Précaires, sans emploi ou en quête de sens : ces (autres) jeunes qui en bavent à cause du Covid


Par Anthony Cortes pour Marianne

Elisa a trouvé un refuge : le dessin. Depuis quelques semaines, à 27 ans, elle attend, elle griffonne, elle espère qu’une vie normale reprenne bientôt. Pourquoi pas celle d’avant ? Janvier 2020, la jeune femme est enfin lancée. Ses études dans l’événementiel sont terminées depuis quelques mois. En contrat à durée déterminée (CDD) dans une entreprise de l’Ouest parisien après y avoir été alternante, elle pense son avenir tout tracé. « Ma cheffe n’était pas avare en compliments, confie-t-elle. Avec le travail que je fournissais, toujours sans compter mes heures, le CDI était certain ! ». Aucune raison d’en douter. Avant elle, certains de ses collaborateurs ont emprunté le même chemin, toujours avec ce même aboutissement. « Accroche-toi ! », lui soufflait-on dans les couloirs, comme s’il s’agissait d’un grimpeur en plein col. Le travail paie, elle le sait, on le lui a trop répété. Elle y arrivera.

Quelques semaines plus tard, un premier confinement est ordonné. Pas d’inquiétude, Elisa inaugure avec ses collègues le travail à distance, via Microsoft Teams, un logiciel permettant aux équipes de se coordonner. Une simple secousse, croit-elle, pas un bouleversement. Dans quelque temps, tout reviendra. Les pauses-café, les collègues plus ou moins lourds, les bons et les faux copains, les félicitations de la hiérarchie et les débriefs à la brasserie d’en face.

DE RETOUR CHEZ SES PARENTS

Le confinement se termine, son CDD aussi, elle attend une rallonge et le rendez-vous qui viendra l’officialiser (avec, on y prend goût, les louanges qui vont avec). Le 21 mai, Elisa est convoquée par sa supérieure, et la douche est froide. Son contrat ne sera pas renouvelé. Ni en CDD, ni en CDI. « Tu comprends, la période est compliquée », lui répète-t-on. Elle comprend, c’est compliqué. Elle leur demande : « Et plus tard, quand tout ça sera passé ? ». On verra, chaque chose en son temps. Là, le temps impose d’être débarqué. Pour Elisa, comme pour dix-sept de ses collègues. On dégraisse. Pour éviter le naufrage ou par opportunité ? Qu’importe.

Depuis, aucune nouvelle. Elle attend. Son appartement parisien, elle l’a finalement cédé, à contrecœur. Sur son dos, un immense prêt bancaire étudiant (« 12.000 euros, il y a pire mais bon ») qu’elle s’était engagée à rembourser à la sortie de ces études. Ses mensualités, qui dépassent les 300 euros, continuent à être débitées sur un compte en banque de plus en plus maigre où sa prime de précarité n’est plus. Heureusement, il y a le RSA qui apparaît une fois par mois, même si elle le perçoit comme un affront. De retour chez ses parents, dans l’Aveyron, elle enchaîne désormais les candidatures spontanées, sans jamais de réponse. Alors, elle dessine. « Ça vide la tête ».

TOURNER EN ROND DANS SON APPARTEMENT

Brice, 26 ans, est dans le même cas, à peu de chose près. Son secteur à lui c’était « le service à la personne », s’amuse-t-il. Il était serveur et ça lui plaisait bien. Surtout après un parcours cabossé, plein de virages serrés. Un bac technologique obtenu en renard (« 10,01, c’est une fierté ! »), une licence en géographie engagée puis ratée (« je ne savais pas où aller et je ne voulais surtout pas rien faire »), une escapade en Serbie (« pour voir du pays et ne pas voir mes parents »), et finalement ce boulot de serveur dans un café prestigieux de Béziers, sous l’aile d’un patron qu’il décrit comme un « père professionnel ». « Je ne vous parle pas d’un boulot de serveur en sweat dans un pub irlandais qui sent la Guinness », corrige-t-il, gouailleur. Sa tenue à lui, c’était chemise blanche, nœud papillon, gilet noir et pantalon à pinces. Ça en imposait, surtout avec une moustache soignée.

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