Un amendement, adopté dans le cadre de la loi Mobilité, relance le débat sur la privatisation des routes nationales. Une évolution causée par le désengagement progressif de l’Etat, qui laisse la voie libre aux intérêts privés.
Dans le cadre de l’examen de la loi mobilités à l’Assemblée nationale, un amendement a été adopté visant, je cite, à « faire porter, par une délégation de service public, la création ou l’aménagement d’infrastructures à gabarit routier afin de faciliter, sécuriser ou fluidifier l’accès à une autoroute ou aux itinéraires qui la prolongent ».
Comprendre : donner aux sociétés d’autoroute la prise en charge des routes nationales, adossées au réseau autoroutier existant. Mais cet amendement est bien moins anecdotique qu’il n’y paraît car il signe en réalité les prémisses d’une privatisation en bonne et due forme du réseau de routes nationales.
Pour ses partisans, cette évolution vise donc à améliorer l’entretien des routes nationales, parfois en très mauvais état. L’État commence par se désengager d’une de ses missions, pour ensuite la supprimer ou la brader à des intérêts privés. On connaissait déjà ce raisonnement dans le secteur ferroviaire où l’on a commencé par réduire le nombre de trains sur les petites lignes pour ensuite les supprimer totalement, arguant de la baisse de leur fréquentation.
Eh bien c’est ici la même logique : avec une part non négligeable du réseau routier abandonné pour des raisons de rigueur budgétaire, les sociétés privées ont eu beau jeu de se présenter comme les sauveurs providentiels de nos routes nationales… Ce qu’ils se sont donc empressés de faire.
Comme l’explique le sénateur Hervey Maurey, interrogé par France Info, « les sociétés d’autoroute partent du constat qu’aujourd’hui l’état des voiries concédées n’est pas satisfaisant. Elle se proposent donc de récupérer ces sections en échange d’une prolongation de la durée des concessions ». De vrais philanthropes en somme.
Les sociétés d’autoroute mettent également en avant un argument budgétaire et financier. Dans leur immense mansuétude, les sociétés d’autoroute n’ont pas manqué de signaler qu’une telle prise de contrôle des tronçons restants serait une excellente affaire pour le contribuable français.
Une note interne de l’Association des sociétés françaises d’autoroute ou ASFA explique ainsi que « le transfert de tout ou partie du réseau national est de nature à provoquer un choc budgétaire, soulageant le budget de l’État et pérennisant les capacités d’entretiens du réseau ».
Non content de prendre à leur charge l’entretien de nos routes quotidiennes, les acteurs privés nous permettraient ainsi de réaliser de belles économies. Le président de l’ASFA a même déclaré, chevaleresque, qu’à « chaque fois que l’État déciderait d’aménager son réseau de routes nationales, les sociétés d’autoroutes seraient là ». Nous voilà rassurés.
Cette opération ne se ferait pourtant pas sans contrepartie. Selon un article de Marianne, il ne s’agirait pas d’une privatisation stricto sensu, puisque les sociétés d’autoroute prendraient à leur charge l’entretien des tronçons de routes nationales et obtiendraient, en échange, une hausse des tarifs des péages routiers. Ce qui reviendrait donc à faire payer l’entretien des routes nationales par les usagers des autoroutes.
Difficile en effet d’imaginer une nouvelle prolongation de la durée des concessions, alors qu’elles ont déjà été renouvelées en 2015 et que la Cour des comptes a exprimé son opposition à une telle action. Pas d’inquiétude pour autant : le journal Marianne estime que les sociétés d’autoroute pourraient se satisfaire des travaux à réaliser sur « leurs » morceaux de routes nationales.
Rappelons qu’Eiffage et Vinci sont non seulement des exploitants d’autoroute mais aussi, et peut-être surtout, des entreprises du BTP. Comme l’explique Marianne dans cet article, citant la journaliste Isabelle Jarjaille et son ouvrage Services publics délégués au privé : à qui profite le deal, près de la moitié des contrats passés par les sociétés concessionnaires d’Eiffage, le sont avec des filiales d’Eiffage. Un chiffre qui monte à près de 80%* quand on se tourne vers Vinci. De véritables humanistes on vous dit.
À quand la privatisation de l’Assemblée Nationale?
Mais peut-être est-ce déjà fait, à l’insu des principaux intéressés, à savoir les citoyens électeurs?