Les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat qui seront présentées en conseil des ministres n’ont que peu à voir avec les intentions de leurs auteurs. Les lobbys pro-industriels, en une offensive tardive mais intense, se sont chargés de les nettoyer, avec l’appui d’un État connivent.
Avion, automobile, agro-business, publicitaires… Le rouleau compresseur des lobbys a réussi à vider de toute substance le projet de loi censé donner suite à la Convention Citoyenne pour le Climat. Accès privilégié aux décideurs, études biaisées, marketing vert, guerre des mots dans les médias et mobilisation de complices au cœur même de l’État…
Premier volet d’une enquête sur la force de frappe déployée par les industriels pour tuer les propositions des « citoyens », à lire aussi sur notre Observatoire des multinationales
Où est donc passée l’obligation de rénovation thermique des logements ?
Qui a ajouté cette dérogation concernant l’interdiction de nouveaux centres commerciaux ? Pourquoi la redevance sur les engrais azotés est-elle reportée ? Quid du moratoire sur la 5G ou de l’interdiction de la publicité pour la malbouffe ? Sept mois et demi après leur rendu, le 21 juin 2020, les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat arrivent, « comme convenu », à la table du conseil des ministres le 10 février, sous la forme d’un projet de loi.
Mais c’est bien, semble-t-il, la seule chose qui ait été à peu près respectée – et encore, non sans un certain retard. Pour le reste, la lecture du texte suffit à comprendre l’ampleur des dégâts : nombre de mesures phares ont disparu, sont rognées ou détournées selon les cas, quand elles n’ont pas été tout bonnement expurgées.
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L’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre « d’au moins 40 % d’ici 2030 », reste-t-il atteignable, dans ces conditions ? De l’aveu même de l’exécutif, entre la moitié et les deux tiers « du chemin », seulement, serait « sécurisé », reconnaît l’étude d’impact associée au projet de loi. On en serait bien plus loin, selon le député Matthieu Orphelin, qui a contre-expertisé le document officiel.
En l’état, le projet de loi ne parviendrait en réalité à économiser au maximum que 13 MtCO2/an… soit 12 % de l’objectif total. Dans son avis rendu fin janvier, le CESE ne s’encombre pas de précautions : considérer que ce texte « s’inscrit dans la stratégie nationale bas-carbone » n’est rien d’autre qu’un « abus de langage ».
9 mois de travaux… et une amère désillusion
Le grand espoir de la Convention Citoyenne accoucherait-il d’une minuscule souris ? Quand, en avril 2019, Emmanuel Macron annonce la mise en place de ce processus inédit, l’objectif se voulait clair : déconfiner la décision publique, loin de l’entre-soi technocratique et de ses traditionnels réseaux d’influence, en invitant 150 citoyens tirés au sort à définir une feuille de route climatique ambitieuse pour l’État français. Un drôle de pari, un peu comme ces repas de famille ouverts aux enfants pour la toute première fois : tout le monde fait mine de s’en réjouir poliment, on met les petits plats dans les grands pour l’occasion, mais chacun se demande bien comment ça finira. Pour convaincre les impétrants autant que pour rendre la démarche crédible, le président de la République avait doublé cette politesse d’une promesse : le résultat final de leurs travaux serait repris « sans filtre » et transmis tel quel au Parlement pour intégrer le circuit législatif traditionnel, ou soumis directement à référendum.
Pendant 9 mois, d’octobre 2019 à juin 2020, les 150 « conventionnels » ont donc travaillé d’arrache-pied pour définir les contours de la future politique climatique, s’attaquant à tous les champs du spectre concerné, des transports à l’alimentation en passant par le logement. Au final, 149 propositions détaillées et concoctées dans un épais rapport de 460 pages, que Laurence Tubiana, l’une des trois coprésidentes du comité de gouvernance, qualifiait de « vrai projet de société », à l’issue du vote. Qu’en reste-t-il ?
Pas grand-chose, si ce n’est une amère désillusion : « Le mécanisme avait été pensé et façonné de façon à neutraliser tout risque de lobbying, explique Cyril Dion, initiateur de cette démarche à la fin de l’année 2018, et devenu par la suite l’un des « garants » de la Convention. Les citoyens ont pu auditionner toute une série d’acteurs dans les différents secteurs d’activités, mais ceux-ci étaient exclus des délibérations collectives, propres aux « 150 », qui agissaient comme un garde-fou contre les tentatives d’influence ».
Ce dessein a bel et bien été respecté : la Convention Citoyenne pour le Climat n’aura pas été le théâtre d’un farouche lobbying, en son sein. C’est qu’elle n’a guère été source de préoccupation, non plus, à ses débuts : longtemps, le processus n’aura suscité que du désintérêt, au mieux.
« Au début de la Convention, le responsable des relations publiques de Total ne savait pas ce que c’était, il ne connaissait même pas le mot, raconte une membre du comité de gouvernance. Ce n’était absolument pas dans leur radar, et ça ne l’a pas été pendant longtemps. Comme c’était quelque chose de très nouveau, je pense qu’ils ont sous-estimé le poids politique qu’on pouvait représenter, à terme… ».