L’enquête menée depuis 10 mois par les juges d’instruction antiterroristes sur le périple meurtrier de Radouane Lakdim à Carcassonne et Trèbes le 23 mars dernier est loin d’être terminée, mais ses premiers résultats permettent déjà de mieux comprendre la genèse de l’attentat, selon les informations recueillis par RTL.
La plupart des personnes entendues, dont quatre hommes et une femme mis en examen et placées en détention provisoire, rapportent des faits et des propos qui montrent une dérive radicale et violente inscrite sur plusieurs mois, et dont Radouane Lakdim ne se cachait pas outre mesure, en tout cas dans son cercle de connaissance centré sur la cité Ozanam de Carcassonne.
Il y a d’abord son ancienne petite amie de septembre à décembre 2017, K. M., qui rapporte des propos tenus à la même période : « Il m’avait dit qu’il voulait mourir en martyr », raconte-t-elle aux policiers qui l’interrogent l’automne dernier, en audition libre.
C’est un terroriste psychopathe.
« Moi je reconnais qu’il lui est arrivé plusieurs fois de dire qu’il allait passer à BFMTV et qu’il allait tout faire exploser », poursuit-elle. Quand les enquêteurs lui demandent si Lakdim voulait parler d’un attentat en France, elle répond par la négative, que dans le cas contraire elle aurait avertit la police.
Mais son opinion sur son ex-petit ami, rencontré en boite de nuit à Carcassonne, est sans appel : « c’est un terroriste psychopathe ».
Sa petite amie parle d’armes et de propos inquiétants
Quelques jours après, M. P., la petite amie supposée de Lakdim au moment des faits, est interrogée de nouveau par le juge d’instruction. La jeune fille de 18 ans radicalisée et fichée S, a été placée en garde à vue dès le soir de l’attentat le 23 mars et mise en examen, soupçonnée d’association de malfaiteurs terroriste avec Lakdim.
Les enquêteurs s’intéressent en particulier à ses velléités de départ en Syrie, qui lui ont valu une fiche S en 2017, et à ses contacts avec un combattant de l’État islamique sur place. Sa garde à vue en mars a été houleuse car à un moment elle a crié « Allahou akbar » face aux policiers, « sous le coup du choc et de l’émotion », dit-elle plus tard.
Fin octobre, elle répond sans heurt au magistrat. Et à son tour elle rapporte certains faits marquants. Le jeune fille raconte notamment que Radouane Lakdim, chez qui elle est allée « une dizaine de fois », lui a montré plusieurs armes, dont des fusils et un pistolet caché sous son matelas. M. P. confirme également avoir dit que « par rapport aux mécréants il allait péter les plombs », mais c’était surtout les « chefs d’État » selon elle, « pas les femmes et les enfants ».
Face au magistrat, M.P. affirme qu’elle n’a jamais cru à ces projets et qu’elle n’écoutait pas ses propos. Et elle précise alors qu’elle voyait surtout le jeune homme « quand il buvait » car « alors il avait cette facilité et je devenais comme sa proie ».
Sur Snpachat, sa radicalisation ne fait pas de doute
Mais c’est dans les dernières semaines avant l’attentat que la radicalisation de Radouane Lakdim semble s’accélérer. Plusieurs de ses relations témoignent notamment de son usage important de l’application Snapchat, qui permet d’envoyer des photos ou du texte qui s’effacent irrémédiablement après un temps donné.
Début 2018, une ancienne amie avec qui il a renoué constate qu' »il met alors beaucoup de versets du Coran sur son Snapchat, ça parlait de tuer des mécréants ».
Le futur assaillant du Super U de Trèbes, qui exécutera le gendarme Arnaud Beltrame avec un couteau avant d’être abattu, pose alors avec une machette et une cagoule, et l’envoie à plusieurs connaissances. Sur un autre Snapchat, il pose avec deux fusils près d’une fenêtre ou avec un revolver pointé vers le bas, miment un tir. L’ancienne amie s’inquiète, de son « délire religieux » et contacte alors certaines connaissances, sans résultat.
Le couteau qu’il achète avec un ami serait celui qui a servi à tuer Arnaud Beltrame
Parmi elles, S. M., une relation assez proche de Lakdim dans le quartier Ozanam de Carcassonne. Ensemble ils font du sport, et discutent. Mais, le 6 mars, 15 jours avant l’attentat, le jeune homme de 23 ans accompagne en voiture son copain de quartier dans un magasin spécialisé dans la chasse et la pêche de Carcassonne.
Radouane Lakdim achète alors un puissant couteau de chasse, l’arme qui a servira vraisemblablement, selon l’enquête, à tuer le gendarme Beltrame. S.M. ne semble pas s’en inquiéter.
C’est pourtant la deuxième fois que son ami achète un couteau en peu de temps, la fois précédente c’était le 20 janvier, mais il affirme qu’i n’était pas avec lui ce jour-là. En octobre dernier S. M. est à son tour interpellé et mis en examen dans le dossier, soupçonné d’avoir eu vent des projets de Radouane Lakdim. Il est toujours en détention.
Il y a un militaire qui me fournit des armes
Et puis il y B. H., la mise en examen la plus récente du dossier. Là encore, il s’agit d’une relation de la cité Ozanam. Un profil instable, interpellé et hospitalisé en psychiatrie fin novembre après avoir menacé les formateurs de l’agence de formation des personnes adultes de Carcassonne (AFPA) en criant « Allahou akbar » un couteau à la main.
Début décembre, il est finalement interpellé et placé en garde à vue dans le dossier Lakdim. Il décrit Radouane comme un « salafiste passionné de vidéos jihadistes et d’armes ». Mais surtout il évoque deux faits troublants. D’abord, le futur terroriste lui parle régulièrement d’un « projet ». Devant le juge B. H. se dira convaincu que son ami évoquait un éventuel départ en Syrie, en aucun cas d’un attentat.
Mais les enquêteurs semblent convaincus du contraire. B. H. rapporte des propos tenus à la sortie d’une mosquée de Carcassonne, également quelques semaines avant l’attentat. Lakdim lui dit, « en rigolant » précise-t-il : « il y a un militaire qui me fournit des armes ».
L’homme de 29 ans ne préviendra à aucun moment la police, ce qui lui vaut aujourd’hui une mise en examen pour « non dénonciation de crime terroriste ». Il a également été placé en détention.
Des zones d’ombre qui restent à explorer
À ces mises en examen s’ajoutent celles de S. B. un natif des Bouches-du-Rhône soupçonné d’avoir été en contact sur Facebook avec Radouane Lakdim et de l’avoir influencé. Et enfin celle de son beau-frère, soupçonné lui aussi d’avoir eu connaissance de ses projets mortifères.
Au vu des premiers éléments de l’enquête, ce n’est donc pas un homme isolé et coupé du monde qui passe à l’acte le 23 mars 2018 à Carcassonne. Les policiers avaient souligné après l’attentats sur la taqîya, la dissimulation volontaire qu’aurait pu mettre en œuvre par Radouane Lakdim, fiché S et se sachant suivi par les services de renseignements, et notamment la DGSI.
Le parcours des dernières semaines montre plutôt un certain affichage de sa radicalisation, même s’il avait pris quelques précautions et notamment de ne plus communiquer par SMS.