Le Vietnam gère de façon admirable la crise du coronavirus. Le pays identifiait son premier cas le 23 janvier, et sa frontière avec la Chine était fermée le 1er février. Les Vietnamiens ne déplorent pour l’instant aucun mort. Le Français Jean-Noël Poirier, hospitalisé là-bas, décrit leurs méthodes.
Espagne, Italie, France, Royaume-Uni, États-Unis. L’Occident qui se pensait porteur de valeurs se retrouve porteur de virus. Un virus bien plus universel que lesdites valeurs. Face à nous, on l’a assez dit, les pays asiatiques – plus précisément les pays de culture confucéenne – ont réussi jusqu’à présent à endiguer et contenir la vague que nous prenons tous de plein fouet.
Zéro mort
Chine, Taïwan, Singapour, Hong-Kong, Japon et Corée du sud sont cités en exemple. On oublie le dernier pays confucéen de la bande, pourtant cher à notre cœur et à notre histoire : le Vietnam. Or son succès face à la maladie est encore plus éloquent que celui de la Corée du sud, désormais grande puissance industrielle. En développement rapide depuis vingt ans (PIB de 2700$/hab, +7% de croissance en 2019), mais néanmoins très loin de la Corée du sud ou de Taïwan en termes économique ou d’infrastructures, le Vietnam obtient des résultats prodigieux. À la mi-avril 2020, le nombre de personnes positives au Covi 19 ne dépasse toujours pas les 300 cas et la mortalité reste scotchée à zéro mort.
Dans le monde confucéen, au Vietnam comme en Corée, au Japon comme dans le monde chinois (Chine, Taïwan, Hong-Kong, Singapour), la défense et les intérêts du groupe l’emportent sur le droit de l’individu
Le Vietnam n’a pas perdu de temps à l’allumage. Extrêmement prudents, les écoles qui avaient fermé le 18 janvier pour les vacances du Nouvel-An vietnamien n’ont pas rouvert depuis. La population, qui portait déjà des masques pour se protéger du soleil ou de la pollution, a systématisé son utilisation. Des flacons d’alcool hydraulique ont été installés dans tous les espaces publics dès la fin janvier (cafés, entrées d’immeuble, ascenseurs…). La frontière avec les pays touchés a été fermée très tôt, en commençant par la Chine dès le 1er février, une semaine à peine après l’apparition du premier cas (une personne de retour de Wuhan et déclarée positive le 23 janvier 2020). Enfin, le Vietnam a appliqué dès le premier jour une méthodologie très stricte : identifier les personnes et les groupes à risque, les confiner, les tester et isoler les cas positifs. Une méthodologie pas très éloignée de la méthode préconisée par le directeur général de l’OMS : « tester, tester, tester et isoler ». Pas sorcier non plus. Mais encore fallait-il décider de le faire dès la première alerte. Bien joué.
Je vous écris depuis l’hôpital d’Hanoï
« Régime communiste, chiffres bidons ! Ils cachent forcément la réalité ! » Hélas, même pas. Des « invisibles », ces porteurs sains contaminant sans le savoir, existent forcément, comme partout, et ne rentrent pas dans les statistiques officielles. Mais ni plus ni moins qu’en Europe, et probablement moins, vu la politique de test et de confinement systématique pratiquée au Vietnam. Le nombre des cas connus est juste et demeure formidablement bas, pour un pays situé à trois heures d’avion de Wuhan.
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Les hôpitaux ne sont pas débordés et le flux des patients, rentrants et sortants, est sous contrôle. Vous pouvez me croire sur parole. Je vous écris depuis la chambre 541 de l’hôpital des maladies tropicales de Hanoï qui regroupe tous les cas détectés. Testé positif au virus après deux semaines passées à Paris, j’ai été transféré à l’hôpital à 2 h du matin le 25 mars. Je n’ai développé aucun symptôme, ne suis pas malade, mais resterai à l’hôpital tant que je ne serai pas redevenu négatif. Si je suis cloué à l’hôpital, ce n’est pas pour moi, mais pour la communauté qu’il convient de protéger de ma contagiosité. Renvoyer chez lui, de surcroit sans masque, un patient diagnostiqué positif mais sans problème physique grave, est inimaginable ici. Au Vietnam, la protection du groupe l’emporte sur toute autre considération. Ma liberté individuelle attendra.
L’individu n’est rien, le groupe est tout
La stratégie vietnamienne face au virus est simple et empiète allègrement sur la vie privée. Toute personne contaminée (le F0) doit donner séance tenante l’identité de toutes les personnes qu’il a côtoyées (les F1) dans les jours précédents et lister tous les lieux où elle s’est rendue. Je l’ai moi-même fait, dans la nuit du 24 au 25 mars, avant de partir à l’hôpital. Et mieux vaut ne pas mentir. Le système d’encadrement de la population, consubstantiel du régime communiste en place depuis 1954 au nord et 1975 au sud, saura débusquer la moindre cachoterie et pourrait vous le reprocher vivement, au nom de la protection de la santé publique.
Les personnes côtoyées, les F1, sont envoyés immédiatement en quatorzaine dans un centre fermé ou à la maison et testés. Obligation est faite à chaque F1 de prévenir les personnes avec lesquelles il a été en contact. Ce sont les F2. Tarif pour les F2 : distanciation sociale et si possible confinement à la maison durant 14 jours. Au 4 avril 2020, plus de 73 000 personnes étaient placées en quarantaine, plus de 40% dans un centre fermé souvent géré par l’armée, ou à la maison ou à l’hôpital.
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Si un des F1 se révèle positif, rebelote. Tous ses F2 deviennent alors des F1, sont envoyés à leur tour en quarantaine et testés. Et ainsi de suite. Ce travail de suivi pyramidal de la population infectée et à risque est un travail de titan ou de fourmi au choix. Il n’est pas seulement possible parce que le Vietnam est un pays communiste doté d’un réseau d’encadrement étroit de la population. La Corée du sud et le Japon, démocraties pluralistes, ont utilisé des méthodes de suivi analogues dans l’esprit. Si cette politique fonctionne et donne des résultats au niveau d’une population de près de 100 millions d’habitants, c’est simplement qu’elle est approuvée et appliquée par toute la population. Au Vietnam comme au Japon, en Corée ou dans les pays chinois, ce consensus en faveur de méthodes aussi intrusives est fondé sur un fait culturel et civilisationnel fondamental. Dans le monde confucéen, au Vietnam comme en Corée, au Japon comme dans le monde chinois (Chine, Taïwan, Hong-Kong, Singapour), la défense et les intérêts du groupe l’emportent sur le droit de l’individu. Chacun accepte sans broncher de partir deux semaines en quarantaine dans un camp militaire à trente kilomètres de chez soi car ce sacrifice est considéré par tous comme nécessaire à la santé publique et à la défense de toute la communauté. Refuser n’est tout simplement pas une option.