Que se passe t-il au Chili ? Le point sur une révolte sociale massive


Quand le laboratoire du néolibéralisme se soulève...


Depuis le vendredi 18 octobre, le peuple chilien se soulève contre le gouvernement de Sebastián Piñera. Ces manifestations ont été initialement encouragées par des étudiants qui dénoncent la hausse des prix du ticket de métro, mais au fil des heures, ce sont des hommes et des femmes de tout âge qui ont rejoint les plus jeunes. En réalité, l’augmentation du tarif des transports n’était que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les protestations ont pris de l’ampleur, c’est maintenant à peu près 1 million de personnes qui se font entendre face à cette accumulation d’injustices dont souffre le peuple chilien pris en otage au sein de ce système néolibéral, encore sous la constitution de Pinochet. L’état d’urgence est alors décrété.

Depuis quelques jours, une énorme force sociale unit le Chili. Des étudiants, des communautés autochtones, des travailleurs du secteur public, de la santé, des enseignants, des mineurs, des syndicats. Tous ont défilé avec des banderoles et des drapeaux. Les chiliens exigent que toutes les augmentations envisagées pour l’eau, l’électricité et le gaz, soient gelées, et qu’une nouvelle constitution avec une assemblée constituante permettant la construction d’une société juste et démocratique soit érigée. Des centaines d’automobilistes ont également mené des opérations escargot pour lutter contre le prix des péages.

Quelques chiffres :

À Santiago, plus de 300’000 personnes sont descendues manifester, à Concepcion, environ 120’000, à Valparaíso et Viña, environ 110’000. À Antofagasta, 20 000. À La Serena et à Coquimbo, plus de 40 000. Dans la ville minière de Rancagua, environ 25’000. À Valdivia, 30’000 personnes. Dans des villes comme Iquique ou Talca, plus de 10’000. À Puerto Mont, 15’000. Cette flambée révolutionnaire n’est pas prête de s’estomper. Selon un groupe d’extrême gauche, « le 18 octobre 2019, sera le réveil des travailleurs et du peuple au Chili. Pour une vie décente pour tous! ».

Les forces de l’ordre sont déployées dans tout le pays: une intimidation délibérée contre ceux qui se souviennent du 11 septembre 1973, date à laquelle la dictature siégea au pouvoir sous les ficelles américaines. Les revendications du peuple importent peu, ce qui compte le plus, c’est l’image de marque à maintenir aux yeux du reste du monde, surtout quand on sait qu’elle accueillera prochainement l’APEC et la COP25. Mais le peuple chilien ne flanche pas et reste digne face à cette outrecuidance présidentielle et ce climat d’intimidation.

Des bavures policières dénoncées.

Selon les chiffres compilés directement par l’INDH (Institut Nationale des Droits Humains), observés lors des manifestations, au sein des commissariats de police et des hôpitaux, à la date du 17 octobre, on comptait déjà 1092 blessés, 3165 détenus dans 93 lieux de détention différents.

L’INDH a également porté plainte contre des carabiniers pour tortures et abus sexuels sur un jeune homme détenu au poste de police de Pedro Aguirre Cerda. Il s’agit d’un étudiant qui a été arrêté le 21 octobre près d’un supermarché alors qu’il appliquait des soins de premiers secours. Dans la confusion des faits, des agents de police l’ont violemment arrêté, le frappant avec des bâtons et lui infligeant des coups de poings.

Plusieurs femmes ont été victimes de violences sexuelles, lors des manifestations et arrestations. Plaquées au sol, certaines ont subi des propos indécents, des humiliations et des gestes déplacés.

Par ailleurs, des disparitions ont été alertées, s’agissant de 13 manifestantes. À ce jour, les familles n’ont toujours pas de nouvelles de ces femmes.

Une semaine après, le bilan des pertes humaines s’élève à 20 morts, quant aux blessés on en recense 437, tous victimes d’armes à feu.

Le peuple brûle le mal à sa source.

Ce 19 octobre les manifestants ont incendié un symbole emblématique du pays : les locaux du journal « El Mercurio » à Valparaíso.

L’IAPA (Inter American Press Association) qui est une organisation emeutant certains grands médias mainstream d’Amérique du Nord et du Sud, a condamné cet acte et le définit comme du « vandalisme qui constitue une atteinte manifeste à la liberté de la presse dans le pays ».

Mais elle n’entend pas la « liberté d’expression » de la même façon que le peuple. En effet, si nous creusons un peu dans les archives, on constate que cette « mafia » s’est adonné à cœur joie dans la diffamation et la manipulation.

Prenons par exemple « l’affaire El Universo » impliquant un ancien président équatorien, Rafael Correa et un chroniqueur du journal El Universo, Emilio Palacio.

Le 30 septembre 2010, Palacio rédige un article contre Correa, l’accusant de crime contre l’humanité pour avoir donné l’ordre de tirer sur un hôpital. Correa se défend, dément et dénonce le journal d’avoir menti à son égard dans le but de fomenter un coup d’État contre lui en le rendant responsable d’ignominies sans nom. L’IAPA prend ardemment la défense du média et revendique haut et fort le droit à la liberté d’expression, autrement dit, la liberté de perpétrer n’importe quel mensonge, de marchander des informations sans restriction et de mentir délibérément dans le but de renverser un gouvernement.

