Du Moyen Âge à aujourd’hui : les racines de l’exclusion des pauvres


Par Giacomo Todeschini pour l'Histoire, relayé par l'observatoire des inégalités

L’exclusion et la stigmatisation des pauvres trouvent leurs racines à la fin du Moyen Âge, sous l’influence de l’Église en Europe. L’historien Giacomo Todeschini en retrace l’origine dans un entretien extrait de la revue L’Histoire.

Dans l’image que l’Église donne des pauvres, il faut faire attention, d’entrée, à bien distinguer deux pauvretés que tout oppose : la pauvreté volontaire d’une part, la pauvreté ordinaire de l’autre. C’est la première que la tradition chrétienne et l’Église valorisent : la pauvreté évangélique, par laquelle on cherche à imiter le dépouillement du Christ.

Ce que valorise la chrétienté suivant cet exemple, c’est le choix d’abandonner une richesse ou un pouvoir. La pauvreté qui découle du milieu de naissance ou des accidents de la vie n’est pas perçue comme vertueuse puisqu’elle n’a aucun contenu idéologique ou théologique [1]. Elle a droit à la protection de l’Église, mais ce n’est pas une vertu.

L’opposition entre ces deux pauvretés est une réalité sociale. Prenez les ordres mendiants [2], ces frères (franciscains, dominicains, augustins et carmes) qui, à partir du XIIIe siècle, prêchent dans les villes et vivent de la mendicité. Si l’on étudie leur composition sociale, on y retrouve surtout des fils de riches bourgeois, des avocats, des professeurs de théologie.

Le peuple, les miséreux, n’y ont pas accès. Cette distinction entre deux formes de pauvreté remonte aux premiers siècles du christianisme. Elle s’intensifie avec l’apparition des franciscains. François d’Assise [3], à la toute fin du XIIe siècle, offre l’exemple par excellence du riche, puissant, cultivé, qui se dépouille de tous ses biens par choix, et c’est avec les ordres mendiants que culmine la recherche de la pauvreté volontaire.

Ils appartiennent pour la plupart à des familles de riches marchands, beaucoup ont également une formation de juriste, et c’est tout naturellement qu’ils participent à la vie économique des cités en l’analysant, mais aussi en discutant et en évaluant, avec les représentants des bourgeoisies marchandes, les problèmes de la vie économique. Ce rôle politique central, il serait bien sûr hors de question de le réserver à de simples miséreux !

À mesure que cette pauvreté sainte occupe une place centrale dans la vie politique, il est de plus en plus nécessaire de la distinguer de la pauvreté involontaire, dépréciée comme jamais. Jusqu’au XIe siècle la pauvreté ordinaire n’était pas valorisée, mais elle restait une condition sociale normale : jusqu’à l’An Mil le mot pauvre, pauper, désigne principalement l’absence de pouvoir et c’est le devoir des riches, des puissants que de protéger ces foules d’individus sans pouvoir.

Au Bas Moyen Âge [4], la pauvreté devient une condition indigne. Les pauvres font désormais partie de ceux qu’on appelle alors les « infâmes », une catégorie plus large puisqu’elle inclut aussi les juifs, les usuriers [5], un certain nombre de métiers « ignobles » (prostituées, acteurs, bourreaux, geôliers), et menace de frapper quiconque perd sa réputation (fama) du fait, par exemple, d’une condamnation par un tribunal ou d’une mauvaise renommée.

Les infâmes sont ceux auxquels il est interdit d’exercer les droits civils, comme celui de témoigner devant un tribunal, et ils sont plus largement exclus de la fides, la confiance qui structure la communauté chrétienne.

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