La triple arnaque de l’accord sur la fiscalité des multinationales


Par Laurent Herblay pour Front Populaire

La semaine dernière, les membres du G7 ont signé un accord sur la fiscalité des multinationales. Pour Laurent Herblay, auteur du blog gauliste libre, ce sont ces dernières qui tireront les bénéfices de l’échec de l’approche multilatérale.

« Accord historique », « taxation internationale du XXIe siècle » : à écouter les participants du sommet de cette fin de semaine, on pourrait croire que l’accord sur la fiscalité des multinationales marque la fin de la désertion fiscale des multinationales. Las, comme pour les parasites fiscaux, en 2009, et en 2015, cet accord ne marque qu’un progrès minimal dans le grand évitement fiscal des multinationales, et pourrait au contraire entériner et prolonger l’immense injustice fiscale du système actuel.

Un problème de taux, de périmètre et de transparence

Vu rapidement, l’exercice pourrait sembler réussi. Après tout, il s’agit d’un sujet d’importance puisque l’OCDE a estimé en 2020 que 1300 milliards de dollars de profit par an étaient transférés artificiellement par les multinationales, soit un manque à gagner fiscal de 330 milliards ! Et encore, ces sommes sont sans doute assez conservatrices étant donné l’émetteur de l’information. On peut rappeler ici que l’impôt sur les sociétés (IS), qui rapportait 4 à 6 % du PIB après guerre aux États-Unis, est tombé à 1 % avec Trump. En outre, un vaste accord international de coordination fiscale est une première, et on pourrait penser qu’un tel accord est le meilleur moyen pour mettre fin à cette désertion fiscale. Enfin, le taux retenu est supérieur aux 12,5 % de l’Irlande, au 8,5 % de la Suisse, ou même au 0 % de quelques îles et émirats parasites. Mais quand Bruno Le Maire dit qu’« avec cet accord, il ne sera plus possible de délocaliser ses profits. Nous montrons que le dumping fiscal est une impasse », il est soit particulièrement naïf, soit malhonnête.

Premier grave écueil de cet accord : le taux retenu. Bien sûr, Bruno Le Maire parle d’un minimum de 15 %, laissant entrevoir une possible remontée du taux, à laquelle Gabriel Zucman semble croire, mais le seul niveau du taux choisi disqualifie quasiment toute la démarche. Il faut rappeler ici que le taux d’impôt moyen sur les (profits des) sociétés se situe encore à 25 %. En outre, il y a 40 ans, ce taux était de 50 %. Placer un plancher 40 % sous la moyenne actuelle, et 70 % sous le niveau d’avant la révolution néolibérale est bien bas ! Avec un tel taux, la course au moins-disant fiscal peut parfaitement continuer et il est à craindre que la pression à la baisse ne faiblisse pas pour tous ceux qui restent encore significativement au-dessus, poussant à converger à terme sur ce niveau de 15 %. Bien sûr, entre-temps, une partie des profits moins taxés le serait davantage, mais bien d’autres finiraient par l’être moins…

D’ailleurs, comme l’a pointé Dominique Seux sur France Inter, Joe Biden semble abandonner son projet de remontée de l’IS de 21 à 28 % (contre 35 % avant l’arrivée de Trump). Voici la meilleure preuve qu’un tel plancher envoie un signal négatif pour l’évolution de la fiscalité des profits des multinationales. Quand Joe Biden disait vouloir remonter son taux d’IS à 28 %, il évoquait un plancher mondial de 21 %. Quand il accepte un plancher plus bas, il opte pour garder un taux d’IS à 21 %… Gabriel Zucman avait raison de qualifier le taux de 15 % de « ridiculement bas ». Il plaidait alors pour un taux de 25 %, qui aurait rapporté la bagatelle de 170 milliards d’euros de ressources fiscales additionnelles à l’échelle de l’Union européenne (UE) ! Un taux plus élevé est d’autant plus légitime que les profits des multinationales sont à des sommets historiques, qui en viennent à inquiéter les plus libéraux comme le journal The Economist.

Le deuxième écueil de cet accord, plus subtil et presque invisible, est le périmètre des bénéfices taxables. Car le taux n’est qu’une donnée de l’équation. Encore en amont, il faut remettre en question la manière dont les multinationales comptabilisent leur chiffre d’affaires. Point trop peu souligné, certains GAFAM déplacent plus de 90 % du chiffre d’affaires réalisé avec des clients français en Irlande, en facturent directement depuis l’Irlande. Ce déplacement radical de l’activité est encore plus efficace que les manipulations de prix de transfert entre filiales, pour déplacer artificiellement les profits ou que la facturation de prestations centrales, notamment les droits intellectuels, aux filiales de pays où l’IS est élevé, par des filiales de pays où la fiscalité est basse, permettant de minimiser la facture fiscale…

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