Accusation d’antisémitisme : l’arme fatale pour dézinguer Jeremy Corbyn


Par Le Monde Diplomatique

« Un seul antisémite est déjà un de trop mais l’ampleur du problème a été exagérée par nos adversaires à l’intérieur et à l’extérieur du parti, ainsi que par la majorité des médias ». Jeremy Corbyn a réagi en ces termes au rapport de la commission des droits de l’homme et de l’égalité (Equality and Human Rights Commission, EHRC) qui enquêtait sur le sujet depuis mai 2019 après avoir été saisie par deux collectifs. Son successeur centriste à la tête du Labour, sir Keir Starmer, l’a aussitôt suspendu du parti.

En avril, un autre rapport, interne, soulignait combien l’hostilité à Corbyn avait favorisé l’instrumentalisation de cette question. Il devait figurer en annexe au rapport du EHRC, mais les avocats du Labour s’y sont opposés. Le parti a désormais jusqu’au 10 décembre pour mettre en œuvre les recommandations du EHRC.

Antisémitisme, l’arme fatale

« Incompétent », « espion russe », « dangereux radical », « illuminé »… Le chef du Parti travailliste britannique Jeremy Corbyn aura tour à tour été tout cela, à en croire ses adversaires. Bien qu’aussi infondée que les autres, une accusation semble être parvenue à s’imposer dans les médias dominants : celle d’antisémitisme. Un procédé qui vise à disqualifier d’emblée tout opposant.

La controverse autour de l’antisémitisme qui infesterait le monde politique britannique dépasse désormais les frontières du Royaume-Uni. Le paragraphe d’ouverture d’un article récent du New York Times mêlait ainsi l’« antisémitisme profond » du Parti travailliste à la profanation d’un cimetière juif en France pour suggérer que la haine des Juifs « constitue le point de ralliement de familles politiques en général considérées comme éloignées : l’extrême droite, certaines franges de l’extrême gauche, l’islamisme radical européen et diverses fractions des deux grands partis américains (1) ».

La production éditoriale du grand quotidien américain illustre surtout la façon dont les médias traitent de l’antisémitisme supposé des forces de gauche, et en particulier du Parti travailliste de M. Jeremy Corbyn. En octobre 2017, Howard Jacobson décrivait dans une tribune la conférence annuelle du Labour comme un déchaînement de haine, affirmant par exemple que l’une des motions soumises au vote questionnait la réalité de l’holocauste : un mensonge au service duquel le New York Times n’a toutefois pas hésité à mettre le prestige dont il jouit encore (2).

Les médias britanniques tentent de détruire Jeremy Corbyn

Des pratiques de ce genre sont devenues routinières dans les grands médias britanniques — y compris les plus réputés, comme le Guardian ou la British Broadcasting Corporation (BBC), qui semblent avoir renoncé à la vérification des informations qu’ils publient dès lors qu’il s’agit de condamner M. Corbyn. Répété à l’envi, leur acte d’accusation — où le faux le dispute à l’outrance — s’est imposé comme une évidence qu’une partie de la population n’interroge même plus.

On voit désormais les mêmes méthodes à l’œuvre ailleurs dans le monde pour discréditer des dirigeants de gauche qui, comme M. Corbyn, sont connus pour leur soutien à la cause palestinienne. Dans l’article précité du New York Times, qui assimilait le Parti travailliste britannique au Fidesz du premier ministre hongrois Viktor Orbán (droite radicale), le journaliste Patrick Kingsley écrivait que la députée démocrate américaine Ilhan Omar avait été « unanimement condamnée pour son recours aux stéréotypes antisémites suggérant que la vie politique du pays se trouverait sous l’emprise des lobbys juifs », avant de lui imputer des liens avec des « cercles islamistes radicaux ».

En réalité, Mme Omar s’était exprimée au sujet de l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac), dont l’influence, de notoriété publique, est régulièrement discutée dans les colonnes… du New York Times. En revanche, elle n’avait pas dit un mot sur un quelconque « lobby juif » (3) : le quotidien a donc supprimé le passage dans son édition en ligne, mais sans s’embarrasser d’un rectificatif.

Sur quoi reposent exactement les accusations qui pèsent sur M. Corbyn et son parti ? Les députés travaillistes et les commentateurs progressistes sont régulièrement sommés d’entériner l’idée selon laquelle « le Parti travailliste a un problème d’antisémitisme », sans toutefois que ses forfaits soient clairement exposés. Toute manifestation d’antisémitisme constituerait naturellement un problème pour le Parti travailliste, mais le discours dominant ne se contente pas d’évoquer telle ou telle saillie proférée par l’un de ses (nombreux) militants de base : il suggère aussi que, sous la houlette de M. Corbyn, le Labour serait devenu « hostile aux Juifs », « institutionnellement antisémite ». Ses dirigeants formeraient une clique animée par la « haine des Juifs », auxquels ils auraient « déclaré la guerre » ; ils feraient peser sur ceux du Royaume-Uni un « péril existentiel » (4). Des accusations jamais étayées, mais davantage diffusées par la presse que les cas concrets de racisme d’État qui affectent la vie de larges pans de la population.

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