« Le Secrétariat », l’instance qui administre le Traité sur la charte de l’énergie, est loin d’être un modèle de transparence, tant ses experts censés en garantir l’impartialité multiplient les proximités gênantes avec l’industrie fossile. Deuxième volet de l’enquête d’Investigate Europe.
Autour d’elle, les piles de documents forment un rempart infranchissable. Dossiers épais, ouvrages économiques, rapports scientifiques reliés débordent de son bureau, sur les tables et même au sommet du piano de son appartement parisien. Quand elle n’est pas derrière son ordinateur, Yamina Saheb circule nerveusement entre les amoncellements de son salon, discutant au téléphone, tour à tour, avec un parlementaire européen, un proche du gouvernement, la représentante d’une ONG ou d’un parti politique. Telle une lobbyiste aguerrie, on l’entend tantôt argumenter sur la menace climatique, tantôt lancer pétitions et alliances politiques. À deux différences près : elle n’est pas rémunérée et son engagement est celui d’une activiste du climat.
Elle a analysé le texte du Traité sur la charte de l’énergie (TCE) dans ses moindres détails : en permettant aux multinationales pétrolières et gazières d’attaquer les États devant des tribunaux d’arbitrage privés, ce texte pourrait empêcher le respect des objectifs climatiques et retarder la sortie des énergies fossiles des pays européens. Alors, depuis deux ans, cette docteure en ingénierie de l’énergie, experte du GIEC et membre du réseau OpenExp, a fait du TCE le combat de sa vie.
Dans le cercle restreint des connaisseurs de cet obscur accord international, qu’ils soient élus, militants écologistes, la lanceuse d’alerte est connue comme le loup blanc. Et pas seulement pour sa ténacité… Yamina Saheb a un profil atypique : alors que ce type d’accords commerciaux suscitent des mobilisations depuis longtemps (voir notre dossier), elle a fait ses armes « de l’autre côté ». Il y a deux ans, l’experte faisait partie du secrétariat du TCE, qui en gère les affaires courantes et défend ses intérêts à travers le monde.
Recrutée à l’automne 2018 comme cheffe de l’unité « efficacité énergétique », Yamina Saheb est notamment chargée de travailler sur la compatibilité d’une partie du Traité avec l’Accord de Paris sur le climat. Un travail d’analyse classique pour une experte de l’énergie qui a déjà été employée dans plusieurs organisations internationales. Et pourtant rien dans sa carrière ne l’avait semble-t-il préparée pour « Le Secrétariat » (SCE).