Les préfets ont le droit de réquisitionner les personnels de santé pour assurer la continuité des soins dans les hôpitaux. Il existe cependant des dérogations que les soignants peuvent faire valoir.
La grève dure depuis près de trois mois dans les services des urgences des hôpitaux. D’ordinaire, les grévistes portent un brassard sur leur blouse pour signifier qu’ils sont en grève, mais ils continuent de travailler, afin d’assurer un service minimum. Cette fois, certains soignants se sont mis en arrêt maladie et n’ont pas pris leur garde. A Paris, c’est l’équipe de nuit des urgences de l’hôpital Lariboisière qui ne s’est pas présentée dans la nuit du lundi 3 au mardi 4 juin.
A l’hôpital de Lons-le-Saunier, le préfet du Jura a même ordonné des réquisitions de personnels, dès la fin du mois de mai, comme l’a annoncé l’agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne-Franche-Comté dans un communiqué. Une infirmière a raconté à Mediapart comment des gendarmes avaient réveillé sa famille en pleine nuit pour signifier à la soignante sa réquisition le lendemain matin. « Nerveusement épuisée » par sa journée, l’infirmière s’est rendue chez son médecin afin d’être mise en arrêt maladie. Au retour de sa consultation, elle a découvert les gendarmes qui l’attendaient « avec une nouvelle réquisition pour le lendemain matin ».
Dans le live de franceinfo, vous nous avez demandé si, dans le cadre de ces réquisitions, les forces de l’ordre avaient vraiment le droit d’aller chercher les soignants en arrêt maladie à leur domicile.
Un droit préfectoral de réquisition
Les préfets ont en effet le droit de réquisitionner des médecins (généralistes comme spécialistes et libéraux comme salariés), des infirmiers ou tout autre professionnel de santé, afin d’assurer la continuité des soins, comme le rappelle une circulaire des ministères de la Santé et de l’Intérieur. Ainsi, en 2009, le ministère de la Santé lui-même avait pris un arrêté permettant de réquisitionner des professionnels de santé dans le cadre de la campagne de vaccination lancée à l’échelle nationale pour se prémunir contre le virus de la grippe A H1N1.
Cette disposition est prévue par le code de la santé publique. « Si l’afflux de patients ou de victimes ou la situation sanitaire le justifie, le représentant de l’Etat dans le département peut procéder aux réquisitions nécessaires de tous biens et services, et notamment requérir le service de tout professionnel de santé, quel que soit son mode d’exercice, et de tout établissement de santé ou établissement médico-social dans le cadre d’un dispositif dénommé plan départemental de mobilisation. »
Une amende de 3 750 euros en cas de refus
Cette prérogative préfectorale se retrouve aussi dans le code général des collectivités territoriales. « En cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d’entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées. »
S’opposer à ces réquisitions est un délit passible de sanctions. L’autorité qui devrait requérir ces mesures mais s’y refuserait s’expose à six mois d’emprisonnement et 10 000 euros d’amende, selon le code général des collectivités territoriales. Le médecin, lui, encourt 3 750 euros d’amende, conformément au code de la santé publique.
Un arrêté de réquisition précis
Mais pour réquisitionner des soignants, les préfets doivent cependant mettre les formes et prendre un arrêté de réquisition. Ce texte doit préciser l’identité de la personne réquisitionnée, l’objet de la réquisition et sa durée. Il doit aussi être motivé, c’est-à-dire qu’il doit exposer les raisons justifiant cette réquisition.
En vertu d’une jurisprudence du Conseil d’Etat, trois circonstances doivent être réunies pour que le recours à la réquisition soit jugé légal. D’abord, il faut qu’il existe un risque grave pour la santé publique. Ensuite, il faut que l’administration soit dans l’impossibilité de faire face à ce risque en utilisant d’autres moyens. Et, enfin, il faut une situation d’urgence.
La réquisition doit avoir pour objectif de garantir un service minimum et non un service complet. (ministères de l’Intérieur et de la Santé dans une circulaire)
Le processus est le suivant : les ARS transmettent aux préfets leurs besoins en matière de personnels à réquisitionner afin de compléter les tableaux de gardes ; les préfets ordonnent les réquisitions ; la police ou la gendarmerie procèdent aux réquisitions. C’est ainsi que des médecins ou des infirmiers ont vu des policiers ou des gendarmes frapper à leur porte pour leur remettre un avis de réquisition récemment, comme l’a rapporté BFMTV.
Des dérogations possibles
« On ne peut pas ne pas obtempérer à une réquisition, à condition qu’elle remplisse les conditions », souligne pour franceinfo le médecin Marcel Garrigou-Grandchamp, responsable de la cellule d’aide juridique de la fédération des médecins de France (FMF). Mais si l’arrêté est incomplet ou mal formulé, le soignant peut s’appuyer sur ces failles pour contester sa réquisition, explique la confédération des syndicats médicaux français (CSMF). « Chaque fois qu’on s’est opposé avec succès à une réquisition, c’est parce qu’elle était mal formulée », confirme le médecin.
Il existe, en outre, des dérogations à ces réquisitions, précise la CSMF. D’abord, le cas de force majeure : si le soignant est malade ou inapte à exercer ou s’il est obligé d’aller donner des soins urgents.