Pendant plus de deux ans, Youssouf (24 ans) a travaillé en tant que livreur pour la plateforme de livraison de repas Deliveroo. Il était bien noté par l’application et pour lui c’était un travail à temps plein (bien plus que 35 h par semaine), ainsi que sa principale source de revenus.
Puis, un beau jour, il a reçu un mail : la plateforme n’avait plus besoin de lui. Dans quelques jours, lui a écrit Deliveroo, il serait viré. “Aujourd’hui je risque sérieusement de me retrouver à la rue,” dit-il. Deliveroo lui a reproché d’avoir refusé trop de commandes, ce que l’intéressé nie avec véhémence, en citant le nombre d’heures travaillées, les bugs qui affligent la plateforme et les temps d’attente aux restaurants en période de confinement, source de nombreuses annulations.
Si son explication a été retenue au début par les services de Deliveroo, elle a été refusée par la suite. Rien n’y fait : contre toute évidence, son contrat a été rompu unilatéralement. Depuis le début de leur existence, les plateformes de livraisons de repas – telles que Deliveroo, Uber Eats ou Frichti – ne cessent de mettre en avant la supposée liberté dont jouiraient leurs livreurs. Également, depuis son ascension au Ministère de l’Economie, Emmanuel Macron n’a eu que des louanges pour ce modèle économique qui repose sur les micro-entrepreneurs et sur le “dépassement” du lien de salariat.
Selon les plateformes et leurs soutiens, en effet, l’ubérisation serait une panacée pour une jeunesse qui peine à trouver du travail, et une manne pour les politiciens en quête de chiffres rassurants sur le chômage. L’histoire de Youssouf, comme celle d’autres centaines de livreurs en toute l’Europe, montre bien l’envers du décor de cette rhétorique : précarité absolue, zéro filets de sécurité, faiblesse complète des travailleurs face à leurs employeurs. A l’envers de toute indépendance, c’est bien là une dépendance extrême et sans aucun contre pouvoir qui est proposée par ces entreprises.