Le choix de ce proche d’Emmanuel Macron, auteur d’un rapport controversé sur le financement du septième art, passe mal dans un milieu inquiet de voir s’imposer une logique fondée sur la rentabilité, mettant en danger les films d’auteur.
«Une nouvelle fois le gouvernement a pris une décision de manière unilatérale sans écouter une grande majorité du secteur qui porte une vision différente (…). S’opposer à une vision libérale ne signifie pas être anti-réformiste», a tonné la Société des réalisateurs de films (SRF), rassemblant 300 cinéastes réagissant à l’annonce officielle de la nomination de Dominique Boutonnat à la tête du CNC (Centre National du Cinéma).
«Le président de la République a donc décidé de ‘passer en force’», a déploré pour sa part le producteur Saïd Ben Saïd, y voyant une «formidable détestation du cinéma d’auteur et de la culture». Celui qui travaille avec de grands cinéastes comme Paul Verhoeven avait estimé, en amont, que cette nomination «signifierait qu’il faudrait financer les films de Philippe Garrel et ceux de Franck Dubosc de la même façon, selon les mêmes critères économiques». «On ne verrait donc plus de films de Philippe Garrel», concluait-il.
La formidable détestation du cinéma d’auteur et de la culture qui sévit dans le milieu politique vient se se traduire par la nomination de Dominique Boutonnat à la présidence du CNC.
— Saïd Ben Saïd (@saidbensaid66) July 24, 2019
Avant même la nomination de Dominique Boutonnat, plus de 70 cinéastes dont Jacques Audiard, Palme d’or 2015 et Michel Hazanavicius, oscarisé pour The Artist, avaient fait part de leur désapprobation dans une tribune. Les étudiants de la Fémis – école formant aux métiers du cinéma – les avaient rejoints, évoquant «une attaque contre le cinéma français» s’il devait prendre la suite de Frédérique Bredin, 62 ans, dont le mandat s’est achevé mi-juillet.
Sur Twitter, certains acteurs du monde du cinéma ont également réagi à cette nomination, à l’instar du lobbyiste Pascal Rogard, directeur depuis 2004 de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, qui fustige une «profession cinématographique en ordre de marche».
#Culture60 #Malraux exprimait « le vœu d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel » 60 ans plus tard , ce même jour, #Macron nomme #DominiqueBoutonnat président du CNC, joyeux ? ? @xavierbeauvois1 @LaSRF1968 @L_ARP https://t.co/DeJcI4Fsuo
— Marie-Pierre THOMAS (@mapitoma) July 24, 2019
Un rapport qui préconise plus de financement privé
En cause: le rapport commandé par Bercy et le ministère de la Culture sur le financement du cinéma, remis mi-mai par Dominique Boutonnat. Tout en réaffirmant le rôle du Centre national du cinéma comme «régulateur», il préconise de développer la part du financement privé en complément des soutiens publics existant.
Pour ses détracteurs, ce rapport qui parle de «rentabilité des actifs» et pointe le risque d’«une politique nataliste des œuvres» (surproduction de films) n’a d’autre ambition que de privilégier une logique commerciale. C’est «la première fois qu’un professionnel du cinéma est choisi pour diriger le CNC», s’est défendu l’Élysée.
L’intéressé a lui même répondu aux critiques dans les pages du Figaro . «Avec les équipes du CNC, mon but sera de préserver notre exception culturelle en ayant une obsession: la diversité, la qualité et la liberté de création», a-t-il assuré, confirmant au passage qu’il se désengagerait de tous ses mandats et céderait les parts de ses sociétés, pour éviter tout conflit d’intérêts. «J’entends protéger et renforcer le CNC autant que notre modèle, unique et envié à travers le monde», a insisté le nouveau dirigeant.
Fervent soutien d’Emmanuel Macron
Un autre aspect du producteur d’Intouchables ou de Polisse inquiète: son soutien à la campagne d’Emmanuel Macron en 2016, qui alimente des soupçons de renvoi d’ascenseur. «J’ai, comme d’autres, versé 7500 euros pour soutenir la campagne d’Emmanuel Macron, car j’ai apprécié sa vision» mais «je ne me suis pour autant jamais impliqué dans un parti politique et je ne suis pas membre d’En marche», s’est défendu le producteur, toujours dans Le Figaro.