Souvent perçus comme des assistés, de mauvais gestionnaires, les pauvres ont en fait des stratégies rationnelles pour leurs dépenses, explique le sociologue Denis Colombi.
Depuis le début de la pandémie, les personnes en difficultés sociales sont de plus en plus nombreuses. « Du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale », alerte le Secours populaire.
Un regard critique, dévalorisant voire moralisateur est souvent porté sur les pauvres et leurs comportements. Dans son ouvrage Où va l’argent des pauvres. Fantasmes politiques, réalités sociologiques (éditions Payot), le sociologue Denis Colombi démontre que les plus pauvres gèrent leur argent de manière tout à fait rationnelle.
Utilisation de l’allocation de rentrée scolaire, files d’attente devant certains magasins : pourquoi les dépenses faites par les plus pauvres suscitent-elles des débats récurrents ?
Ces polémiques illustrent une forme de mépris vis-à-vis des pauvres ; et une représentation assez forte selon laquelle, si les pauvres sont pauvres, c’est parce qu’ils sont incapables de gérer leur argent. Il faudrait donc contrôler leurs dépenses pour leur bien et ainsi les aider à sortir de la pauvreté.
Le débat sur le supposé détournement de l’allocation de rentrée scolaire est symptomatique. Il est d’autant plus étonnant qu’aucune source, aucun rapport, ne permet de dire que cette allocation est mal utilisée. Autrement dit, c’est un problème public qui n’est construit sur aucune recherche empirique, et qui est posé uniquement parce que l’on pense que les pauvres sont fautifs.
Cela raconte aussi, paradoxalement peut-être, que l’on déconnecte la question de la pauvreté de celle de l’argent. On fait comme si ce dont avaient besoin les pauvres, c’était de tout sauf d’améliorer leurs conditions de vie. Comme si la pauvreté n’était pas due à un manque d’argent, mais à une tare, un défaut, une incapacité de la part des pauvres. Or tous les travaux dont je rends compte dans mon livre montrent que les pauvres ne gèrent pas plus mal leur argent que les autres. Et même dans certains cas, ils le font mieux. Et qu’en tout cas ce n’est pas leur capacité à gérer leur argent qui constitue un problème.