Lors de son lancement il y a dix ans, le programme allemand Industrie 4.0 promettait une quatrième révolution industrielle qui changerait notre façon de travailler. Sa mise en œuvre répond à des impératifs capitalistes très anciens : utiliser des technologies permettant d’économiser du travail non pas pour réduire la charge de travail, mais pour soumettre les employés à une discipline et à des cadences encore plus strictes.
Le terme Industrie 4.0 a été introduit pour la première fois il y a dix ans en Allemagne, à la foire de Hanovre, le plus grand salon dédié aux technologies industrielles du monde. Annonçant une « quatrième révolution industrielle », cette appellation est rapidement devenue un nom de marque connu pour être le programme politique et économique des entreprises et de l’État allemands. La base économique de ce programme est la fameuse « numérisation ». Concrètement, il s’agit de mettre en place de nouveaux processus de production grâce à la communication entre machines et composants via Internet, l’usage de l’intelligence artificielle et la vision par ordinateur.
La numérisation et le programme Industrie 4.0 présentent également un intérêt pour la gauche française, étant donné qu’ils sont largement invoqués comme causes de la transformation du monde du travail. Et tout comme en Allemagne, cette nouvelle augmentation des capacités productives est mise en avant par l’État comme atout national dans la concurrence mondiale. La numérisation préoccupe donc gouvernements, entrepreneurs et employés à travers le monde. Cependant, ce que l’on entend par numérisation reste discutable. A l’occasion du dixième anniversaire de l’Industrie 4.0, il paraît donc indispensable de se pencher sur les transformations économiques induites par ce processus, notamment sur les salariés.
LA NUMÉRISATION N’EST PAS NEUTRE
Dans le débat public, il est courant d’entendre que « la numérisation transforme la façon selon laquelle nous travaillons ». Ainsi, elle nécessiterait de développer ou d’acquérir de nouvelles compétences et demanderait davantage de flexibilité aux salariés. Le discours selon lequel des centaines de milliers d’emplois seraient menacés par la « numérisation » est également omniprésent. Pourtant, ces hypothèses sont fausses.
La technologie numérique permet, entre autres, de travailler de n’importe où. Mais lorsque les travailleurs doivent consulter leurs e-mails professionnels sur leur smartphone vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept et qu’ils doivent travailler depuis n’importe où, ils ne le font pas à cause du smartphone dans leur poche, mais à cause des exigences de leurs supérieurs. Les robots peuvent effectivement faire augmenter la productivité du travail. Mais cela peut avoir toutes sortes de conséquences pour les salariés : soit plus de temps libre pour tous, soit le chômage pour les uns et le stress pour les autres. Ce n’est pas une question de technologie, mais d’organisation économique. Il ne s’agit pas de savoir ce qui est produit, ou comment, mais à quelle fin.