Ces signataires de tribunes pro-privatisation qui taisent leurs liens avec Vinci et ADP



Depuis le début de la mobilisation contre la privatisation d’ADP, plusieurs tribunes, qui soutiennent le passage de l’exploitant au privé, sont signées par des observateurs… pas tout à fait indépendants.

Il y a des hasards qui interpellent. Ces trois derniers mois, quatre tribunes économiques sur neuf parues dans la presse pour soutenir la privatisation du groupe Aéroports de Paris (ADP) émanent d’intellos ayant une relation d’intérêts plus ou moins directe avec l’entreprise publique ou avec Vinci, candidat à son rachat. C’est également le cas d’une tribune juridique qui conteste l’organisation d’un référendum d’initiative partagée (RIP) sur le sujet. Ce qui n’est pas forcément synonyme de malhonnêteté intellectuelle, mais encore faudrait-il mentionner cette proximité.

Parce que les enjeux s’élèvent à des milliards d’euros et que la pétition contre la vente de l’exploitant aéroportuaire a déjà récolté près de 500.000 signatures de citoyens, il pourrait en effet s’avérer utile pour le lecteur de disposer d’une connaissance plus complète du profil de chaque tribuniste. Le cas ADP-Vinci montre au passage le mélange des genres au sein de certains réseaux français où, de conférences en participations à des think tanks, des intellectuels côtoient fréquemment des représentants de grandes entreprises jusqu’à, parfois, être rémunérés.

Le premier à avoir dégainé est l’économiste Nicolas Bouzou, auteur dans Le Figaro du 15 avril d’un texte intitulé « Les conditions d’une privatisation réussie ». Il s’y prononce en faveur d’une sortie totale de l’Etat du capital d’ADP, à condition de le vendre « très cher ». Ce que ces lignes passent sous silence, c’est qu’ADP figure sur la liste des clients de Asterés, le cabinet de conseil de Nicolas Bouzou, accessible sur le site Internet de l’entreprise.

Contacté, l’économiste assure ne pas se rappeler pourquoi : « Peut-être pour une conférence il y a dix ans, mais même pas sûr ». Il ajoute : « J’anime parfois des conférences pour Vinci », tout en soulignant que son texte « n’est pas très favorable à Vinci » et assure se prononcer en toutes circonstances sur la base de ses seules convictions. « J’aurais pu l’écrire même si j’avais eu ADP comme client, mais pas sur commande. Je n’écris que des choses que je pense », nous certifie le consultant libéral. Un jour, il a été invité à parler d’Air France à la télévision. L’entreprise comptait parmi ses clients, il l’a mentionné spontanément : « Je dis tout, pour éviter qu’on me reproche des conflits d’intérêts ». En l’espèce, le lien avec Vinci et ADP ne figurait pas dans sa tribune.

COLLÈGUE DE L’AVOCAT D’ADP

Les professeurs de droit Olivier Duhamel et Nicolas Molfessis signent de leur côté une tribune dans Le Monde le 14 mai titrée « ADP : avec le RIP, le Conseil constitutionnel joue avec le feu ». Ils y critiquent la décision de l’institution de valider l’organisation d’une pétition pouvant donner lieu à référendum sur la privatisation d’ADP. L’argumentaire se tient bien, mais pourquoi ne pas préciser qu’Olivier Duhamel est avocat associé chez Veil-Jourde, un cabinet qui compte parmi ses clients… ADP ? L’avocat Jean Veil, fondateur et également associé de l’entreprise, défend notamment le groupe dans l’affaire des marchés publics douteux de la branche internationale d’ADP, révélée par Marianne en mars 2018. Georges Jourde, l’autre fondateur-associé, figure quant à lui parmi les anciens avocats de Vinci.

« Je n’exerce quasi aucune activité au cabinet Veil et ignore totalement s’ils défendent ou non ADP. Je n’ai par ailleurs jamais pris position sur la privatisation d’ADP », nous fait savoir Olivier Duhamel. Dont acte sur le second point. Pour autant, les arguments de droit développés dans la tribune du 14 mai ont été largement repris par le gouvernement dans ses observations envoyées au Conseil constitutionnel avant que celui-ci ne se prononce sur la loi Pacte, autorisant la privatisation d’ADP.

