Mettre ses pas dans ceux de Saint François. Il y a huit siècles exactement, en 1219, le poverello d’Assise rencontrait le Sultan Malik Al-Kamil sur le delta du Nil. La cinquième croisade battait son plein mais la rencontre fut pacifique. Cette même démarche de paix, le pape François entend la mener à sa manière, ce lundi et mardi, dans un tout autre contexte: lors d’un voyage aux Émirats arabes unis (EAU) où, pour la première fois, le chef de l’Eglise catholique foule la péninsule arabique et va y célébrer une messe chrétienne en plein air.
«Je suis heureux de cette opportunité offerte par le Seigneur, a confié François dans un message vidéo le 31 janvier adressé aux Emirats arabes unis, pour écrire, dans votre cher pays, une nouvelle page dans l’histoire des relations entre les religions en confirmant que nous sommes frères même si nous sommes différents». Ainsi le pape affermit-il sa politique de main tendue avec l’islam. Il couronnera cet élan à la fin du mois de mars par une visite au Maroc.
Diplomatie vaticane
Ces deux jours à Abu Dhabi ne vont toutefois pas de soi en raison du contexte du conflit des Emirats arabes unis et de l’Arabie Saoudite avec le Yémen. À commencer par la diplomatie vaticane qui aurait plutôt appuyé sur le frein si elle avait été associée à l’organisation de ce voyage non prévu dans le calendrier et décidé par le pape seul. Emile Nakhleh, ancien directeur du programme d’analyse de la stratégie politique de l’islam de la CIA, cité par l’hebdomadaire progressiste catholique américain, National Catholic Reporter – pourtant proche du pontificat – résume le problème: «Ce n’est pas une bonne optique pour le pape de visiter les Emirats Arabes Unis qui sont toujours impliqués dans les atrocités commises au Yémen. Je ne sais pas comment sa sainteté peut même justifier cela».
Mais un autre expert, le Frère Paul Lansu, conseiller du mouvement catholique «Pax Christi international» y voit une opportunité pour François «de parler avec les autorités de ce pays en espérant qu’il puisse convaincre les responsables des Emirats de changer de politique à propos du désastre qu’ils ont fait au Yémen avec les Saoudiens.»
Une conférence mondiale sur «la fraternité humaine»
Il n’est même pas certain que François aborde ce sujet fâcheux sur place. Dimanche 3 février, juste avant de prendre l’avion, il a toutefois lancé à Rome un énième appel international «d’urgence» pour une action au Yémen: «Je suis la crise humanitaire du Yémen avec grande préoccupation. La population est épuisée par ce long conflit et une multitude d’enfants souffrent de la faim sans pouvoir accéder aux dépôts d’alimentation. Le cri de ces enfants et de leurs parents monte devant la présence de Dieu». Dans sa prière pour le Yémen, il a encore ajouté: «Prions fortement, parce que ce sont des enfants qui ont faim, qui ont soif, qui n’ont pas médicaments, qui sont en danger de mort.»
Avant de quitter Rome pour #AbuDhabi le #papeFrançois a lancé un appel à « l’urgence » de l’action humanitaire au #Yémen notamment pour les enfants qui y meurent de faim. Les Émirats arabes unis #UAE #PapaFrancesco où le #pape se rend sont impliqués dans le conflit… pic.twitter.com/V6pmGONWir
— Jean-Marie Guénois (@jmguenois) 3 février 2019
Certes le thème officiel du déplacement, «fais de moi un instrument de ta paix», reprend la première phrase de la fameuse prière de Saint François d’Assise. Certes le nouveau porte-parole du pape, Alessandro Gisotti, a précisé que ce 27ème déplacement du pape avait pour objectif de barrer la route aux «professionnels de la haine» qui «instrumentalisent le nom de Dieu pour justifier la violence».
Mais François vient avant tout aux EAU pour participer, lundi, avec 700 autres responsables religieux de toutes confessions, à une «conférence mondiale sur la fraternité humaine» organisée par le «Conseil Musulman des Sages» présidé par son ami, le cheikh Ahmed Al Tayeb, recteur et grand iman de l’université Al Azhar du Caire (Egypte) qu’il va rencontrer pour la cinquième fois en cinq année de pontificat.
Pour la messe, 130 000 fidèles attendus
C’est lui qui a invité François. L’enjeu, pour l’Eglise catholique, étant d’obtenir, à terme, un statut juridique de «citoyen» pour les habitants chrétiens des pays musulmans. Le défi pour les musulmans étant de montrer le visage d’un islam tolérant. Ce voyage – fortement médiatisé par ce pays qui a financé deux agences internationales de communication anglo-saxonnes à cette fin – s’inscrit de fait dans le cadre de l’année de la «Tolérance» décrétée en 2019 par les Emirats Arabes Unis.