La Chine pourrait utiliser ses obligations américaines pour riposter contre les taxes décrétées par le président des USA Donald Trump, estiment des experts.
Avec près de 1.200 milliards de dollars de bons du Trésor, Pékin est le plus important détenteur étranger de dette publique américaine. Selon le Trésor américain, rien qu’en mars la Chine a vendu 20 milliards de dollars d’obligations américaines.
Le spécialiste du commerce international Claude Barfield, ancien consultant du bureau du représentant américain au commerce, explique quelles pourraient être les conséquences pour les deux camps si la Chine décidait d’utiliser les obligations américaines pour faire pression sur son adversaire dans la guerre commerciale.
Sputnik : Bien que la Chine nie souvent vouloir vendre ses obligations américaines, les experts et les grands médias évoquent régulièrement ce scénario. D’après vous, dans quelle mesure est-il envisageable dans les conditions des guerres commerciales actuelles ?
Claude Barfield : On présente parfois cette information comme si un grand coup allait être porté aux États-Unis, comme si la vente de ces obligations provoquerait un certain chaos et changerait la valeur des obligations, mais il convient de rappeler certaines choses: premièrement, les Chinois seraient également touchés. En fin de compte, vers quoi orienteront-ils cet argent? Ils renonceraient à un placement sûr. Les obligations américaines sont suffisamment sûres, et que vont-ils faire avec cela? Avec le reste du monde, ils seront confrontés à une brève perturbation. D’autres pays investissent également dans les obligations américaines, donc je pense qu’au final les USA seront touchés mais que ce coup ne sera pas dévastateur.
Sputnik : Si cela arrivait, comment cela influencerait-il l’état des obligations américaines et des marchés financiers mondiaux dans l’ensemble ?
Claude Barfield : Comme je l’ai dit, je pense qu’indéniablement une perturbation initiale aurait lieu. Mais je pense que les obligations américaines sont fortes, et beaucoup sont prêts à investir dans ces dernières, c’est pourquoi je pense que cette perturbation sera éphémère. Elle pourrait être brutale, du moins initialement, si c’était inattendu, mais je pense qu’au final elle ne sera pas destructive pour l’économie des USA. Je pense que les établissements multilatéraux tels que la Banque mondiale et le FMI feraient forcément le nécessaire pour stabiliser l’économie mondiale, les marchés mondiaux.
Sputnik : Quels pays pourraient souhaiter le maintien d’une partie de la dette américaine à court terme ?
Claude Barfield : Les pays qui la détiennent. Je ne peux pas dire qui exactement, mais cela pourrait être un pays développé, tout pays européen; si vous êtes un pays émergent qui souhaite investir son argent dans des actifs sûrs, les titres américains restent parmi les plus sûrs du monde.
C’est difficile à dire, cela dépendra des besoins du pays en question, que ce soit le Brésil, la France, l’Allemagne ou le Japon — qui que ce soit. Je ne pense pas que les actions de la Chine se répercutent à long terme sur les décisions d’investir dans les obligations américaines.
Sputnik : Pendant sa campagne de 2016, Donald Trump a déclaré qu’il réglerait le problème de la dette publique en deux mandats présidentiels. Cependant, sous sa présidence, la dette a augmenté de plus de 2.000 milliards de dollars. Quels sont vos prévisions concernant la dette publique américaine ? Trump tiendra-t-il sa promesse ?
Claude Barfield : Bien sûr, la dette continuera de grimper car nous dépensons plus que nous ne recevons, et on constate une importante réduction des impôts dans le pays. On peut parler des aspects positifs de la baisse des impôts, mais elle affectera forcément le Trésor de manière négative. De facto, ce dont se vantait Trump en 2016 était un mensonge — et il savait certainement que c’en était un — mais cela faisait partie de sa campagne.
Sputnik : Trump a également déclaré que l’augmentation des taxes sur les importations permettrait à Washington de réduire sa dette. Comment les taxes influent-elles en réalité sur la dette américaine ?
Claude Barfield : Du point de vue de la dette même, c’est une partie infime. De plus, il ne dit pas que les taxes rapportent de l’argent au pays — mais cet argent ne vient pas des Chinois, des Européens ou d’ailleurs, mais des contribuables américains. C’est pourquoi de facto les taxes sont un impôt sur certaines entreprises américaines et les contribuables, ce qui, selon moi, impacte négativement leurs plans et le revenu disponible. Si vous voulez acheter un jouet ou un meuble de Chine et que vous n’avez pas beaucoup d’argent, alors que son prix augmente de 10-15%, c’est assez considérable pour vous, probablement moins sérieux pour les personnes ou entreprises plus aisées; mais cela affecte négativement l’économie américaine.
Sputnik : Récemment, la Chine a adopté de nouvelles taxes sur les exportations américaines, après quoi les États-Unis ont commencé à évincer Huawei du marché des smartphones en poussant les compagnies comme Google à rompre leur coopération avec la compagnie chinoise. Quelle pourrait être la réaction des USA si la Chine vendait ses obligations ? Comment cela pourrait-il se refléter sur l’économie chinoise ?
Claude Barfield : Je pense que les Chinois devraient être prudents parce que cela porterait préjudice à leur propre économie. S’ils faisaient quelque chose de ce genre, ce serait un coup contre eux-mêmes. C’est la raison pour laquelle le gouvernement chinois en parle peu. De nombreux analystes l’ont évoqué, mais le gouvernement chinois n’a jamais indiqué que c’était une chose à laquelle il pensait ou réfléchirait.
Sputnik: D’après vous, comment pourrait évoluer la guerre commerciale entre les USA et la Chine à court terme ?
Claude Barfield : C’est difficile à dire. Je pense que ce que nous voyons aujourd’hui indique que cette guerre prendra probablement de l’ampleur. Il y avait un espoir qu’ils puissent trouver une solution au G20, mais je ne pense pas que quelqu’un croie que c’est possible aujourd’hui.