PROCÈS. L’homme d’affaires et cinq autres personnes sont jugés pendant quatre semaines pour « détournement de fonds publics »
Cela équivaut à 2,2 fois le montant du transfert de Kylian Mbappé. A 28.800 annuités de Smic. Ou encore à 15 % du manque à gagner pour l’État après la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF). C’est une affaire à 404,8 millions d’euros que va examiner la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris en jugeant, à partir de ce lundi, Bernard Tapie et cinq autres personnes pour « escroquerie » et « détournement de fonds publics ».
« Tapie va faire son cinéma durant quatre semaines… », pronostique déjà un fin connaisseur du dossier. Comment pourrait-il en être autrement ? Cela fait plus de 25 ans que l’homme d’affaires se présente comme la victime de cette affaire tentaculaire qui l’oppose à l’ancienne banque publique, Le Crédit Lyonnais, et donc à l’État, au sujet de la revente d’Adidas.
L’État n’avait aucun intérêt à recourir à l’arbitrage
Pour en comprendre les ressorts, il faut remonter en 1993. A l’époque en difficulté financière, l’homme d’affaires revend Adidas à Robert-Louis Dreyfus. Mais dès 1994, il accuse Le Crédit Lyonnais, sa banque, de l’avoir lésé de 390 millions environ lors de la transaction. Tentative de médiation, tribunal de commerce, recours… Le dossier suit le chemin tortueux de la justice et atterrit devant la Cour de cassation en 2006. Celle-ci casse toutes les précédentes décisions favorables à Tapie et décide de renvoyer l’affaire devant une nouvelle cour d’appel.
L’ancien ministre de François Mitterrand n’en peut plus de perdre du temps. Il propose donc de recourir à un tribunal arbitral pour solder le litige plus rapidement et une bonne fois pour toutes. L’État, plutôt heureux des précédentes décisions de justice, n’a aucun intérêt à le suivre. Mais, une fois Nicolas Sarkozy élu président de la République en 2007, il accepte pourtant. Et un an plus tard, le tribunal arbitral en question octroie à Bernard Tapie plus de 400 millions d’euros, dont 45 millions au titre du préjudice moral qu’il a subi.
« Ils ont conçu et monté une opération frauduleuse »
L’opposition s’insurge. La justice finit par ouvrir une enquête. Et rapidement, les juges d’instruction découvrent que le tribunal qui a rendu cette décision n’était, sans doute, pas aussi impartial qu’il n’y paraissait. Ainsi, Pierre Estoup, l’un des trois arbitres étant intervenu dans la décision finale, se retrouve épinglé pour avoir entretenu des liens amicaux avec Maurice Lantourne, l’avocat de Tapie.
En perquisitionnant sa bibliothèque les policiers retrouvent aussi un ouvrage dédicacé en 1998. Sur la page de garde, « Nanard » le remercie pour son « courage » et l’assure de « toute son affection ». Pour les juges qui ont signé l’ordonnance de renvoi devant le tribunal, « tout tend [donc] à démontrer que Bernard Tapie, Maurice Lantourne et Pierre Estoup ont conçu et exécuté ensemble une opération frauduleuse ».
En colère, Bernard Tapie quitte le studio d’Europe 1 en pleine interview https://t.co/ntcwr6Ee4h
— 20 Minutes (@20Minutes) 4 mars 2019
La question de l’implication de Nicolas Sarkozy
Reste à savoir pourquoi l’État a accepté cette opération tout en sachant qu’elle pourrait lui coûter très cher au final ? Non sans une certaine ironie et tableau à l’appui, les juges d’instruction ont recensé les 49 visites de Bernard Tapie à l’Élysée entre le 13 juin 2007 et le 18 avril 2012. Et dans leur ordonnance de 330 pages, ils rappellent surtout que l’homme d’affaires aujourd’hui en rémission d’un cancer de l’estomac avait publiquement déclaré son soutien à Nicolas Sarkozy avant la présidentielle.