Un conglomérat coréen serait en passe de racheter le français emblématique Yposkesi, l’industriel issu du Généthon. À l’heure de la crise sanitaire, l’affaire illustre une fois de plus le double discours de l’Élysée en matière de souveraineté industrielle. Cette fois, dans un domaine aussi stratégique que la thérapie génique.
Le 30 janvier, Mediapart a révélé que le conglomérat SK Holdings, basé à Séoul, était en train d’acquérir Yposkesi, une entreprise figurant parmi «les plus prometteuses biotechs françaises». Des négociations exclusives avec ce groupe coréen seraient en cours, a confirmé à la rédaction de Mediapart la Banque publique d’investissement (BpiFrance). Elles «pourraient aboutir dans les prochaines semaines».
Voilà qui met encore un peu plus à mal le discours présidentiel sur la souveraineté industrielle française. Des ambitions limitées, sans doute par électoralisme, à la santé et à l’écologie. Mais voilà le drapeau tricolore en berne jusque dans ces secteurs!Composé de 92 filiales, allant de la pétrochimie aux clubs de football, en passant par les télécoms et le trading, ce chaebol (équivalent coréen des zaibatsu japonais: des conglomérats évoluant dans des domaines variés) est devenu le troisième plus gros groupe de l’économie sud-coréenne et l’un des piliers de l’industrie locale.
Des groupes à la réputation quelque peu sulfureuse. Tenus à bout de bras par le gouvernement malgré des dizaines de milliards de dollars de chiffre d’affaires, leur direction s’y transmet de père en fils. Dans le cas de SK Holdings, l’actuel président est notamment marié à la fille de l’ex-Président de la République sud-coréenne Roh Tae-woo (1988-1993). Ce colosse financier devrait ainsi racheter 70% des participations d’Yposkesi, via l’une de ses nombreuses filiales, SK Pharmteco, basée en Californie.
Un leader européen de la thérapie génique créé grâce au Téléthon
De son côté, l’entreprise française ne manque pourtant pas de dynamisme. Employant actuellement 175 personnes, toutes sur son site de production de Corbeil-Essonnes, Yposkesi planche sur l’embauche de 90 employés ainsi que sur la création d’une unité de production de vecteurs viraux pour la thérapie génique.
Une opération qui devrait doubler sa taille, comme l’expliquait aux Échos son président en décembre dernier. Une nouvelle étape «pour devenir le leader européen de la production de virus adéno-associés, utilisés pour la thérapie génique», expose le quotidien d’information économique et financière.
«Il n’y a pas assez de bioproduction en France, le pays ayant raté le virage industriel des anticorps monoclonaux. Mais il peut encore prendre celui des thérapies cellulaire et génique», se projetaient Les Échos en décembre.
Le problème dépasse le fait de céder une pépite dans ce domaine particulièrement porteur qu’est la thérapie génique. Yposkesi a été créée par BpiFrance et l’AFM-Téléthon, une association regroupant des malades atteints de pathologies génétiques rares et leur parents. Cette union visait à compenser le manque de moyens déployés dans le privé en matière de recherche sur ces maladies rares.
En 2016, lors de la création de la société, Bpifrance et AFM-Téléthon annonçaient leur intention d’injecter respectivement 84 et 36 millions d’euros, jusqu’en 2021, le tout dans le cadre du programme gouvernemental Investissement d’Avenir. Bref, comme le résume de son côté Mediapart, Yposkesi est «financée par les dons des Français ou par de l’argent public».
Un rachat auquel le gouvernement ne s’oppose pas
Cette cession interpelle d’autant plus que l’enjeu est de taille. Les traitements de thérapie génique coûtent de plusieurs centaines de milliers de dollars à plusieurs millions par patient (entre 370.000 et 2 millions de dollars en 2019). La mission d’Yposkesi est donc de produire ces traitements de manière qu’ils soient abordables pour les patients atteints de maladies rares.