L’autre signataire, Nicolas Molfessis, est le secrétaire général du Club des juristes, un think tank d’experts juridiques. Cette association compte aujourd’hui dans ses rangs Olivier Duhamel et Jean Veil, qui siège même à son bureau, le conseil de direction informel de l’organisation. Au sein du Club, ces éminents juristes côtoient aussi Marc Guillaume, le secrétaire général du gouvernement, celui-là même qui a rédigé les observations de l’exécutif sur la loi Pacte déjà mentionnées. Depuis très récemment, un nouveau venu les a rejoints : il s’agit d’Augustin de Romanet… le PDG d’ADP. Le grand patron a été coopté en novembre dernier parmi son cénacle de quarante membres. Cet énarque, proche d’Emmanuel Macron selon le journaliste Marc Endeweld (ancien collaborateur de Marianne), qui lui consacre plusieurs pages dans son récent ouvrage Le manipulateur (Stock), a plusieurs fois exprimé sa bienveillance à l’idée de la privatisation de son entreprise. « La privatisation est possible sans le moindre trouble pour nos concitoyens », rassurait-il en avril dernier auprès de l’Opinion, en se disant « totalement satisfait » par la loi Pacte.

BIENVENUE AU CLUB

Cette entrée d’Augustin de Romanet au Club des juristes s’accompagne-t-elle d’un soutien financier d’ADP ? Non, déclare Nicolas Molfessis. « Je n’ai pas reçu d’appel d’ADP pour effectuer un don au Club des juristes », confirme la directrice des opérations du Club. La question se posait dans la mesure où la quasi-totalité des entreprises représentées parmi les membres sont par ailleurs sponsors de l’organisation : c’est le cas de quatorze d’entre elles sur seize haut cadres de grandes sociétés.

Ce n’est pas tout. Le responsable du comité scientifique du Club des juristes, le professeur de droit Denys de Béchillon, chargé de veiller à la « déontologie » des publications du think tank, exerce lui en tant que lobbyiste juridique auprès de… Vinci Airports. C’est lui qui a rédigé, le 12 avril dernier, auprès du Conseil constitutionnel une « contribution extérieure », comprendre un argumentaire spontané, afin d’influencer – lui aussi – la décision des juges sur la loi Pacte.

Auprès de Marianne, Nicolas Molfessis insiste sur l’indépendance prise par les signataires de l’article du Monde vis-à-vis… du Conseil constitutionnel, sévèrement critiqué : « Prenez en compte les liens très forts (du Club des juristes, ndlr) avec le Conseil constitutionnel et Laurent Fabius (et) sur ces bases, demandez-vous si Laurent Fabius et le Conseil comme ses membres sont satisfaits de la chronique ». Il est vrai que le Club des juristes collabore souvent avec le Conseil constitutionnel. Tous les ans, plusieurs événements sont organisés conjointement par le Club des juristes et l’institution de la rue de Montpensier.

« COMITÉ DIRECTEUR DE VINCI »

La direction de Vinci a également des connexions avec le rédacteur d’un autre texte paru récemment dans la presse. Il s’agit de la tribune pro-vente d’ADP – « La gestion d’un aéroport ne relève pas d’une logique politique » – publiée dans Le Monde du 12 juin, sous la plume de l’économiste Jean-Marc Daniel. L’intellectuel certifie ne pas avoir de lien d’intérêts actuel avec le transporteur aérien ni avec Vinci. Pour autant, en tant que directeur de la revue Sociétal, financée par l’Institut de l’Entreprise, il a eu pendant six ans comme patron… Xavier Huillard, le PDG de Vinci. « On s’entendait bien (…) J’ai été une fois devant le comité directeur de Vinci, j’ai été rémunéré, je ne sais plus combien », nous répond l’économiste, qui jure n’avoir gardé aucun contact depuis le départ en janvier 2017 de son ancien boss, lequel reste président d’honneur de l’Institut de l’Entreprise (IE).

S’attirer les bonnes grâces de l’opinion – ou du moins du lectorat des grands titres de la presse – fait d’ailleurs partie des objectifs de Vinci. Le 19 mars dernier, Xavier Huillard en personne publie dans Le Monde – toujours – une tribune au titre évocateur : « Sur la privatisation d’Aéroports de Paris, je dénonce fermement le “Vinci bashing” ». Le grand patron développe l’argument d’une méfiance pavlovienne pour les intérêts privés, dans un pays de tradition étatiste :  » Comme toujours en France, la privatisation d’une entreprise détenue majoritairement par l’Etat suscite controverse, polémique et fantasmagorie ». Signe de cette opération séduction dirigée vers les lecteurs des grands quotidiens, Vinci a acheté deux pleines pages de publicité dans Le Monde daté de ce mardi 9 juillet (pages 7 et 9), tout comme dans l’édition datée de ce samedi 6 juillet.

« Je ne suis acheté par personne dans mes opinions et mes prises de position », plaide Jean-Marc Daniel. L’intellectuel a effectivement toujours été en faveur de solutions très libérales. L’économiste assure par ailleurs que la tribune lui a été proposée par Le Monde, ce que le quotidien du soir confirme. L’Institut de l’Entreprise qui le rémunère compte en tout cas parmi ses mécènes… ADP et Vinci.

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