Revenons au média national El Mercurio, ce dernier appartient à une riche lignée d’origine galloise, la famille Edwards. Soutenu par les Américains, le journal a reçu un financement d’1 million et demi de dollars de la part de la CIA. Il a joué un rôle vital et central dans l’organisation du coup d’État, et a toujours soutenu la dictature de Pinochet, en revendiquant la liberté d’expression de ceux qui soutenaient sa répression pendant des années.

On peut même affirmer que ce coup d’État appartenait autant à la famille Edwards et à son journal qu’à Pinochet.

« Ainsi donc, indirectement, les morts, les disparus, les torturés, les exilés et les autres victimes de la dictature appartiennent également à la famille Edwards et El Mercurio. Ils ont une responsabilité non seulement éthique mais aussi pénale face à la violence déclenchée contre le peuple chilien. Mais comme Pinochet n’a jamais pu être jugé sur sa prétendue « transition à la démocratie », ni les hommes d’affaires, ni les bénéficiaires du régime, et encore moins ceux ayant servi de propagande n’ont été jugé. » Affirme un révolutionnaire.

La mise à feu du siège à Valparaíso est tout sauf une atteinte à la liberté de la presse. Pour le peuple chilien, ceux qui ont allumé la mèche ont commis un acte de mémoire historique et de justice, pour tous ces morts tombés dans l’oubli de la dictature.

« L’IAPA n’a aucune autorité morale pour se permettre de parler de liberté de la presse. En tant que journaliste, je dois avouer que mon cœur était heureux de voir les flammes qui ont consumé El Mercurio, de même que les dictatures ont consumé des vies humaines. Il ne s’agit en aucun cas d’un acte condamnable, mais d’un acte de justice tardif aux mains d’un peuple épuisé de toutes ces injustices. Votre liberté de la presse est notre silence. Les flammes sont notre voix » a déclaré un journaliste indépendant.

Noam Chomsky: « Ce qui est en train de se passer au Chili n’a rien d’étonnant ».

Parce que le néolibéralisme suppose que le droit à la propriété est supérieur au droit à la vie. Selon Chomsky la situation au Chili n’est que la conséquence prévisible de l’assaut néolibéral de ces 40 dernières années. Il fait un constat comparatif avec la situation actuelle des États Unis, où, seulement 0,1% de la population détient plus de 20% de la richesse nationale. Le salaire net est le même qu’il y a 40 ans, et pour couronner le tout, il y a eu une augmentation de la mortalité.

Quant au Chili, la dictature de Pinochet fut un fiasco total, en 1982, l’économie du pays s’est littéralement effondrée.

Margaret Thatcher, qui incarnait une version particulièrement sauvage du capitalisme et qui défendait le néolibéralisme d’une main de fer avait d’ailleurs affirmé:  » Personne ne se souviendrait du bon Samaritain s’il n’avait eu que de bonnes intentions. Il avait aussi de l’argent ».

Ainsi, depuis 1920, les grandes figures principales du néolibéralisme, Von Mises, Hayek et d’autres, ont accueilli avec satisfaction toute cette violence d’état, ce qui leur a permis de détruire les syndicats et d’autres obstacles au bon déroulement de cette économie mortifère. L’argent est roi. Pinochet avait parfaitement assimilé cette façon de faire.

Un peu d’histoire…

En 1961, Kennedy mène une vaste opération pour empêcher l’élection de Salvador Allende à la présidence du Chili. Il débloque 20 millions de dollars pour une énorme campagne de désinformation et manipulation, via la presse, radio, films, tracts, dépliants, envois postaux, banderoles, peintures murales.

En 1979, un message de la CIA est dévoilé: «  Notre politique ferme et persistante est de renverser Allende par un coup d’État, il est impératif que ces actions restent clandestines et que la main du gouvernement US reste bien cachée ».

Kissinger, David Rockefeller et le directeur de la CIA reçoivent comme mission de la part du président Nixon, de saboter l’économie chilienne.

« Je ne vois pas pourquoi nous devrions rester sans rien faire pendant qu’un pays sombre dans le communisme à cause de l’irresponsabilité de son peuple » affirmait Kissinger.

En 1972, la CIA met en place un plan d’action économique de 300 pages. « Les Chicago boys », ayant pour but de prendre la direction du Chili sous le général Pinochet.

Richard Nixon, déclarait alors:  » Allende ne peut pas devenir président. Ne pas impliquer l’ambassade. 10 millions de dollars disponibles, davantage s’il faut. Un boulot temps plein, avec les meilleurs hommes que nous avons. Faites hurler l’économie ».

En France, au Liban, au Chili, en Equateur, à Haïti… Effet boule de neige, prise de conscience : le réveil tardif des peuples se fait sentir contre l’oligarchie mondiale. Où cela mènera t-il ?

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Jacques abel
5 années il y a

Leur président milliardaire a cru bien faire face à la protestation de remettre en vigueur le couvre-feu en décrétant la loi martiale, plus personne dehors après 19h, c’est le retour à la vie sous Pinochet, un pays placé sous ses pattes postérieures… Assis, les gens ! Erreur politique majeure, le peuple ne veut pas revivre cette époque, il est prêt à tous les sacrifices pour ça, une leçon pour ceux qui revendiquent ici. On entend souvent des gens décrier la gauche de nos jours en France, mais, nous n’avons pas de gauche, n’en avons plus depuis plusieurs décennies . Sous Allende, dans… Lire la suite »

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