalement illisible, c’est quand même un problème. » Installée à Oxford, l’historienne Agnès Alexandre-Collier résume l’inquiétude qui règne outre-Manche. « Personne ne sait où on va », explique-t-elle à franceinfo. Ce qui est fâcheux, alors que s’ouvre, mardi 12 mars, une série de trois jours (et trois votes à la Chambre des représentants) qui décideront peut-être de l’avenir du Royaume-Uni. Les députés voteront successivement au sujet de l’accord sur le Brexit négocié par le gouvernement avec Bruxelles, puis sur un éventuel Brexit sans accord, et enfin sur un report de la date à laquelle le pays quitterait l’Union européenne.

Du résultat dépendra aussi la place de la Première ministre, Theresa May, dans l’histoire du pays, selon qu’elle l’aura guidé hors de la tempête ou vers un naufrage. Les concitoyens de la reine Elizabeth II ont déjà leur petite idée sur la question : en février, seuls 21%* des Britanniques exprimaient leur confiance en Theresa May pour négocier un bon accord sur le Brexit. Jusqu’au bout, la dirigeante a donné l’impression de temporiser et d’hésiter sur la marche à suivre, en acceptant à contrecœur le vote d’un possible report du Brexit.

« Elle était la dernière encore debout »

Indécise, Theresa May ? Dans un billet cinglant publié à la fin février dans le Times of London*, Matthew Parris, ancien député conservateur, affirme que la Première ministre est pire que cela. Elle serait, selon des parlementaires et conseillers qui l’ont côtoyée, un « trou noir » de la politique : « Des avertissements lui sont adressés, et ignorés. Des plans lui sont présentés, sans un signe de sa part. Des messages lui sont envoyés, et laissés sans réponse. » Elle serait la « personnification d’une porte fermée », avec laquelle il est impossible de négocier.

Theresa May n’a jamais eu l’image d’une grande communicante. C’est « Margaret Thatcher sans le sens de l’humour », écrit le journaliste Tim Shipman. Thatcher et May ne sont néanmoins pas proches politiquement. Elue députée en 1997, au troisième essai, Theresa May mène une carrière sans relief qui ne fait l’objet que de deux biographies, dont l’une s’intitule L’énigmatique Première ministre. Son succès le plus notable ? Sa nomination, en 2010, à la tête du Home Office, l’équivalent britannique du ministère de l’Intérieur. « C’est un job impopulaire, où vous passez votre temps à gérer des crises, explique le politologue Simon Usherwood, de l’université du Surrey. Vous ne vous y faites aucun ami. » Pourtant, Theresa May y restera six ans, plus que n’importe lequel de ses prédécesseurs depuis 1951. Sans laisser de mesures marquantes, juge le politologue Tim Bale, de la Queen Mary University de Londres.

Avec le recul, elle a réussi très peu de choses au ministère de l’Intérieur. Mais à l’époque, tout le monde s’émerveillait qu’elle ait réussi à tenir si longtemps.
Tim Bale, politologue spécialiste du Parti conservateur à franceinfo

Elle se construit ainsi l’image d’une femme qui résiste à tout. Une réputation utile en juillet 2016, après le vote en faveur du Brexit, quand il faut désigner un successeur à David Cameron : non, Theresa May n’est pas charismatique, mais elle a une « paire de mains assurées » pour veiller au sort du pays, estiment alors les commentateurs. Pas favorite pour autant, elle bénéficie aussi d’improbables coups du sort. Le populaire Boris Johnson est trahi par son éminence grise Michael Gove, et tous deux finissent par se retirer de la course. Sa dernière rivale en lice, Andrea Leadsom, fait de même après s’être hasardée à estimer que le fait d’avoir des enfants lui donnait une plus grande conscience de l’enjeu du Brexit que Theresa May, qui n’en a pas. « Tout le monde s’est poignardé dans le dos ou s’est fait exploser tout seul », résume Tim Bale. Theresa May l’emporte sans même que les militants aient besoin de voter. « Elle était la dernière encore debout », sourit le politologue.

« Elle donne l’impression qu’elle n’a aucun intérêt pour l’humanité »

Quand elle entre à Downing Street, son image de sérieux et de relative neutralité font que les observateurs « imaginent que personne n’est mieux placé pour incarner le consensus », et réconcilier un pays divisé par le référendum, se souvient l’historienne Agnès Alexandre-Collier. « Mais ce n’est finalement pas l’image qu’elle a donnée ». Car Theresa May n’est pas ce genre de dirigeante. « Ce n’est pas quelqu’un qui construit des alliances, et elle n’a pas beaucoup d’amis. Elle prend des décisions en petit groupe », dévoile Simon Usherwood.

Au début de son mandat, tout se décide entre elle et deux de ses conseillers de longue date, Nick Timothy et Fiona Hill. « De nombreux parlementaires et ministres se sont plaints » de ce fonctionnement, expliquait le Guardian*, agacés par le fait que le binôme Hill-Timothy « insiste pour que tout ce qui est adressé à la Première ministre passe d’abord par eux ». « On l’a beaucoup décrite comme presque hypnotisée par Nick Timothy, et il était dit que c’était lui qui était le cerveau », confirme Agnès Alexandre-Collier.

C’est dans ce cercle restreint que serait née l’idée, désastreuse, de convoquer des élections législatives anticipées en 2017. Le Parti conservateur y perd 13 sièges qui lui manquent aujourd’hui cruellement pour faire passer son accord sur le Brexit. Fiona Hill et Nick Timothy démissionnent dans la foulée, « parce qu’ils avaient énervé trop de monde », estime Simon Usherwood, mais Theresa May n’a pas élargi son cercle de décision pour autant. Les observateurs prêtent ainsi à l’actuel conseiller Olly Robbins un rôle plus important, dans les négociations avec Bruxelles, que celui du ministre chargé du Brexit lui-même. Cette absence de consultation est un vrai handicap, estime le politologue britannique.

Les parlementaires ont le sentiment de ne pas avoir eu leur mot à dire sur le projet d’accord sur le Brexit, ils ont donc moins de scrupules à le torpiller.
Simon Usherwood, politologue britannique à franceinfo

Mais en plus de ce fonctionnement très fermé, la Première ministre pâtit d’un vrai problème d’image. Theresa May a beau porter des tenues parfois extravagantes et des chaussures léopard – une façon de montrer « qu’elle sait prendre des risques », explique sa biographe Rosa Prince –, elle n’arrive pas à se départir de son surnom le plus populaire : « Maybot », mi-femme mi-robot. « Elle donne l’impression qu’elle n’a aucun intérêt pour l’humanité dans son ensemble », s’amuse Agnès Alexandre-Collier. La presse britannique* n’a pas hésité à la brocarder pour ses grimaces un jour où elle s’est retrouvée face à des écolières.

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